Peut-on espérer un salut universel ? (recension)

KRUIJEN C., Peut-on espérer un salut universel ? Etude critique d’une opinion théologique contemporaine concernant la damnation, Coll. Sagesse et culture, Paris, Parole et Silence, 2017. Parue dans la Nouvelle revue théologique (NRT) Tome 139 (2017) n° 4, p. 692-693.

L’impressionnant travail de Christophe J. Kruijen, prêtre de Metz, qui fut official à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi entre 2009 et 2016, vient combler un manque important en eschatologie en affrontant un sujet difficile et polémique : la perdition éternelle. Cette thèse soutenue à l’Angélique en 2009 et considérablement enrichie a été avec justice couronnée par le prix Henri de Lubac. A la question : certains hommes sont-ils perdus ?, trois réponses sont possibles : non, oui, peut-être (autrement dit, la damnation est une éventualité réelle, une potentialité, dont on ne sait si elle est actualisée), l’auteur défend avec clarté, force et conviction la deuxième : selon l’enseignement de l’Ecriture, la Tradition et le Magistère, certains hommes ne sont pas sauvés.

Après avoir exposé la problématique (chap. 1), l’ouvrage se déploie en trois parties. La première, topique, expose en détail l’opinion, majoritaire depuis les années 1950, de l’espérance d’un salut universel de tous les hommes : elle a été défendue avec brio par Balthasar (chap. 2) et peut-être avec plus de rigueur par Rahner (chap. 5), et s’est étendue à beaucoup de théologiens contemporains (mais non pas tous !) (chap. 4). La deuxième partie déploie, là encore avec grande minutie, le dossier positif, scripturaire (chap. 5), traditionnel (chap. 6) et magistériel (chap. 7). Alors, dans ce que j’appellerai une troisième partie (le plan inclut le chap. 8 dans la deuxième), l’A. propose une détermination systématique, se centrant principalement sur la critique de la posture universaliste, en ses conséquences risquées et en ses principaux arguments.

On ne peut que saluer la grande précision du travail (p. ex., toutes les citations dans les multiples langues européennes ont été faites à partir de l’original, même lorsque la traduction est citée), voire le souci d’explorer un maximum de sources (sans que l’exhaustivité soit possible). Les théologiens discutés (Balthasar est le vis-à-vis principal) et les positions en présence sont étudiés avec soin, respect et nuance. Le dossier scripturaire, notamment, fait l’objet d’une analyse très méticuleuse. Tout en concernant la dogmatique, cette thèse présente des prolongements pastoraux évidents, par exemple en missiologie ou en catéchèse (pourquoi annoncer l’Evangile ou défendre les préceptes de la morale chrétienne si, quoi qu’il en soit, tous les hommes sont sauvés ?). Nous nous permettrons d’interroger l’analyse de Balthasar trop tributaire d’Alyssa Pitstick et point assez centrée sur sa vision centrale (permettant de renvoyer à notre article, non cité: « L’espérance d’un enfer vide selon Balthasar. Thème central ou latéral ? », Lateranum, 79, 2015, p. 723-738) ; nous demeurons plus perplexe devant l’attitude critique à l’égard de la position remarquable prise par Benoît XVI dans un texte ayant l’autorité d’une encyclique, Spe salvi (p. 510-512) ; nous regretterons aussi la faiblesse et le manque d’audace du développement doctrinal (requérant que soient explorés, p. ex., philosophiquement, les concepts, centraux pour la thèse, de possibilité et de réalité, et, théologiquement, les visions neuves de l’espérance développées par Balthasar et Benoît XVI).

Si les conclusions de l’auteur ne nous apparaissent pas contraignantes, en revanche, nul théologien ne pourra plus affirmer que l’on doit « espérer pour tous » sans prendre en compte tous les arguments, notamment scripturaires, avancés par ce livre appelé à faire date. – P. Ide

5.8.2020
 

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