Mort de l’être humain et mort du cerveau. Positions et propositions

Mort de l’être humain et mort du cerveau.

Positions et propositions

Cet article est la version amplifiée (deux fois plus longue que celle publiée dans la Revue Théologique des Bernardins, 18 (2017) qui, d’ailleurs, y renvoie). Il développe notamment la première partie (topique) et ajoute certains textes originaux entre crochets.

 

Depuis un peu plus d’un demi-siècle, la description clinique de la mort est passée du cœur au cerveau, plus précisément de l’arrêt cardiorespiratoire à la mort cérébrale. C’est du moins ce que pense une majorité de spécialistes ; le Magistère paraît même entériner ce dernier critère. Après un état des lieux (1), nous proposerons une détermination (2) et discuterons l’interprétation des textes magistériels (3). [1]

1) État des lieux

a) L’ancien modèle : la mort cardiorespiratoire

1’) Exposé [2]

Pendant des siècles, le critère de la mort utilisé par les médecins fut la constatation évidente de la cessation d’activité cardiaque et respiratoire, ce que l’on appelle l’arrêt cardiorespiratoire. À la fois lisible et compatible avec le bon sens, ce critère clinique rejoignait la compréhension spontanée, l’intuition que chaque homme a de la mort. Tel n’est pas le cas, nous le redirons, du critère de la mort cérébrale qui n’est pas apparent et contrarie l’évidence.

2’) Critiques adressées à ce modèle

Plusieurs faits conduisirent à critiquer ce modèle et à introduire un nouveau modèle [3]. Pour mémoire :

  1. À partir de 1894, un certain nombre de neurochirurgiens (Horsley en Angleterre, Cushing aux USA, Wertheimer en France, Frykholm en Suède) ont montré que l’augmentation de la pression intracrânienne due à un abcès ou à une tumeur conduisait à la mort par cessation de la fonction du centre respiratoire présent dans le tronc cérébral ; or, le cœur continuait à battre quelque temps après la mise hors jeu du centre respiratoire ; par conséquent, il fallait dissocier mort de la personne de l’arrêt cardiaque [4].
  2. En 1952, l’anesthésiste danois Bjorn Ibsen inventa le respirateur artificiel. Or, l’assistance ventilatoire mécanique permettait parfois au cœur de continuer à battre, alors que la respiration spontanée avait cessé. Mais cette cessation était due à la haute pression intracrânienne. Et celle-ci engendrait la disparition de signes électroencéphalographiques d’activité cérébrale autant d’ailleurs que de signes cliniques classiques de mort. Par conséquent, l’on a vu apparaître dans les années 50 des patients cliniquement et encéphalographiquement morts, mais présentant une activité cardiaque persistante [5]. Dès lors se posa la question de savoir si l’on arrêtait l’assistance ventilatoire mécanique lorsque le patient avait un cœur vivant et un cerveau mort. C’est alors que, dans un article justement fameux [6], deux médecins français, Pierre Mollaret et Maurice Goulon, décrivirent 23 malades comateux chez qui ils avaient trouvé les cinq signes suivants : 1) un coma avec une privation totale de réponse aux stimuli, autrement dit un état d’inconscience irréversible ; 2) une cessation de la respiration spontanée ; 3) une abolition du tonus musculaire, une paralysie flasque, attestant la disparition des réflexes du tronc cérébral ; 4) une activité cardiaque spontanée, mais une impossibilité fréquente de maintenir la circulation sans recourir à des moyens artificiels ; 5) et un électro‑encéphalogramme plat, linéaire, isoélectrique, insensible à toute stimulation.

Pour décrire ce nouvel état, les chercheurs français introduisirent alors un concept nouveau, celui de patients en état de coma dépassé.

  1. Enfin, les transplantations d’organes se sont développées. Or, le succès de celles-ci dépend de l’état du greffon, donc qu’il soit prélevé au plus près de la mort. Mais nous avons vu qu’il y a un délai entre mort du cerveau et arrêt du cœur. La demande croissante d’organes de donneurs incita à passer des critères cardiorespiratoires aux critères neurologiques pour déterminer la mort du patient.

b) Le passage au modèle dominant : la mort du cerveau

1’) Une révolution copernicienne

En 1968, un ad hoc committee at Harvard Medical School [7] fit trois propositions : d’abord il définit le coma irréversible, comme une « mort cérébrale » ; ensuite, il identifia cette mort cérébrale à la mort simpliciter ; enfin, il donna une liste des signes cliniques de la mort du cerveau : 1. absence de réceptivité, absence de réponses ; 2. absence de mouvement et de respiration spontanée (après un arrêt de trois minutes de la ventilation mécanique) ; 3. absence de réflexe (pupilles fixes et dilatées, mouvements oculaires absents, pas de battement des paupières) ; 4. électroencéphalogramme plat [8].

Il faut mesurer la nouveauté, plus, la révolution, introduite par ces propositions. À cette époque, seulement 9 % du public pensait la mort en termes de mort cérébrale. De plus – et ce point est tellement passé dans l’usage médical et même courant qu’il en est devenu inaperçu –, ce que l’on appelle la mort du cerveau ou la mort neurologique n’est pas la destruction du cerveau, mais la disparition irréversible des fonctions cérébrales : « Un organe, le cerveau ou autre, qui ne fonctionne plus et n’a pas la possibilité de fonctionner de nouveau est considéré en pratique mort ». Ainsi, « mort du cerveau » signifie « cerveau qui en permanence ne fonctionne pas ».

Le rapport de Harvard fut la source d’une véritable révolution copernicienne : le concept traditionnel (ptoléméen !) de mort qui satellisait la mort du cerveau autour de la mort du cœur s’inverse pour faire de la mort cérébrale le centre autour duquel gravitait désormais les autres critères de mort clinique. À partir de ce moment, la formation des médecins, notamment les neurologues et les neurochirurgiens, comporte un module sur la détermination de la mort cérébrale chez l’adulte. En 1981, aux États Unis, la President’s Commission for the Study of Ethical Problems in Medicine and Biomedical and Behavioral Research entérina le document du Comité de Harvard : désormais, pour affirmer qu’une personne est morte, la cessation totale de fonction du cœur et des poumons n’était plus nécessaire, « la cessation irréversible de toutes les fonctions de la totalité du cerveau » était suffisante [9].

Toutefois, ce rapport ne réussit pas à établir une liste de critères définitifs et incontestables de mort cérébrale pour tous les cas cliniques [10]. Ce gap conduisit à une multiplication des « guide-lines », c’est-à-dire des conduite à tenir et des politiques, en fonction des pays ou des institutions [11].

2’) Application légale

Aujourd’hui, la mieux connue des définitions statutaires de la mort, qui intègre la notion de mort cérébrale, est ce que l’on appelle le Capron-Kass proposal. Voici comment elle se présente :

 

« Une personne sera considérée morte [A person will be considered dead] si dans l’opinion exprimée par un médecin, basée sur les standards ordinaires de la pratique médicale, elle a été sujette à un arrêt irréversible [irreversible cessation] de la respiration spontanée et des fonctions circulatoires. Au cas où les moyens artificiels de support vital empêchent de déterminer si ces fonctions ont cessé, une personne sera considérée morte si dans l’opinion exprimée par un médecin, basée sur les standards ordinaires de la pratique médicale, elle a été sujette à un arrêt irréversible des fonctions cérébrales spontanées [irreversible cessation of spontaneous brain functions]. La mort se sera produite au moment où les fonctions en question ont cessé [12] ».

 

De fait, la mort cérébrale entraîne inéluctablement, à plus ou moins brève échéance, l’arrêt irréversible de l’ensemble des fonctions vitales [13].

3’) Critères cliniques

Nous n’entrerons pas dans le détail concret des examens de confirmation, qui sont hiérarchisés : électroencéphalogramme, potentiels évoqués auditifs du tronc cérébral, angiographie cérébrale, scintigraphie cérébrale, etc.

Grandes sont les différences entre les pays (les pratiques et les législations), notamment en ce qui concerne le nombre d’observateurs requis, la spécialité du médecin pratiquant les tests, la durée d’observation et l’utilisation de tests confirmatifs [14]. Par exemple, dans plusieurs pays d’Europe, d’Amérique Centrale et du Sud, et d’Asie, les examens confirmatifs sont requis par la loi. Certains pays comme la Suède exigent l’angiographie cérébrale. L’un des principaux critères est le fameux test d’apnée ou absence de commande respiratoire [15].

Quoi qu’il en soit du détail, aujourd’hui, la grande majorité des pays et des législations a entériné le critère neurologique de la mort du cerveau : « Une étude de critère sur 78 pays a montré qu’il y a une reconnaissance juridique de la mort cérébrale dans plus des deux tiers des pays et, [pour les pays] avec des statuts actuels, dans 86 % des cas [16] ».

4’) Limite du décret de Harvard

Le « Ad Hoc Committee of the Harvard Medical School to Examine the Definition of Brain Death » a introduit une stricte équivalence entre la « mort du cerveau » ou « mort cérébrale » et le « coma irréversible » ou « dépassé ». Or, cette identification pose au moins quatre problèmes. Primo, le concept de « mort cérébrale » est discutable : la mort caractérise un organisme, alors qu’ici le concept est appliqué à un organe (comme on parle de « mort du foie », lors d’une hépatite sévère). Secundo, ces deux notions sont disjointes : la mort signifie la destruction d’un corps vivant, donc est un concept biologique ; or, le coma profond désigne un certain nombre de critères neurologiques, donc est un concept sémiologique. Tertio, la mort est la corruption d’un organe, alors que le coma est la cessation des activités physiologiques ; or, autre chose l’être, autre chose l’opération [17]. Quarto, et c’est la question la plus discutable, la susdite équivalence ne prend pas en compte la complexité des situations décrites par le syntagme de « mort cérébrale ».

Nous reviendrons sur ces difficultés qui font le lit d’une partie des critiques adressées à l’identification de la mort clinique et de la mort cérébrale.

5’) Les trois modèles possibles

L’expression « mort cérébrale » exprime en langage courant la notion de perte irréversible de la fonction cérébrale [18]. En réalité, elle est ambiguë. En effet, le cerveau comporte deux parties : supérieure, avec ses structures corticales et inférieure, le tronc cérébral. Donc, a priori, la mort cérébrale peut désigner la mort soit du néocortex, soit du tronc cérébral, soit de la totalité de l’encéphale, supérieur et inférieur. Les trois définitions ont été proposées, qui sont autant de modalités du modèle dominant. Passons-les en revue et évaluons-les au plan médical.

c) La mort du tronc cérébral

1’) Exposé

Le rapport de Harvard ne distinguait pas explicitement les atteintes de l’encéphale de celles du tronc cérébral. En 1971, des chercheurs ont pris en compte les lésions du tronc cérébral dans le cadre diagnostique de la mort cérébrale : sans cette partie de l’encéphale, il n’y a pas de vie possible [19]. Ils ont alors proposé de voir dans le tronc cérébral le centre de la fonction cérébrale et donc de définir la cessation de ses activités (notamment objectivées par le test d’apnée) comme le critère de la mort du cerveau (et ainsi de la personne). La mort est donc déclarée, indépendamment du statut fonctionnel du cortex, c’est-à-dire de la présence ou de l’absence de fonctions hémisphériques [20].

Inspiré par ce rapport, la Conference of Medical Royal Colleges and their Faculties publia en 1976 une déclaration affirmant l’identité entre mort cérébrale et perte complète et irréversible de la fonction du tronc cérébral [21]. Cette déclaration a inspiré le code de Royaume-Uni relatif à la mort cérébrale et fut adopté principalement par les pays du Commonwealth britannique.

2’) Évaluation critique

Le concept de mort du tronc cérébral a le mérite d’exiger un examen approfondi des fonctions vitales, avant de déclarer que le malade est cérébralement mort [22] ; il permet donc d’éviter de déclarer décédés des patients qui sont en état végétatif chronique.

En revanche, une telle définition restreinte de la mort cérébrale peut engendrer une erreur de diagnostic. D’abord, le « syndrome d’enfermement » (locked-in syndrome) ou « ventral brainstem syndrome » [23] est lié à une infarcissement de la partie ventrale de la protubérance, donc à la destruction de la base de la protubérance cérébrale. Il entraîne la quadriplégie et le mutisme, mais il n’altère pas la conscience, le regard vertical et le mouvement des paupières supérieures – ce qui autorise une communication possible au travers du clignement des yeux. Ainsi, malgré l’atteinte du tronc cérébral, la conscience demeure intacte et peut même disposer de moyens minimes d’expression. De même, l’hypothermie accidentelle par exposition prolongée au froid (température centrale entre 28°C et 32°C) ainsi que nombre de sédatifs et d’agents anesthésiques causant une perte des réflexes du tronc cérébral, de la dilatation des pupilles, et, pour l’hypothermie, une perte de réponse à la lumière. Elle imite donc une perte de la fonction cérébrale.

En réalité, les médecins qui défendent le concept de mort du tronc cérébral ne refusent pas le critère de la totalité cérébrale. Ils veulent seulement répondre à la critique adressée au « concept de la mort du cerveau entier » au nom de l’activité résiduelle de quelques cellules ou groupes de cellules dans le cerveau ou dans le thalamus. Ils souhaitent donc une définition moins stricte de la mort cérébrale.

d) La mort néocorticale

1’) Exposé

La mort néocorticale – ou ses synonymes : « mort corticale », mort du « cerveau supérieur » (en anglais : higher-brain death) – se caractérise par l’arrêt permanent des fonctions corticales hémisphériques sans celui des fonctions du tronc cérébral.

Un certain nombre de chercheurs défend cette conception de la mort cérébrale [24]. « Les critères de la mort cérébrale – écrit l’un d’eux – devraient être basés sur le diagnostic de perte permanente de la conscience plutôt que sur celui de la perte des fonctions végétatives cérébrales [25] ».

L’argument en faveur de cette thèse est philosophique : « Une personne donnée cesse d’exister [a given person ceases to exist] avec la destruction de quelque processus que ce soit qui sous-tend normalement la continuité psychologique de cette personne et sa vie de relation [person’s psychological continuity and connectedness] [26] ». Or, seul le néocortex est nécessaire pour assurer la vie relationnelle. Donc, « la mort du cerveau d’une personne est la mort de cette personne [27] ».

Une enquête a démontré qu’un tiers des médecins aux États Unis confondent mort de tout le cerveau avec mort du cerveau supérieur. En effet, ils parlent de mort du « cerveau » lorsqu’il est seulement question de « mort néocorticale [28] ». Autrement dit, ils déclarent morts une personne qui est en état végétatif persistant.

2’) Évaluation critique

Nous exprimerons tout à l’heure ce que nous pensons de cette définition de la personne au plan philosophique.

Tout d’abord, un certain nombre de médecins et d’universitaires s’opposent à cette conception, défendant à l’inverse le modèle de la mort cérébrale totale (incluant le tronc cérébral) [29].

Ensuite, la mort se définit comme la privation de la vie ; mais la définition donnée par les chercheurs ne concerne pas la vie, mais la vie humaine, en l’occurrence la pensée ou la relation (qui sont propres à l’homme) : c’est ainsi que R.M.Veatch définit la mort comme « la perte irréversible de ce qui est essentiellement significatif de la nature humaine [30] ». Dans le même ordre d’idées, la définition de la personne prend aussi en compte certaines opérations vitales supérieures, psychiques et relationnelles, en les déconnectant opérations vitales inférieures, végétatives ou physiologiques.

Par ailleurs, des personnes (dont le plus fameux est peut-être celui de Karen Anne Quinlan) qui ont subi une destruction totale de leur néocortex avec conservation du tronc cérébral et des structures diencéphaliques, présentent les symptômes suivants : un coma permanent avec EEG isoélectrique, une respiration spontanée, un contrôle de la circulation et des réflexes du tronc cérébral. Or, par ces fonctions physiologiques, leur organisme continue à vivre comme un tout. Donc, il faut affirmer que, malgré l’absence totale de fonctionnement des hémisphères cérébraux, le malade continue à vivre. Voilà pourquoi on parle d’état végétatif chronique – en anglais : PVS (permanent vegetative state) [31]. Assurément, la personne ne peut plus communiquer, ni être conscient, mais elle est encore en vie. Aussi ne peut-on pas affirmer qu’elle est « morte » [32]. Cette conclusion médicale converge avec le sens commun : qui accepterait d’enterrer un patient qui respire et dont le cœur bat sans assistance particulière ?

e) La mort encéphalique (totale)

1’) Exposé

Le troisième modèle est la somme des deux précédents : la « mort cérébrale » est alors comprise comme la perte totale et irrévocable de la fonction du cerveau entier, cortex et tronc cérébral.

La mort encéphalique s’accompagne d’un état de coma irréversible, profond, combiné avec perte de la régulation autonome de l’organisme [33]. Le diagnostic est prononcé lorsque les réflexes du tronc cérébral, les réponses motrices et la commande respiratoire sont absents chez un patient comateux, normothermique, libre de toute influence de drogue, sans désordre métabolique pouvant contribuer à cet état, et présentant une lésion du cerveau massive et irréversible. Là encore, je n’entre pas dans le détail des tests à pratiquer pour s’assurer de la mort du cerveau [34].

La plus forte défense du concept de la « mort cérébrale » a été fournie par trois auteurs déjà cités, James L. Bernat, Charles M. Culver et Bernard Gert, dans une série de quatre articles publiée dans le début des années 1980. Ils y soulignent les distinctions importantes entre la définition et les critères de la mort cérébrale, d’un côté, et les examens pour confirmer la mort cérébrale de l’autre. Leur argumentation, progressive, rigoureuse, est la suivante.

Ils commencent par une définition de la « mort comme l’arrêt permanent du fonctionnement de l’organisme comme un tout [functioning of the organism as a whole] ». En effet, l’« organisme » ne se réduit pas statiquement à la somme des tissus et organes [the sum of the tissues and organ parts] », mais s’identifie dynamiquement à « l’interaction très complexe de son sous-système organique [the highly complex interaction of its organ subsystem] [35] ». Cette interaction est à la fois interne – « Le fonctionnement de l’organisme comme un tout signifie le déroulement d’activités spontanées et innées grâce à l’intégration de tous ou de la plupart des sous-systèmes » – et externe – « au moins une réponse limitée à l’environnement (par exemple les changements de température ou les stimuli lumineux ou sonores) ». La mort réside donc dans « l’arrêt permanent » de la capacité qu’a le corps d’intégrer les différents organes et leurs fonctions.

Puis les médecins appliquent cette définition. La perte permanente de la fonction cardiorespiratoire entraîne cette cessation irréversible du fonctionnement de l’organisme comme un tout. Donc, facilement observable, pendant des siècles, l’arrêt définitif de cette fonction servit de signe clinique de la mort. Mais aujourd’hui, nous avons appris que l’arrêt total et irréversible de la fonction du cerveau entier entraîne aussi la cessation permanente du fonctionnement de l’organisme comme un tout. Or, le lien entre le premier et le second arrêt est non pas contingent, mais nécessaire. En effet, « le cerveau [entier, c’est-à-dire l’encéphale, mais aussi les régions plus primitives comme le tronc cérébral] produit le signal pour la respiration au travers des centres respiratoires du tronc cérébral, et aide au contrôle de la circulation au travers des centres médullaires de contrôle de la pression sanguine ». Par conséquent, « le cerveau est nécessaire au fonctionnement de l’organisme comme un tout [the brain is necessary for the functioning of the organism as a whole] [36] ». Plus encore, en découvrant la mort cérébrale, les médecins et biologistes sont remontés jusqu’à la cause qui, en amont, conduit à l’arrêt cardiopulmonaire. Enfin, en raison du développement de la technologie actuelle de ventilation-perfusion, on observe une dissociation : sans cette aide, « en dépit du support le plus agressif [despite the most aggressive support], le cœur adulte s’arrête dans la semaine suivant la mort du tronc cérébral et que le cœur d’un enfant le fait dans les deux semaines [37] » ; en revanche, avec le maintien mécanique, le support artificiel de la ventilation et de la perfusion, le cœur et les poumons continuent de fonctionner de façon permanente des jours et des semaines après la perte permanente de la fonction cérébrale.

Nos auteurs concluent en toute rigueur : 1. « le critère pour l’arrêt de fonctionnement d’un organisme comme un tout est la perte permanente du fonctionnement du cerveau entier [the criterion for cessation of functioning of the organism as a whole is permanent loss of functioning of the entire brain] [38] » ; 2. donc, « la mort du cerveau est le point au-delà duquel les autres systèmes ne peuvent pas survivre, ou sans, support mécanique [The death of the brain is the point beyond which other systems cannot survive with, or without, mechanical support] [39] ». 3. Inversement, « un patient sous ventilateur ayant un cerveau totalement détruit est simplement un groupe de sous-systèmes artificiellement maintenus en survie vu que l’organisme comme un tout a cessé de fonctionner » ; 4. donc, « la continuation de la fonction cardiopulmonaire grâce à son support artificiel n’est plus en corrélation parfaite avec la vie. La perte de la fonction cardiopulmonaire spontanée n’est plus en correspondance parfaite avec la mort [The loss of spontaneous cardiopulmonary functioning is no longer perfectly correlated with death] [40] ».

Un certain nombre de chercheurs [41], y compris en théologie [42], ont emboîté le pas à cette argumentation.

Nous reviendrons sur le détail de cette argumentation dont la formalisation syllogistique met en évidence les prémisses. Arrêtons-nous seulement à trois conséquences tirées par les auteurs : 1. le découplage synchronique entre fond et apparence empirique) : parlant de l’arrêt cardiorespiratoire, ils affirment qu’« on ne mobilise pas ce support empirique pour une prédiction de mort » ; 2. le découplage diachronique entre les événements que sont la mort cérébrale et la désintégration de l’organisme (comme tout), par la médiation nécessaire de la perte de la fonction cardiopulmonaire spontanée. 3. la question de ce que j’appellerai l’imitation. Pour nos auteurs, le support mécanique « imite[r] la vie intégrée ». Est-ce bien le cas ? Ce système extérieur permet à l’oxygène et au sang de circuler ; mais suffit-il à expliquer son intégration, c’est-à-dire son intériorisation par les cellules et donc la poursuite d’une activité physiologique minimale ? Celle-ci est-elle seulement élémentaire, c’est-à-dire liée aux seuls éléments cellulaires indépendamment les uns des autres, ou bien est-elle coordonnée, certes de manière minimale ?

Ces conséquences conduisent à des objections : 1. La mort du cerveau, en particulier de certains centres présents dans le tronc cérébral, joue un rôle essentiel dans la mort de la personne. Si l’on est remonté en amont du signe plus observable qu’est l’arrêt cardiopulmonaire, le cerveau est-il le centre le plus intime de la vie ?

  1. Un processus biologique, si nécessaire soit-il, n’est pas un événement : n’y a-t-il pas confusion entre l’irréversibilité physiologique et l’irréversibilité ontologique ?
  2. L’imitation est-elle interne ou seulement extérieure ? Les seules aides que sont la perfusion et la circulation peuvent-elles suppléer à l’intégration.

3’) Application légale

Aux États-Unis, la mort du cerveau suppose la cessation irréversible des fonctions du cerveau entier, néocortex et tronc cérébral. Le reste du continent américain suit ces dispositions. Elles s’opposent donc tant à la définition adoptée par le Royaume-Uni et ses anciennes colonies, qu’à la « mort néocorticale » ou « état végétatif persistant ». Le fondement légal est le Uniform Determination of Death Act qui fut rédigé en 1980 par la National Conference of Commissioners of Uniform State Laws et fut accepté par 44 États et le district de Columbia [43]. Répétons toutefois qu’une telle définition demeure générale : l’Acte ne fournit pas de standards spécifiques pour la détermination effective de l’état de mort cérébrale. Le document déclare en effet : « La profession médicale demeure libre de formuler des pratiques médicales acceptables et d’utiliser (pour ce faire) de nouvelles connaissances biomédicales, épreuves diagnostiques et matériel ».

4’) Évaluation critique

Aujourd’hui, il existe un large consensus sur la « mort cérébrale », entendue comme mort de tout le cerveau, les critères cliniques et les explorations confirmatives pour le diagnostic. Pour autant, depuis la publication des premières directives données par le comité de Harvard Medical School en 1968, les standards couramment acceptés pour diagnostiquer la « mort cérébrale » ne représentent qu’une faible amélioration. Contrairement aussi à ce que l’on affirme, il existe toujours une controverse touchant la question de la mort cérébrale. C’est ce que nous allons maintenant voir en détail.

f) Un modèle alternatif

Certains chercheurs remettent en cause le modèle dominant identifiant mort de la personne et mort cérébrale [44].

1’) Les critiques générales

Une première critique, déjà évoquée, contre le modèle dominant est extrinsèque : nous avons vu que, avec négligence, le « Ad Hoc Committee of the Harvard Medical School to Examine the Definition of Brain Death » a introduit une équivalence entre la « mort du cerveau » et le « coma irréversible ». Or, nous avons vu que ces deux notions ne se recouvrent pas. Face à ces confusions, un certain nombre d’auteurs récusent le concept de mort du cerveau [45].

Une deuxième critique, toujours extrinsèque, réside dans le décalage entre le concept courant et le concept scientifique de « mort » [46]. Nous possédons tous une conception spontanée et familière de la mort : notamment liée à l’absence de respiration, de battement cardiaque, de froideur du corps, etc. ; or, désormais, la déconnexion entre mort cérébrale et mort cardiorespiratoire peut, dans le cas de personnes appareillées (sous ventilation-perfusion en service de soins attentifs), mettre en présence d’êtres humains qui respirent et ont un cœur en fonction, mais que l’on déclare mortes. Allons plus loin. Non seulement nous avons le droit de ne pas être dépossédés de notre conception commune de la mort, mais le langage scientifique, à moins d’être purement équivoque, doit prendre en compte le sens courant.

La critique la plus décisive est la suivante. Les partisans de la mort cérébrale (complète) affirment que la mort est « l’arrêt permanent du fonctionnement de l’organisme comme un tout ». Or, malgré la mort cérébrale, l’organisme humain peut encore présenter des activités d’intégration somatiques minimales : aux niveaux endocrinien, métabolique, hépatique et rénal, voire cardiovasculaire [47]. Par exemple, le contrôle neurohormonal, à partir de l’hypophyse, persiste encore chez la plupart des patients cerveau-morts. Cette donnée est de plus confirmée par les modèles expérimentaux [48]. Donc, chez un certain nombre de patients dits « cerveau mort », certaines fonctions vitales persistent quelque temps [49]. Autrement dit, une personne en mort cérébrale est encore en vie, même si c’est pour peu de temps. Précisons : des patients répondant aux critères diagnostiques de mort cérébrale, voire présentant une nécrose du tissu cérébral, y compris de l’hypothalamus, possèdent encore une hypophyse intacte au moins partiellement [50] ; or, celle-ci peut encore secréter l’hormone antidiurétique [51] ; comme cette hormone contrôle l’homéostasie sel-eau qui joue un rôle physiologique décisif pour la survie de l’organisme comme tel ; l’organisme peut donc procurer, même en cas de mort du cerveau, une relative stabilité de son milieu intérieur sur ce plan neurohumoral.

2’) Les critiques de Shewmon

Le professeur de neurologie américain David Alan Shewmon, l’un des meilleurs spécialistes de cette question, est celui qui a critiqué avec le plus d’endurance le concept de « mort cérébrale » [52]. Voici quelques-uns de ses principaux arguments.

  1. Ceux qui plaident en faveur de l’identification entre mort cérébrale et mort de l’organisme constatent que les corps des personnes « cerveau mort » « se détériorent inexorablement jusqu’au collapsus cardio-vasculaire terminal en dépit des thérapies les plus agressives et des efforts de réanimation ». Précisément, la littérature montre que, « en dépit de tous les efforts pour maintenir la circulation du donateur, l’arrêt cardiaque irréversible se produit habituellement dans les 48 à 72 heures suivant la mort du cerveau chez l’adulte, bien que cela puisse prendre aussi longtemps que 10 jours chez l’enfant [53] ». Or, le cœur assure le fonctionnement de l’organisme comme un tout. Par conséquent, il existe un délai entre la « mort du cerveau » et la « mort de l’organisme ».
  2. Par ailleurs, Shewmon a opéré une méta-analyse des cas de « mort du cerveau » qui ont été publiés dans le littérature scientifique, et où il y a eu survie pendant une semaine ou plus [54]. Il cite notamment deux cas éloquents qu’il a suivis personnellement. Le premier est un patient de 14 ans ayant subi un traumatisme crânien. Après plusieurs semaines en unité de soins intensifs, il fut transféré à la demande de ses parents dans un établissement de soins qualifiés, où il fut maintenu en vie seulement par ventilation mécanique et fluides parentéraux. Or, il est mort au bout de 65 jours d’une infection non traitée. Le second, encore plus spectaculaire, est un garçon, TK, qui avait contracté une méningite à haemophilus influenzae à l’âge de quatre ans, produisant un œdème cérébral extrême ; il s’en suivit un coma profond, avec électroencéphalogramme isoélectrique, une cavité crânienne remplie de membranes désorganisées en neuroimagerie, une absence de flux sanguin à l’angiographie par résonance magnétique, de respiration spontanée et de réflexe du tronc cérébral. Or, à l’âge de 18 ans et demi, soit 14 années et demie plus tard, il était encore « vivant », à domicile, sous ventilateur, seulement nourri par gastrostomie. Depuis que l’article a été publié, le jeune homme est mort, en janvier 2004, après 20 années en état de mort cérébrale.

Dans ces deux cas et les autres, il s’agissait de cas de mort fondés sur le standard américain du « cerveau entier », sauf quelques cas fondés sur le standard britannique de « mort du tronc cérébral ». Tous ces cas avaient été déclarés formellement comme « cerveau mort » par des médecins supposés compétents, et le diagnostic avait souvent été confirmé par d’autres médecins, y compris au moins un neurologue ou neurochirurgien. Nombre de ces articles mentionnaient des résultats d’examens de confirmation. Par exemple, une IRM a objectivé que le cerveau entier (tronc cérébral compris) de TK était entièrement détruit [55]. D’ailleurs, l’autopsie pratiquée à sa mort a assuré que « son cerveau avait été détruit [destroyed] par les événements associés à l’épisode du H influenzae type b meningitis alors que le corps demeurait vivant (cerveau mort avec corps vivant) [his body remained alive (brain death with living body)], pour plus de deux décennies [56] ».

Or, dans tous ces cas de survie prolongée, les patients ont survécu sans technologie « agressive ». Par exemple, on ajouta de la vasopressine à l’épinéphrine [57]. Or, l’apport d’une hormone paraît peu de choses : comparativement, les patients en unités de soins intensifs bénéficient habituellement d’un arsenal autrement sophistiqué ; pourtant, ils sont considérés comme « vivants ». Aussi Shewmon parle-t-il volontiers de « mort chronique du cerveau » – ce qui suscite des réactions chez les autres médecins. Il faut dire plus : dans l’acte thérapeutique, plus l’aide médicale est faible et plus l’organisme est cause principale de la guérison, autrement dit, plus il est intégré. Donc, le faible apport externe (une hormone) signale que le sujet en « mort cérébrale » possède encore un corps (minimalement) intégré. Shewmon conclut que les patients en mort cérébrale peuvent survivre et que leur mort n’est pas due au cerveau, mais à des facteurs extérieurs.

  1. Shewmon s’attaque aussi au concept sous-jacent des partisans de la mort cérébrale, à savoir leur compréhension du rôle du cerveau. En effet, le cerveau y apparaît comme un modulateur et un régulateur. Mais la régulation et la modulation supposent l’intégration du corps. Donc, le cerveau ne peut pas être l’« intégrateur central » du corps, comme le suppose la conception standard [58]. Plus généralement, « le professeur Shewmon décrit pas moins de quinze fonctions intégratives chez des personnes au cerveau mort [59] ». Ainsi les fonctions cardiocirculatoires, endocrines, digestives font appel à des mécanismes extracérébraux ; or, elles sont nécessaires – voire suffisantes – à la vie.
  2. Notre auteur fait aussi valoir l’argument d’une activité de haut niveau chez des personnes diagnostiquées cerveau-mort : plusieurs femmes en état de mort cérébrale ont pu mener à bonne fin leur grossesse [60]. Précisément le professeur Shewmon fait état de 12 cas sur 17 où l’on a abouti à l’accouchement d’un enfant, après 7 à 107 jours [61]. C’est donc que la mort du cerveau ne peut s’identifier à la mort biologique.
  3. Le professeur Shewmon raisonne aussi par analogie : le cœur peut être substitué par une pompe, les poumons peuvent être substitués par un ventilateur mécanique ; et les partisans de la mort cérébrale affirment que cette substitution prouve leur inutilité. Or, nous n’avons pas encore les moyens de substituer le cerveau ; mais si nous arrivions, on ne pourrait plus en conclure que l’intégration de l’organisme vient de celui-ci. [62]

3’) Confirmations philosophiques

Deux philosophes critiquent âprement le modèle de la mort cérébrale (même totale) : Josef Seifert [63] et Robert Spaemann [64]. Considérons quelques arguments que ce dernier fait valoir.

a’) Le sens commun

Selon le sens commun, les hommes se sont donnés pour critère, l’arrêt de la respiration et du battement du cœur, la raideur cadavérique, etc. Or, ces critères ne sont pas scientifiques, mais d’observation extérieure, accessible à la famille, aux proches. De plus, à cause des possibles erreurs, il est traditionnel d’attendre un temps entre l’apparition de ces signes et l’enterrement (ou la crémation) [65].

Or, le sens commun n’est pas simplement bon sens. D’abord, il est ici relayé par une tradition immémoriale [66]. Ensuite, il y va, pour le philosophe allemand, d’une donnée métaphysique centrale : « La vie est l’être du vivant : Vivere viventibus est esse », disait Aristote. Or, l’être échappe à toute définition, puisqu’il est inconceptualisable. Donc, de même que nous ne pouvons définir l’être ne pouvons-nous définir la vie. Or, la mort est le contraire de la vie. Voilà pourquoi la science ne peut non plus prétendre définir la mort. Donc, « nous ne pouvons définir la vie et la mort, parce que nous ne pouvons définir l’être [being] et le non-être [67] ».

Enfin, face à la dissociation entre l’évidence du sens commun et l’inévidence des critères scientifiques depuis la déclaration d’Harvard, Spaemann argumente en faisant appel à une analogie éloquente à l’époque des partisans des droits des animaux et de la libération animale : « Il est arrivé quelque chose de presque similaire [quite similar] au xviie siècle, lorsque la science cartésienne dénia ce que tout le monde peut voir, à savoir que les animaux sont capables de ressentir de la souffrance. Ces scientifiques firent des expérimentations horribles sur des animaux et clamèrent que les expressions de la souffrance, évidentes pour tous, étaient de simples réactions mécaniques [68] ».

b’) La confusion entre agir et être

L’être n’est pas l’agir ; or, la fonction est de l’ordre de l’agir et la vie (et son contraire, la mort qui se définit comme désintégration ou corruption du corps) de l’ordre de l’être ; donc, la perte irréversible des fonctions cérébrales ne peut s’identifier à la mort du cerveau – « De même, nous n’égalons pas la cessation du battement du cœur avec la destruction du cœur [69] » –, a fortiori à la mort de la personne. Or, le critère retenu en cas de mort cérébrale est la cessation des activités cérébrales. Donc, ce critère est insuffisant pour certifier la mort d’une personne.

c’) L’unité de la personne

La mort est la privation de vie et celle-ci est une caractéristique de toute la personne humaine ; or, le cerveau n’est qu’un organe, une partie ; par conséquent, la mort du cerveau ne peut signifier la mort de toute la personne. Le même argument vaut d’ailleurs pour le système cardio-respiratoire.

Les systèmes endocrine, homéostatique et immunologique sont nécessaires pour soutenir l’unité fonctionnelle de l’organisme ; or, ils ne sont pas soumis, en tout cas pas totalement, à la régulation du système neurologique ; par conséquent, le cerveau n’exerce pas une fonction coordinatrice unique. Et sa mort ne peut être un signe indubitable de mort du corps.

d’) La tentation utilitariste

On ne saurait minimiser ni la tentation utilitariste, ni la réalité des conséquences mortifères liées à la demande d’organes. En effet, le besoin subjectif de transplants trouble nécessairement le débat sur les critères objectifs de morts du patient. De plus, aujourd’hui, la logique qui prévaut est celle du receveur plus que celle du donneur ; or, les besoins du receveur sont tellement importants qu’ils créent une pression psychologique obscurcissant le discernement éthique, surtout dans le cadre de l’éthique conséquentialiste actuellement majoritaire. Le professeur Spaemann ose conclure : le concept de « mort cérébrale » est une « construction utilitariste », « une construction sociale créée pour un propos utilitaire, principalement pour permettre les transplantations d’organes [70] ».

Certes, le discours officiel plaide pour l’étanchéité entre les deux motivations. Mais autre est l’intention, autre la réalité. D’ailleurs, le parallélisme des attitudes avec la demande en organes permet d’émettre de fort doute sur ce prétendu découplage des objectifs. La psychanalyse freudienne nous a justement alerté sur la naïveté des autojustifications, qui sont des motivations reconstruites a posteriori. Ce n’est donc pas l’indignation de ceux qui en appellent à la pureté de leurs intentions et à la seule importance des enjeux qui saurait convaincre. Il faut réaffirmer haut et fort que la perspective première est celle du donneur et s’assurer que son bien n’est pas instrumentalisé en vue du bien du receveur.

Aussi S.J. Youngner parle-t-il d’un « consensus superficiel et fragile [superficial and fragile consensus] » sur les critères de définition de la mort [71]. Voire, il affirme que leur détermination est plus l’effet d’un choix qu’une donnée : « Avant la naissance des unités de soins intensifs modernes, la mort survenait plus ou moins d’un coup. Maintenant nous avons la capacité de séparer [the ability to tease apart] les différents composants de la vie humaine, et de garder certains en fonction alors que les autres ont été perdus de façon irrémédiable. Ainsi, nous avons à choisir [we are forced to choose] entre différentes fonctions et niveaux d’organisation de la vie [functions and levels of organization of life], déclarant parfois qu’il y a mort alors qu’une certaine forme de vie persiste [life of some sort remains], rappelant de façon palpable et douloureuse cette personne aimée qui ne vit désormais plus ». Et il conclut : « Nous ne sommes pas encore arrivés à la fin du débat sur la définition de la mort [We have not heard the end of the debate about defining death] [72] ». Or, le choix est un acte de la volonté. Déconnecté du discernement qui est un acte de l’intelligence, il devient volontariste. [73]

Cette objection majeure ouvre sur des attitudes préventives. Certains affirment que le patient devrait avoir le droit de décider de donner ses organes indépendamment de la détermination de sa mort : « Les questions sur le moment où les soins peuvent être arrêtés de façon unilatérale, sur le moment où les organes peuvent être prélevés, et sur le moment où un patient est prêt pour les services d’un croque-mort devraient avoir leur réponse indépendamment du simple compte rendu de mort [74] ». Un autre moyen concret proposé par Robert Spaemann serait de demander aux médecins qui ne sont pas impliqués dans la transplantation de déterminer la mort – ce qui n’est pas aujourd’hui le cas [75].

4’) Proposition de Shewmon : un modèle holistique

Ainsi, les malades qui sont déclarés actuellement « cerveau mort » peuvent être en train de mourir ou bien sont malades au delà de tout espoir, mais ils ne sont pas encore morts. Robert Spaemann rapporte le mot d’un anesthésiste allemand : « Brain-dead people are not dead but dying [76] ». Autrement dit, l’unité de l’organisme ne disparaît pas totalement et immédiatement lorsque le cerveau meurt.

Si le cerveau n’est pas le médiateur de l’unité de l’organisme, quelle est l’instance qui assure le fonctionnement de l’organisme comme un tout ? Shewmon ne plaide nullement en faveur d’un retour (qui, dit-il, serait une « régression ») au critère cardiorespiratoire, ni à un cardiocentrisme obsolète, versus le modèle cérébral. En effet, ces deux modèles sont atomistiques et valorisent un organe contre l’organisme, autrement dit une partie contre le tout.

Plus généralement, David Shewmon affirme que l’intégration est l’acte du tout et ne nécessite pas la médiation d’un organe médiateur. En effet, l’embryon vit et croît comme un tout ; il en est de même du végétal. Or, ils ne possèdent pas d’organes intégrateurs. Donc, « integration does not necessarily require an integrator ».

En positif, si cette « unité intégrative » n’est pas localisée dans un organe particulier, elle vient de l’intégration mutuelle de toutes les parties. Shewmon prône donc une conception holistique de la corporéité. Autrement dit, il envisage l’organisme comme une totalité interconnectée jusqu’au niveau élémentaire (la cellule), par la médiation du système d’oxygénation qu’est la circulation du sang [77].

g) Le débat

Les deux positions (favorable et défavorable à l’identification de la mort de la personne et de la mort du cerveau) ont débattu entre elles, en particulier dans le cadre de colloques organisés par l’Académie Pontificale pour la Vie, en février 1999, et les 11 et 12 septembre 2006. Considérons seulement ce dernier [78]. D’un côté, l’Académie pontificale des sciences s’est engagée en faveur du concept de mort cérébrale [79]. Selon la position largement majoritaire, « la mort du cerveau est la mort de l’individu » humain, de la personne – ce qui a débouché sur une nouvelle déclaration de ladite Académie [80], signée de la presque totalité de ses membres, dont trois cardinaux et un évêque, et datée de 2008. De l’autre, un des membres éminents de l’Académie, le professeur et philosophe Robert Spaemann et, à ses côtés, le docteur en médecine David Shewmon – qui est consultant, mais ne fut jamais membre –, se sont opposés à cette déclaration [81]. Très minoritaires, ils refusent pourtant la thèse de la mort cérébrale et affirment que la mort de l’organisme est une mort non pas seulement d’un organe, mais de la totalité de l’organisme. Mais cette position est argumentée de manière suffisamment convaincante pour qu’elle ait fait l’objet du susdit colloque.

Il est hors de question de donner le détail de tous les arguments et de tous les contre-arguments, dont d’ailleurs un certain nombre ont déjà été exposés. Je relèverai seulement quelques objections nouvelles et quelques réponses, afin de donner une idée de l’état des lieux.

1’) Critiques du modèle alternatif

Un certain nombre d’objections ont été adressées à Shewmon (et d’autres).

  1. Contre les cas produits par Shewmon, Eelco Wijdicks [82] fait valoir que : a. il s’agit de cas exceptionnels – de fait, il ne retient que 56 cas [83] ; b. ils sont documentés de façon plus anecdotique que scientifique. Par exemple, nombre de ces cas sont rapportés sans détails de l’examen neurologique ; c. certains de ces cas rapportent des réponses motrices incompatibles avec le diagnostic de mort cérébrale ; d. les déclarations de mort cérébrale dans ces cas ont souvent été faites de façon incorrecte ; e. l’épreuve d’apnée, avec résultats indiquant l’absence d’effort respiratoire pour une PaCO2 (pression partielle de gaz carbonique) de 60 mmHg, est un des critères les plus décisifs pour parler de mort cérébrale ; or, elle n’a été pratiquée que dans deux des 56 cas rassemblés par D.A. Shewmon ; etc.
  2. Contre l’argument de la grossesse chez des femmes en mort cérébrale, les Académiciens isolent l’utérus du reste de l’organisme : « L’utérus de la mère et ses autres organes sont soutenus comme récipient technique [sostenuti come recipiente tecnico] pour la grossesse, d’une manière similaire à ce qui se fait pour maintenir le cœur ou les reins perfusés [84] ». De même, la secrétion résiduelle par l’organisme cérébralement mort est considérée comme des « phénomènes transitoires [fenomeni transitori] ». De manière générale, « il n’est absolument pas nécessaire que chaque cellule à l’intérieur du crâne soit morte [sia morta ogni singola cellula all’interno del cranio] pour déclarer la mort du cerveau [85] ».
  3. Contre l’absence de critères objectifs de mort autres que la constatation de la mort cardio-respiratoire chez ceux qui refusent le concept de mort cérébrale totale, les partisans de celui-ci avancent un argument pragmatique : même si le débat au sujet de la « mort cérébrale » est toujours ouvert, même si nos critères ne sont pas satisfaisants, nous avons besoin de critères objectifs pour déclarer une personne « morte » [86].

2’) Critiques de la critique du modèle alternatif

La quaestio disputata n’est pas close ! Les opposants ne manquent pas de contre-arguments non plus. Par exemple :

  1. À propos de la prétendue imperfection des observations de Shewmon, celui-ci a répondu en détail [87]. Par exemple, il s’agit non pas de 56 cas, mais de 175. Ensuite, les informations sur les différents cas sont véritablement sérieuses (cf. le détail documenté du cas de TK rapporté plus haut). Wijdicks lui-même reconnaît lui-même que la plupart des sujets en état de mort cérébrale présentent une détérioration rapide et développent hypotension réfractaire à la réanimation et asystolie, quel que soit le traitement appliqué ; toutefois, il n’affirme pas que l’on peut universaliser à tous les cas.
  2. À propos de la grossesse qui serait un acte seulement local concernant les interactions placenta-vaisseaux sanguins maternels que l’assistance médicale peut maintenir artificiellement, le professeur Manni repart de la définition de la mort comme « la perte irréversible de la capacité d’intégrer et de coordonner les fonctions physiques et mentales du corps [88] ». Or, mener une grossesse à son terme « nécessite un fonctionnement très coordonné de l’organisme comme un tout. Le désordre fonctionnel d’un seul organe suffit à interdire à la grossesse d’être menée à terme [89] ». Autrement dit, la gestation est un processus complexe qui met en jeu bien d’autres paramètres, par exemple hormonaux ; cet acte biologique de grande perfection et de haute portée ne peut être le fruit d’un seul organe. [90]
  3. À propos de l’absence de critères nouveaux, les partisans du critère de la mort encéphalique reconnaissent eux-mêmes qu’ils cherchent à « joindre les préoccupations utilitaristes et déontologiques [91] ». Or, ces deux perspectives sont contradictoires.

h) Conclusion provisoire

Aujourd’hui, la position largement dominante chez les chercheurs et les médecins, non catholiques et catholiques, est celle de l’identification entre mort cérébrale et mort de la personne. La récente détermination de l’Académie pontificale pour la vie l’atteste. Toutefois, sans être rigides (les échanges montrent qu’ils écoutent, se remettent en question, concèdent, voire évoluent), les partisans de la posture minoritaire ne s’estiment toujours pas convaincus par les arguments avancés par la posture majoritaire en faveur de l’identification mort personnelle-mort cérébrale.

2) Détermination philosophique

« Une grande part de la confusion qui s’est développée autour de la controverse sur la mort cérébrale est due à un manque de séparation rigoureuse et de formulations ordonnées de trois éléments distincts [three distinct elements] : la définition de la mort, les critères médicaux pour déterminer quand cette mort se produit [death has occurred], et les tests pour montrer que les critères ont été satisfaits [tests to prove that the criterion has been satisfied] [92] ». Or, en ce ternaire, volontiers repris depuis que Bernat, Culver et Gert l’ont proposé, si le « critère [criterion] » ou signe clinique et le « test » pour déterminer le critère relèvent de la biologie et de la médecine, en revanche, la « définition » ou concept de la mort relève de la philosophie [93]. Nous aborderons brièvement quatre points.

a) Détermination ontologique

Ne pouvant entrer dans le détail de la doctrine traditionnelle, j’en rappelle les principales conclusions, telles qu’elles ont été élaborées par Thomas d’Aquin [94] – « La psychologie thomiste constitue incontestablement le sommet de l’anthropologie médiévale [95] » –, recueillant un long héritage et résolvant avec équilibre bien des apories [96].

Comme toute âme et même plus que toute âme, l’âme humaine est l’acte premier d’un organisme : elle est unie au corps comme sa forme ou son acte (et non pas seulement comme son moteur, ainsi que le disait Platon). Comme âme proprement humaine, elle est âme intellective ou esprit. Ainsi se trouvent sauvegardées deux affirmations décisives relatives à notre constitution anthropologique, l’unité et l’immortalité (donc la survie de l’âme après la mort, survie individualisée, mais non personnelle, puisque la personne humaine est une de corps et d’âme). Cette doctrine traditionnelle – qui a été recueillie par le Magistère au Concile de Vienne en 1311-1312 – mériterait d’être actualisée en croisant le discours métaphysique avec le discours scientifique – par exemple à partir de la théorie de l’information (le vivant est un système néguentropique), sans pourtant réduire de manière matérialiste l’âme à la seule information – ou le discours phénoménologique – l’homme ne s’éprouve pas vivant à 50 % et même pas à 99 %, sauf à parler métaphoriquement [97].

Il s’ensuit plusieurs conséquences d’importance pour notre débat. Tout d’abord, l’âme est acte (ou forme) et pas seulement moteur (ou efficience) ; or, les partisans de la mort cérébrale défendent la position selon laquelle le cerveau serait un medium, un « instrumentum coniunctum », dont l’âme userait pour ses opérations [98]. N’est-ce pas régresser d’une anthropologie uniduelle (aristotélicienne) à une anthropologie dualiste (platonicienne) ? Ensuite, une est la forme du corps. Donc, une (unique) est l’âme humaine – conclusion qui s’oppose à la conception bonaventurienne des âmes emboîtées. Par ailleurs, l’âme est principe de la vie, jusque dans sa forme la plus élémentaire, physiologique, végétative, comme la digestion, la circulation, la respiration, l’excrétion. Par conséquent, l’on doit inférer de la présence de ces fonctions, naturellement effectuées, à la présence de leur principe qui est l’âme humaine. Même lorsque les opérations spirituelles semblent empêchées, c’est l’âme en la totalité intégrée de ses capacités [99] qui continue à informer le corps. Ainsi les partisans de la théorie du cerveau supérieur réduisent le principe de vie à l’anima intellectiva et adhèrent à l’anthropologie franciscaine de la pluralité des formes. Enfin, l’Académie pontificale pour la vie reconnaît elle-même que « le cerveau est le centre recevant toutes les espériences sensorielles, cognitives et émotionnelles [centro ricevente di tutte le esperienze sensorie, cognitive ed emotive] », autrement dit de la vie sensitive. Si l’âme est principe de toutes les opérations, végétatives, sensitives et intellectives, elle ne peut donc continuer en concluant que « le cerveau agit comme moteur central neuronal de l’existence [agisce come motore centrale neuronale dell’esistenza] [100] ».

b) Détermination chronologique

La détermination ontologique se traduit par un certain nombre de déterminations chronologiques qui sont autant de révélateurs. Pour cela, il est nécessaire de clarifier un vocabulaire souvent flou. Le moment est une portion de temps, donc une durée continue d’une certaine extension ; l’instant est l’élément indivisible (atomique, au sens étymologique) du temps, donc ne présente aucune durée. De même, le processus est un mouvement progressif, que mesure donc une durée ; nous conviendrons de le distinguer de l’événement que l’on définira comme un changement instantané.

Appliquons ces distinctions d’abord à la définition du moment de la mort. Cette expression polysémique recouvre trois réalités très différentes : (1) l’état immédiatement antérieur au décès que nous allons définir ; (2) la mort proprement dite comme séparation de l’âme et du corps, et donc immédiate disparition du principe intégrateur et transformation du corps en cadavre ; (3) le processus postérieur par lequel la disparition de l’âme va se traduire en décomposition perceptible.

Appliquons-les ensuite à la temporalité dans laquelle s’inscrit la mort. L’instant s’oppose au moment comme le point à la ligne : le premier est discret et ne peut se mesurer, tandis que le second est continu, donc peut se mesurer. Dès lors, l’état (1) précédant la mort et l’état (3) lui succédant se déroulent sur une durée continue et finie, s’achevant pour (1) en avant (en aval) par la mort, débutant pour (3) en arrière (en amont) par la mort. En revanche, à l’instar de tout devenir substantiel, la mort est instantanée. Or, souvent, la distinction entre le moment du processus conduisant à la mort (ce que les anglosaxons appellent dying) et le moment de la décomposition n’est pas clairement opérée. Certes, il s’agit de deux processus, donc de deux mouvements progressifs, continus, s’effectuant sur une durée. Mais ils diffèrent radicalement en ce qu’ils se succèdent et en ce qu’ils sont séparés non pas par un moment, mais par un instant, qui est celui de la mort. En ce sens, contre le cardinal Martini qui propose de parler de la mort comme d’un « processus [process] irréversible qui est incapable d’intégrer la personne, et ce procès évolue jusqu’à la complète disparition du corps », le professeur Spaemann a raison d’affirmer : « Il n’y a pas de continuité entre la mort et la décomposition [kein Kontinuum von Sterben und Verwesung] [101] ».

Inversement, dans le processus entropique et agonique du « mourir [dying] », « il y a une disparition graduelle du principe systémique », c’est-à-dire l’âme, et c’est seulement au terme de cette « lutte » perdue contre la désintégration que survient la « mort [death] [102] ». De même, dans l’article cité ci-dessus, J.L. Bernat et ses confrères distinguent avec justesse la mort comme processus (dying) et la mort comme événement : « La mort ne devrait pas être considérée comme un processus, mais comme un événement qui sépare le processus du mourir du processus de désintégration ». Le français ne possédant pas les ressources de l’anglais, il faudrait peut-être oser substantiver le verbe « mourir » pour distinguer clairement le mourir (dying) et la mort (death). [103]

c) Détermination holistique

L’approche hylémorphique, même doublée d’une approche ontochronique, ne saurait suffire. La question posée requiert une vision sapientielle plus affinée du corps humain. Elle nous manque cruellement : d’un côté, la philosophie valorise presque exclusivement les approches phénoménologiques du corps, autrement dit, son vécu subjectif (ce que veut traduire la distinction entre corps et chair), alors qu’il s’agit ici de comprendre l’organisme dans sa structure objective ; de l’autre, les sciences de la vie offrent une connaissance extrêmement précise, mais analytique et éclatée, ou, lorsqu’elles pensent le tout, leur vision systémique se réduit à la seule homéostasie [104]. Ce paragraphe, le plus original de l’article, souhaiterait faire quelques hypothèses de travail.

  1. Dans le cas du vivant humain, l’âme est une réalité spirituelle. Or, corps et esprit sont deux réalités différentes, deux « ordres », aurait dit Pascal. Comment dès lors ne pas sombrer dans le dualisme ? On connaît la réponse de saint Thomas, qu’il emprunte à Aristote : l’âme épouse le corps comme l’acte la puissance [105]. Mais la puissance doit être proportionnée à l’acte. Dans l’étude la plus détaillée qu’il ait consacrée aux relations de l’âme et du corps, l’Aquinate se pose lui-même la question : « L’âme est-elle unie au corps par un intermédiaire quelconque ? ». Il répond notamment : « l’âme est comme forme unie au corps sans médiation [sine medio], et comme moteur par médiation [per medium] ». Plus précisément, cette médiation opère par une partie principale : « Entre l’âme, selon qu’elle est moteur et principe des opérations, et le corps tout entier s’interpose quelque médiation [aliquid medium], pour la raison que, par la médiation d’une première partie, elle meut les autres parties à leur opération [106] ». Mais n’est-ce pas trop séparer cause efficiente et cause formelle, d’autant que le moteur meut en communiquant sa forme ? On pourrait donc demeurer fidèle au principe de Thomas et se distancier de sa conclusion, en émettant une première hypothèse : pour être unie au corps [107], l’âme spirituelle doit bénéficier de certaines médiations corporelles.
  2. Or, le Docteur angélique s’est déjà posé la question à propos de l’action que les anges, pures créatures spirituelles, peuvent exercer sur les corps. Se fondant sur le principe dionysien selon lequel ce qui est supérieur dans l’ordre inférieur touche (et se communique à) ce qui est inférieur dans l’ordre supérieur, il répond que la créature angélique a pouvoir sur le mouvement local, qui est le plus subtil des trois sortes de devenir (physique, chimique et biologique) [108]. Ce principe ne doit-il pas aussi s’appliquer à l’unitas formelle – qui est plus que l’unio efficiente [109] – entre l’âme humaine et son corps ? De manière suggestive, le théologien peut-être le plus attentif à la matière qu’est saint Irénée expose ainsi la création de l’homme : « Quant à l’homme, c’est de ses propres mains que Dieu le modela en prenant, de la terre, ce qu’elle avait de plus pur, de plus ténu et de plus délicat [purissimum et tenuissimum et delicatissimum] et en mélangeant, dans la mesure [ad mensuram] qui convenait, sa puissance avec la terre [110] ». Ne doit-on donc pas affirmer que l’âme spirituelle s’unit elle aussi au corps humain par la médiation de structures et de fonctions « très pures, très pures et très délicates », bref très subtiles ? Les Anciens tentaient d’y répondre en parlant des « esprits animaux » et des « humeurs ».
  3. Du point de vue de la structure ou de l’organe, saint Thomas, fidèle au cardiocentrisme de son maître Aristote, identifie ce qu’il appelle « la première partie médiatrice » au cœur : « par la médiation du cœur elle meut les autres membres à leurs opérations vitales [111] ». Cette partie première pourrait-elle être aujourd’hui le cerveau ? En effet, l’organisme comporte différents systèmes intégratifs (endocrinien, cardiorespiratoire, immunologique) ; mais ils dépendent tous du contrôle du cerveau entier (tronc cérébral pour les fonctions végétatives et endocriniennes, cortex cérébral pour le contrôle de la motricité et l’intervention de conscience) ; donc, l’encéphale serait, non pas le principe vital de l’organisme qu’est l’âme, mais l’organe médiateur de cette unification qui permet à l’organisme de fonctionner comme un tout, c’est-à-dire de posséder une capacité permanente d’auto-constitution, d’auto-réparation et d’auto-contrôle (ou d’auto-régulation).

Mais doit-on se limiter au seul cerveau ? Rien n’est moins sûr. C’est ici qu’intervient la perspective holistique que le professeur Shewmon appelle de ses vœux. Il ne s’agit assurément pas de proposer une vision systémique réactive à l’égard de la vision trop mécaniste qui prévaut en Occident, mais d’intégrer les deux points de vue [112]. Ne faudrait-il pas prendre en compte de manière moins hiérarchisée les différents systèmes composant l’organisme [113] et interroger, avec toute la rigueur scientifique développée depuis Descartes et Pascal, ce que des médecines orientales peuvent nous apprendre de l’harmonie du corps humain, en lui-même et avec son environnement [114] ?

  1. Du point de vue de la fonction ou de l’opération qui finalise la structure, Thomas en demeurait au mouvement local. La physique nous permet d’affiner son approche. Parmi les mouvements locaux, le mouvement ondulatoire, est le plus subtil qui soit, puisqu’il réalise cette merveille qu’est la translation d’information (d’une déformation) sans transfert de matière. Autrement dit, l’ondulation, la pulsation est ce qui, au sein de l’ordre matériel se rapproche le plus de l’esprit. Là encore, il ne s’agit pas d’opposer ce que la médecine nous apprend de la mécanique des organes et des opérations biochimiques se déroulant dans les cellules, mais de prendre en compte les rythmes, spontanés, par exemple, à travers des tissus moins explorés comme les fascias [115], et d’interpréter l’intégration opérée par l’âme aussi par la médiation de cette harmonie dynamique qu’est la rythmique [116].
  2. Nous ne sommes pas loin de notre question. Il ne s’agit pas de nier que la mort du cerveau entraîne la mort du corps humain – ni même que, d’un certain point de vue, le cerveau soit médiateur de la vie –, mais simplement de nier l’identification des deux types de mort. C’est ce que répond le professeur Spaemann à une objection du Dr. Ropper : « Il confond une théorie causale [causal theory] qui affirme que la perte du cerveau a normalement pour résultat immédiat la mort de la personne, avec une définition [definition] qui identifie les deux événements [117] ». Mais les approches nouvelles que nous proposons encore à titre programmatique pourraient-elles offrir des critères inédits (qu’il faudrait valider) : sur la disparition totale de toute harmonie, de toute rythmique, par exemple des fascias… ?

d) Détermination épistémologique

Quand on lit en détail les débats, par exemple à l’Académie pontificale des sciences, voire quand on se permet de lire entre les lignes, un point frappe : la rupture épistémologique entre les discours des scientifiques et les discours des philosophes [118]. La faiblesse philosophique est elle-même soulignée par les partisans de la mort cérébrale au colloque de l’Académie pontificale pour la vie : « L’unique contribution philosophique fut donné par le prof. Spaemann qui est opposé à la mort cérébrale comme critère pour la mort [119] ». Shewmon lui-même se défend d’être philosophe, lorsqu’il compare les problèmes de détermination de la mort à ceux de détermination de début de vie, autour des jumeaux, etc. : « Je ne suis pas philosophe [I am not a philosopher] [120] ». Il est d’autant plus significatif qu’il défende (il parle même d’un « besoin ») « un affinement [refinement] de l’anthropologie aristotélico-thomiste [121] ».

De même que du point de vue objectif (ontologique), une issue au débat semble s’ouvrir dans une approche plus holistique, de même, du point de vue noétique (épistémologique), « la vérité » ne se trouvera-t-elle pas dans une rencontre des disciplines, un « lógos qui effectue [efficit] un diá-logos [122] », autrement dit dans une authentique et féconde interdisciplinarité – sur laquelle reviendra la conclusion ? [123]

3) Une détermination magistérielle ?

Un certain nombre d’auteurs catholiques se prévalant de l’autorité magistérielle [124], il convient donc de l’examiner brièvement. Le sujet est très sensible [125], surtout dans les milieux pro-life américains [126].

Considérons l’enseignement de Jean-Paul II et de Benoît XVI – nous limitant aux critères cliniques de la mort, sans envisager les affirmations du Magistère [127] concernant la nature de la mort [128], son présupposé, la composition corps-âme [129] ou le don d’organes [130].

a) L’enseignement de Jean-Paul II

Saint Jean-Paul II a proposé une détermination sur la question du critère clinique de la mort, lors d’une allocution au 18e Congrès international de la société de transplantation qui s’est tenu au terme de l’été 2000 [131]. Si la détermination est brève, elle est néanmoins importante, car elle est la première parole du Magistère sur ce sujet. Systématisant son propos sur la mort en se fondant sur les catégories déjà utilisées, nous distinguerons trois aspects : ontologique, chronologique et sémiologique (donc, pour nous, ontophanique).

  1. Du point de vue ontologique, Jean-Paul II rappelle la définition classique de la mort comme « séparation du principe de vie, ou âme, de la personne d’avec sa corporéité [separazione del principio vitale, o anima, della persona dalla sua corporeità] ». En réalité, à lire attentivement le texte, cette séparation ne notifie pas l’essence (autrement dit, sa définition) de la mort, mais sa cause. En effet, le pape parle aussi de « la désintégration totale du complexe unitaire et intégré que la personne est en elle-même [totale disintegrazione di quel complesso unitario ed integrato che la persona in se stessa] », ajoutant la disjonction âme-corps à titre de « conséquence [conseguenza] ». Or, telle est la définition proprement dite de la mort. Cette définition est à la fois ancienne, puisqu’elle rejoint l’approche traditionnelle selon laquelle la mort est la corruption du vivant, et nouvelle, puisqu’elle convoque un concept déployé dans le maître-ouvrage du philosophe devenu pape : celui d’« intégration » et son corrélat, la « désintégration » [132].
  2. Cette détermination ontologique présente un prolongement chronologique : nous ne pouvons pas connaître le « moment exact de la mort [momento puntuale della morte] ». En effet, la mort constitue un « événement [evento] ». Or, en termes techniques, l’événement se distingue du processus, comme l’instant se distingue du mouvement. Mais l’instant est indéterminable : il constitue l’élément inétendu du temps ; or, nous ne pouvons pas mesurer ce qui est sans partie (autrement dit, sans extension) ; par conséquent, l’instant en général et l’instant de la mort en particulier ne sont pas chronologiquement déterminables.
  3. La notification ontologique de la mort comporte un prolongement sémiologique qui est aussi épistémologique. La mort s’extériorise dans des indices connaissables : « L’événement de la mort d’un individu produit inévitablement certains signes biologiques [produce inevitabilmente dei segni biologici] ». Or, étant sensibles, ces signes sont accessibles par « la perception technique et scientifique ». Donc, la mort qui est en soi inconnaissable – « qui ne peut être directement individualisé par aucune technique scientifique ou méthode empirique» – se donne à connaître, non pas en elle-même, mais indirectement, à travers des « signes biologiques [segni biologici] » qui sont nécessairement postérieurs à « la mort déjà advenue». Or, aujourd’hui, « la cessation totale et irréversible de toute activité cérébrale [cessazione totale ed irreversibile di ogni attività encefalica] (dans le cerveau, le cervelet, et le tronc cérébral) » « est considéré[e] comme le signe que l’organisme individuel a perdu sa capacité d’intégration ». Donc, la cessation complète et irréversible de toute activité encéphalique est « le signe que l’organisme individuel comme tel a perdu sa capacité d’intégration [segno della perduta capacità di integrazione dell’organismo individuale come tale] ».

Commentons ce texte. D’abord, le pape parle de l’activité de tout le cerveau, oblitérant donc les théories de la mort du seul cerveau supérieur (high brain death). Ensuite, il qualifie cette « cessation » de « totale et irréversible », écartant toutes les déterminations hâtives. Il prend aussi le soin de souligner que cet arrêt de l’activité cérébrale est un « signe », et donc se différencie de l’essence de la mort. Enfin, ce signe est-il corrélé nécessairement à la mort ontologique ? De prime abord, Jean-Paul II semble conclure en ce sens : il parle de « critère adopté récemment pour déclarer avec certitude la mort [di accertamento della morte] » ; de plus, « un agent de la santé ayant la responsabilité professionnelle d’établir le moment de la mort peut utiliser ces critères au cas par cas, comme base pour arriver à un degré d’assurance dans le jugement éthique [grado di sicurezza nel giudizio etico] que la doctrine morale qualifie de « certitude morale » [« certezza morale »] ». En fait, à y regarder de près, ces affirmations ne sont pas assertoriques, mais hypothétiques [133]. Elles sont conditionnées par les conclusions scientifiques et techniques : l’Église prend en compte les « paramètres clairement déterminés, également partagés par la communauté scientifique internationale » ; « l’Église ne prend pas de décisions scientifiques [la Chiesa non fa opzioni scientifiche] » ; elle « se limite au devoir évangélique de comparer les données offertes par la science médicale [dati offerti dalla scienza medica] », qui ne sont pas de sa compétence, « avec les éléments essentiels d’une conception anthropologique correcte [gli elementi essenziali di una corretta concezione antropologica] », qui, elle, relève, de son expertise. Or, ainsi que nous l’avons vu, non seulement il n’y a pas actuellement de savoir définitif de la science en matière de critères cliniques de mort, mais il n’y a même pas unanimité parmi les chercheurs. Donc, la portée de la conclusion de Jean-Paul II ne va pas au-delà de celle des sciences quant aux critères de mort clinique. Ainsi l’on ne saurait tirer du discours du pape un engagement en faveur du critère de la mort cérébrale.

Demeure une dernière question, relative non plus au contenu, mais à son évaluation : en quoi ce texte engage-t-il le Magistère ? Autrement dit, quel est son degré d’autorité ? Assurément, un simple discours n’a pas le poids d’une encyclique ni même d’une instruction de la Congrégation pour la Doctrine de la foi ratifiée par le Saint-Père. De plus, il n’a pas été repris et cité par le pape polonais à d’autres occasions. Enfin, ainsi que nous allons le voir, Benoît XVI, traitant du même sujet, n’a pas voulu entrer dans la même détermination que son prédécesseur. Faut-il aller jusqu’à affirmer avec David Shewmon que le « silence [du pape Benoît] sur le critère neurologique était assourdissant [deafening] [134] » ?

b) L’enseignement de Benoît XVI

Le pape allemand a pris la parole sur le sujet des critères de la mort dans le cadre d’un Congrès international de l’Académie pontificale pour la vie sur le don d’organes [135]. Plusieurs points doivent être relevés.

D’abord, le pape ne fait aucune allusion au texte de son prédécesseur ; or, l’on sait que le nombre de citations est un indice de l’autorité d’un texte. Ensuite, il se tait expressément sur les critères de mort clinique en général et sur la mort cérébrale en particulier. Enfin, comment le pape ignorerait-il qu’il s’agit du quarantième anniversaire de la publication en 1968 du « rapport de Harvard » qui a troqué l’arrêt cardio-vasculaire comme signe de la mort clinique contre l’encéphalogramme plat ?

En revanche, Benoît XVI précise plusieurs critères universels qui font sens. 1. Il est « bon que les résultats obtenus reçoivent le consentement de toute la communauté scientifique » ; or, l’on sait que l’identification de la mort personnelle et de la la mort cérébrale ne fait pas l’unanimité. 2. « Le principe de précaution doit prévaloir là où l’on n’est encore arrivé à aucune certitude » ; or, nous avons vu que le doute existe sur le caractère vivant ou mort d’un organisme dont le cerveau a irréversiblement perdu ses fonctions. 3. « Il est utile de développer la recherche et la réflexion interdisciplinaire » ; or, les travaux sur la mort cérébrale sont le fait exclusif de scientifiques, alors que les « implications » et les présupposés sont « anthropologiques », c’est-à-dire philosophiques.

Enfin, le niveau d’autorité de ce texte de Benoît XVI est le même que celui du précédent discours : il s’agit d’une allocution qui fut prononcée au cours d’un congrès et qui, jusqu’à plus ample informé, n’est pas citée par d’autres documents magistériels.

4) Ouverture finale

Bien qu’il y ait de notables avancées vers la réponse, la question posée par le critère de la mort d’une personne est, médicalement, philosophiquement et magistériellement, encore ouverte.

a) Des acquis

Un gros travail de clarification a déjà été produit :

– la mort ontologique, qui est la mort en son essence (comme corruption du corps liée à sa séparation de son principe vital, l’âme), n’est pas observable, et doit donc être distinguée de la mort cliniquement observable ;

– la mort est donc instantanée, aussi la détermination clinique de la mort (qui concerne le moment et non l’instant) est-elle approchée ;

– la mort cérébrale (à l’instar de l’arrêt cardio-respiratoire) est donc seulement un signe et ne s’identifie pas à la mort ontologique ;

– le critère de la mort corticale (du seul cerveau supérieur) doit clairement être écarté ;

– les considérations pratiques (le besoin d’organes pour la transplantation) ne doivent pas intervenir dans la détermination des critères d’authentification de la mort et de son moment approximatif ; la seule déclaration d’intention ne saurait suffire pour écarter le risque de dérive utilitariste. Aussi un critère devrait garantir que le bien du donneur n’est jamais instrumentalisé par celui du receveur.

– quoi qu’il en soit du critère, dans le cas de dubium facti, le principe « In dubio pro vita » doit toujours s’appliquer.

b) Une question

Plusieurs raisons requièrent un approdondissement de la réponse à la question posée : la seule constatation de la mort cérébrale (ou encéphalique) suffit-elle à certifier la mort de la personne ?

  1. Les arguments avancés par ceux qui sont défavorables au seul critère neurologique n’ont pas été réfutés.
  2. Du point de vue philosophique, la réflexion sur ce qu’est la vie ne paraît pas encore mûre : trop grande est encore la distance entre la définition de la mort comme corruption du corps par séparation de l’âme, et les approches cliniques.
  3. Quand bien même on retiendrait le critère neurologique, il n’y a pas aujourd’hui d’examen médical qui puisse assurer que la totalité du cerveau (encéphale, cervelet et tronc cérébral) est mort, c’est-à-dire qu’aucune zone du cerveau, a fortiori aucun neurone est encore en vie. Il ne semble donc pas que l’on puisse parler de « certitude morale » pour ce critère en l’absence de la connaissance de l’état nécrosé de chaque zone du cerveau. Il paraît donc au minimum imprudent d’accepter ce critère sans pouvoir l’appliquer cliniquement.
  4. Analogiquement, nous sommes dans la même situation que pour les questions touchant le début de la vie humaine (animation immédiate ou médiate) : l’attitude éthique est claire (respecter l’embryon comme une personne humaine depuis l’origine) ; pourtant, la question du statut de l’embryon demande encore un approfondissement philosophique, au double plan épistémologique et ontologique [136].

c) Des champs de recherche

à la lumière de ces questions, un triple approfondissement paraît aussi important qu’urgent :

  1. Une meilleure compréhension du corps humain. Il est significatif que les experts de l’Académie pontificale pour la vie aient été intéressés, lorsque certains ont mieux précisé le rôle de l’encéphale et du cœur [137]. Cet intérêt montre l’importance de mieux comprendre le corps humain dans sa complexité. Par exemple, l’on dit que le cerveau joue un rôle de régulation et de coordination. Mais tel est aussi le cas du système endocrinien, dans une indépendance partielle. Il ne suffit donc pas d’affirmer la fonction régulatrice du cerveau, encore faut-il préciser le type de régulation. Dit autrement, quel est le rôle exact du cerveau en entier (y compris le tronc cérébral) vis-à-vis de la vie végétative ? Le cerveau est-il l’organe régulant toute la vie végétative ou seulement une partie ? Autant de questions pour lesquelles nous n’avons pas de réponse définitive. De plus, le critère neurologique, comme autrefois le critère cardiologique, relèvent d’une vision encore « atomisée » où les organes et les systèmes sont juxtaposés. Il nous manque une vision plus systémique ou holistique de l’organisme, vision qui ne nie pas une hiérarchie des systèmes [138].
  2. Une meilleure compréhension de l’union corps-âme. Nous avons fait des propositions d’ordre ontologique, notamment autour d’une conception plus holistique de l’organisme humain. Considérons ici la rupture épistémologique entre la définition de la mort comme corruption du corps séparé de l’âme et les signes cliniques qui la manifestent. Intermédiaires entre la définition et les signes, on pourrait faire appel à des notes ou des propriétés qui découlent de la définition sans pour autant s’identifier à celle-ci. Ce concept de propriété (le proprium) a la certitude de la définition mais est plus concret que celle-ci qui n’a pas de traduction expérimentale. Un exemple de note ou propriété a été retenu par les documents : l’absence d’unité intégrée et d’unité fonctionnelle ou opérative. Il est fondé sur l’âme comme principe d’unité et d’opération (qui se déduit de sa définition comme « forme »). Il faudrait en trouver d’autres. Une suggestion serait de développer, en plus (non pas contre ou à côté) de la conception hylémorphique du corps comme matière ou sujet potentiel de l’âme, une conception ontophanique du corps comme expression ou signe de l’âme [139]. Davantage en continuité avec la sémiologie clinique, la notion de signe ou d’expression est aussi plus facile à comprendre que celui, contre-intuitif de forme ou d’acte et favoriserait le dialogue entre philosophes et scientifiques.
  3. Une meilleure pratique du dialogue entre scientifiques et philosophes. Les résistances au critère neurologique viennent principalement des philosophes, alors que l’immense majorité des chercheurs en sciences biomédicales lui est favorable. Il y a donc une difficulté mutuelle à ce que les uns comprennent les concepts mis en œuvre par les autres. De fait, seul un biologiste ou un médecin qui a accepté de se former en philosophie peut comprendre le concept d’âme comme « forme du corps ». Inversement, seul un philosophe qui a accepté d’entrer dans le détail du fonctionnement de l’organisme humain pourra descendre de la définition de la mort comme corruption du corps par sa séparation de l’âme, à ses manifestations physiques, comprendre le rôle différencié des systèmes nerveux, cardio-circulatoire, immunitaire, endocrinien, etc. Comment s’assurer que tous ceux qui sont assis autour de la table, médecins et biologistes d’une part, philosophes et théologiens d’autre part, se comprennent, c’est-à-dire parlent le même langage ? Cette interrogation qui est au cœur de la problématique très actuelle et très aporétique de l’interdisciplinarité (voire de l’intelligence collective) gagnerait grandement à être éclairée par le concept novateur de Benoît XVI : « raison élargie » ou « élargissement de la rationalité » [140].

 

Pascal Ide

[1] Cet article fut d’abord une intervention à deux voix, avec le professeur Jean-Paul Perez dans le cadre de la Journée Santé, éthique et foi portant sur le thème : Le soignant entre mort et résurrection. « Ô mort ou est ta victoire ? », Collège des Bernardins, 24 janvier 2015. Il s’inscrit dans le prolongement d’un précédent article que nous précisons sur plusieurs points : « La mort de l’être humain s’identifie-t-elle à la mort du cerveau ? Une remise en question des critères médicaux actuellement utilisés », Liberté politique,. Les scandales de la mort, n° 8 (printemps 1999), p. 73-92. Nous disons toute notre gratitude à Mgr Jacques Suaudeau qui m’a généreusement donné accès à ses notes sur ce sujet.

[2] Pour le détail, nous renvoyons à l’exposé du professeur Jean-Paul Perez.

[3] Cf. Fred Plum et Jerome B. Posner, « Pronostic du coma et diagnostic de la mort cérébrale », Fred Plum et Jerome B. Posner, Diagnostic de la stupeur et des comas. Critique de la sémiologie neurologique des désordres de la conscience, trad. Maurice Masson, Paris, Masson, 1973, p. 217.

 [4] Cf. G. Settergren, « Brain death: an important paradigm shift in the 20th century », Acta Anaesthesiologica Scandinavica, 47 (octobre 2003) n° 9, p. 1053-1058.

[5] Cf. M.Y. Wang, P. Wallace & J.P. Gruen, « Brain Death Documentation: Analysis and Issues », Neurosurgery, 51 (septembre 2002) n° 3, p. 731-736, ici p. 731.

 [6] Cf. P. Mollaret & M. Goulon, « Le coma dépassé (mémoire préliminaire) », Revue neurologique, 101 (juillet 1959), p. 3-15.

 [7] Cf. E.F.M. Wijdicks, « The neurologists and Harvard criteria for brain death », Neurology, 61 (14 octobre 2003) n° 7, p. 970-976.

 [8] Cf. Ad Hoc Committee of the Harvard Medical School to Examine the Definition of Brain Death, « A Definition of Irreversible Coma », The Journal of the American Medical Association, 205 (5 août 1968) n° 6, p. 85-88.

 [9] Cf. President’s Commission for the Study of Ethical Problems in Medicine and Biomedical and Behavioural Research, Defining death: a report on the medical, legal and ethical issues in the determination of death, Washington D.C., U.S. Government Printing Office, 1981.

 [10] Cf. M. Giacomini, « A change of heart and a change of mind? Technology and the redefinition of death in 1968 », Society of Scientific Medicine, 44 (mai 1997) n°10, p. 1465-1482.

[11] Cf. W.F. Haupt & J. Rudolf, « European brain death codes: a comparison of national guidelines », Journal of Neurology, 246 (juin 1999) n°6, p. 432-437.

 [12] A.M. Capron & L.R. Kass, « A statutory definition of the standards for determining human death: an appraisal and a proposal », University of Pennsylvania Law Review, 121 (1972), p. 87-118 ; « Defining Death. A Report on the Medical, Legal and Ethical Issues in the Determination of Death », President’s Commission for the Study of Ethical Problems in Medicine and Biomedical and Behavioral Research, juillet 1981, p. 63.

[13] Cf. J. Gaches, A. Caliscan & F. Findji, « Contribution à l’étude du coma dépassé et de la mort cérébrale (étude de 71 cas) », Semaine des Hôpitaux de Paris, 46 (1970), p. 1487-1497.

[14] Cf. W.F. Haupt & J. Rudolf, « European brain death codes: a comparison of national guidelines », Journal of Neurology, 246 (juin 1999) n°6, p. 432-437.

[15] Cf. Report of the Quality Standards Subcommittee of the American Academy of Neurology, « Practice parameters for determining brain death in adults », Neurology, 45 (mai 1995) n° 5, p. 1012-1014. ici p. 1013 ; G.A.Van Norman, « A Matter of Life and Death. What Every Anesthesiologist Should Know about the Medical, Legal, and Ethical Aspects of Declaring Brain Death », Anesthesiology, 91 (juillet 1999, n°1, p. 275-287. ici p. 280.

[16] E.F.M. Wijdicks, letter, New England Journal of Medicine 345.8 (23 août 2001): 617, http://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJM200108233450813.

[17] Cf. P.A. Byrne, S.O. Reilly & P.M. Quay, « Brain Death – an Opposing Viewpoint », The Journal of the American Medical Association, 242 (2 novembre 1979) n° 18, p. 1985-1990.

[18] Cf. E.F.M. Wijdicks, « Brain death worldwide. Accepted fact but no global consensus in diagnostic criteria », Neurology, 58 (8 janvier 2002) n° 1, p. 20-25. ici p. 20.

[19] Cf. A. Mohandas & S.N. Chou, « Brain death. A clinical and pathological study », Journal of Neurosurgery, 35 (août 1971) n° 2, p. 211-218.

[20] Cf. C. Pallis, « ABC of brain stem death. Reappraising death », British Medical Journal, 286 (13 novembre 1982) n° 6352, p. 1409-1412 ; Id., « ABC of brain stem death. From brain death to brain stem death », British Medical Journal, 286 (20 novembre 1982) n° 6353, p. 1487-1490 ; « ABC of brain stem death. Diagnosis of brain stem death—I », British Medical Journal, 285 (27 novembre 1982) n° 6354, p. 1558-1560 ; « ABC of brain stem death. Diagnosis of brain stem death—II », British Medical Journal, 285 (4 décembre 1982), n° 6355, p. 1641-1644 ; « ABC of brain stem death. Pitfalls and safeguards, British Medical Journal, 285 (11 décembre 1982) n°6356, p. 1720-1722 ; « ABC of brain stem death. The declaration of death », British Medical Journal, 286 (1er janvier 1983), n° 6358, p. 39 ; « ABC of brain stem death. Prognostic significance of a dead brain stem », British Medical Journal, 286 (8 janvier 1983), n° 6359, p. 123-124.

[21] Diagnosis of brain death. Statement issued by the honorary secretary of the Conference of Medical Royal Colleges and their Faculties in the United Kingdom on 11 October 1976, British Medical Journal, 6045 (13 novembre 1976) n° 2, p. 1187-1188.

[22] Cf. C.A. Pallis & P.F. Prior, « Guidelines for the determination of death », Neurology, 33 (février 1983) n° 2, p. 251-252.

[23] Il a été popularisé par un récit autobiographique (Jean-Dominique Bauby, Le scaphandre et le papillon, Paris, Robert Laffont, 1997) devenu un film éponyme (franco-allemand de Julian Schnabel, 2007. Avec Mathieu Amalric et Emamnuelle Seigner).

[24] Cf. R.M. Veatch, « The whole-brain-oriented concept of death: an outmoded philosophical formulation », Journal of Thanatology, 3 (1975) n° 1, p. 13-30 ; S.J. Youngner & E.T. Barlett, « Human Death and High Technology: The Failure of the Whole-Brain Formulations », Annals of Internal Medicine, 99 (août 1983) n° 2, p. 252-258 ; R.D. Truog & J.C. Fackler, « Rethinking brain death », Critical Care Medicine, 20 (décembre 1992) n° 12, p. 1705-1713 ; R.M. Veatch, « Brain death and slippery slopes », The Journal of Clinical Ethics, 3 (automne 1992) n° 3, p. 181-187 ; Id., « The impending collapse of the whole-brain definition of death », Hastings Center Report, 23 (juillet-août 1993) n° 4, p. 18-24.

[25] R.D. Truog & J.C. Fackler, « Rethinking brain death ».

[26] M.B. Green & D. Wikler, « Brain death and personal identity », Philosophy and Public Affairs, 9 (hiver 1980) n°2, p. 105-133, ici p. 127.

[27] Ibid., p. 131.

[28] M.Y. Wang, P. Wallace & J.P. Gruen, « Brain Death Documentation: Analysis and Issues », Neurosurgery, 51 (novembre 2002) n° 3, p. 731-736. ici p. 731.

[29] Cf. J.L. Bernat, C.M. Culver & B. Gert, « On the Definition and Criterion of Death », Annals of Internal Medicine, 94 (mars 1981) n° 3, p. 389-394 ; Id., « Defining Death in Theory and Practice », The Hastings Center Report, 12 (février 1982) n° 1, p. 5-9 ; J.L. Bernat, « Brain Death. Occurs Only With Destruction of the Cerebral Hemispheres and the Brain Stem », Archives of Neurology, 49 (mai 1992) n°5, p. 569-570 ; J.L. Bernat, « A Defense of the Whole-Brain Concept of Death », Hastings Center Report, 28 (mars-avril 1998) n° 2, p. 14-23.

[30] Cf. R.M. Veatch, « The whole-brain-oriented concept of death ».

[31] Cf. J.B. Brierley, D.I. Graham, J.H. Adams & J.A. Simpsom, « Neocortical death after cardiac arrest. A clinical, neurophysiological, and neuropathological report of two cases », Lancet, 7724 (11 septembre 1971), p. 560-565.

[32] Cf. J.L. Bernat, « Ethical issues in brain death and multiorgan transplantation », Neurological Clinics, 7 (novembre 1989) n° 4, p. 715-728.

[33] Cf. H. Brody, « Brain death and personal existence: a reply to Green and Wikler », The Journal of Medicine and Philosophy, 8 (mai 1983) n° 2, p. 187-196.

[34] Cf. E.F.M. Wijdicks, « The Diagnosis of Brain Death », New England Journal of Medicine, 344.16 (19 avril 2001), p. 1215–1221 ; E.F.M. Wijdicks et al., « Evidence-Based Guideline Update: Determining Brain Death in Adults. Report of the Quality Standards Subcommittee of the American Academy of Neurology, » Neurology, 74.23 (8 juin 2010), p. 1911-1918, http://www.neurology.org/content/74/23/1911.full.

[35] J.L. Bernat, C.M. Culver & B. Gert, « On the Definition and Criterion of Death », p. 390.

[36] Ibid.

[37] D. Lamb, Death, brain death and ethics, Albany (New York), State University of New York Press, 1985, p. 36-37. Cité par D.A. Shewmon, « Chronic ‘brain death’. Meta-analysis and conceptual consequences », Neurology, 51 (décembre 1998) n° 6, p. 1538-1545.

[38] J.L. Bernat, C.M. Culver & B. Gert, « On the Definition and Criterion of Death », p. 390.

[39] D. Lamb, Death, brain death and ethics, p. 36-37.

[40] J.L. Bernat, C.M. Culver & B. Gert, « On the Definition and Criterion of Death », p. 391. Un texte déjà en partie cité résume plusieurs de ces conclusions : « Lorsque l’évidence est citée pour montrer que, en dépit du support le plus agressif [despite the most aggressive support], le cœur adulte s’arrête dans la semaine suivant la mort du tronc cérébral et que le cœur d’un enfant le fait dans les deux semaines, on ne mobilise pas ce support empirique pour une prédiction de mort [empirical support for a prediction of death]. Ce qui est dit est qu’un point a été atteint où les différents sous-systèmes manquent d’intégration neurologique et où leur fonctionnement (artificiel) continué ne fait qu’imiter la vie intégrée [only mimics integrated life]. Le fait qu’une désintégration structurelle suive la mort cérébrale n’est pas une affaire contingente [That structural disintegration follows brain death is not a contingent matter] ; c’est une conséquence nécessaire [necessary consequence] de la mort du système critique. La mort du cerveau est le point au-delà duquel les autres systèmes ne peuvent pas survivre avec ou sans support mécanique » (D. Lamb, Death, brain death and ethics, p. 36-37).

[41] Par exemple, un article de Dolentium hominum se prononce en faveur de l’identification entre mort cérébrale et mort humaine. L’argument est le suivant : « Le patient en état de mort cérébrale est immergé dans un coma profond, ne respire plus spontanément, et ne présente plus aucun réflexe du tronc cérébral. L’interruption de la respiration artificielle provoque inexorablement un arrête cardiaque en quelques minutes. La respiration artificielle permet toutefois au cœur d’un patient en état de mort cérébrale de battre encore provisoirement, les organes vitaux sont donc encore irrigués pour une période de temps limitée ; mais ces fonctions sont en quelque sorte coupées de l’ensemble de l’organisme. Il manque donc la coordination et le principe unificateur » (Charles Probst, « Il cervello e l’anima. Esperienze in neurochirurgia et risultati delle ricerche », Dolentium hominum, 41 [1999] n° 2, p. 29-34, ici p. 31). Or, c’est l’âme qui joue ce rôle. Mais un corps qui n’est plus animé est un corps mort, un cadavre. C’est donc que la mort cérébrale est équivalent à la mort humaine.

Je relèverai seulement que l’argument comporte la prémisse implicite suivante : un organisme qui ne peut gérer par lui-même sa fonction respiratoire n’a plus de principe unificateur. Mais il s’agit seulement de la coordination centrale, non du mécanisme spontané de ventilation. Il faut distinguer entre une incapacité touchant la fonction vitale elle-même et sa régulation. « Un tel patient, demande toutefois le prof. Probst, est-il mort au sens métaphysique du terme, c’est-à-dire l’âme est-elle séparée du corps ? » L’auteur reconnaît, à la suite de Pie XII, que cette question n’est pas de la compétence de la médecine.

[42] Une thèse soutenue à l’Université du Latran défend l’identité de la mort cérébrale totale (tronc cérébral inclus) et de la mort personnelle. Son argumentation, fondée sur une philosophie aristotélicienne de l’âme et thomasienne de la personne qui me semble de bonne facture, est la suivante. « La forme substantielle qui spécifie un système comme vivant organise ses composants matériels en une unité fonctionnelle qui ne peut plus être conçue comme la simple somme de ses parties singulières » (Tomasz Orlowski, Morte cerebrale e morte della persona. Problemi antropologici ed etici, partie de la dissertation doctorale, Rome, Pontificia Universita Lateranensis, 2002, p. 82. Renvoie à A. D. Shewmon, « The metaphysicis of brain death, persistent vegetative state and dementia », The Thomist, 1 [1985], p. 24-80, ici p. 37). La mort de la personne est donc la cessation de l’unification de la matière assurée par le principe spirituel. Or, l’encéphale est l’organe responsable de l’intégration de toutes les activités humaines. En effet, il constitue le centre coordinateur et unificateur de tout l’organisme humain. Un signe en négatif en est que la fin irréversible de l’activité coordinatrice de l’encéphale entraîne la perte de l’unité organique de l’être humain, la désagrégation biologique du corps. Par conséquent, la mort de la personne s’identifie à celle de son encéphale. Inversement, le cœur peut persister à battre alors que l’encéphale est mort ; plus généralement, la présence de la vie dans tel ou tel organe ne suffit pas à objectiver la présence d’un principe de vie puisque celui-ci est principe d’unité et de coordination.

[43] Uniform Determination of Death Act drafted by the National Conference of Commissioners on Uniform State Law and by it Approved and Recommended for Enactment in All the States at its Annual Conference Meeting in its Eighty-Ninth Year on Kauai, Hawaii, July 26-August 1 1980, Approved by the American Medical Association, 19 octobre 1980, Approved by the American Bar Association, 10 février 1981.

[44] Cf., par exemple, R. D. Truog, « Is it Time to Abandon Brain Death ? » Hastings Cent. Rep., 27 (1997) n° 1, p. 29-37.

[45] Cf. R.D. Truog & J.C. Fackler, « Rethinking brain death », Critical Care Medicine, 20 (décembre 1992) n° 12, p. 1705-1713 ; R.D. Truog, « Is It Time to Abandon Brain Death? », Hastings Center Report, 27 (janvier-février 1997) n° 1, p. 29-37 ; S.J. Youngner & R.M. Arnold, « Philosophical debates about the definition of death: who cares? », Journal of Medicine and Philosophy, 26 (octobre 2001) n° 5, p. 527-537.

[46] Cf. P.A. Byrne, S.O. Reilly & P.M. Quay, « Brain Death – an Opposing Viewpoint », art. cité.

 [47] Cf. T. Tomlinson, « The conservative use of the brain-death criterion – a critique », Journal of Medicine and Philosophy, 9 (novembre 1984) n° 4, p. 377-393.

 [48] Cf. H. Schrader, K. Krogness, A. Aakvaag, O. Sortland & K. Purvis, « Changes of pituitary hormones in brain death », Acta Neurochirurgica, 52 (1980) n° 3-4, p. 239-248 ; K. Arita, T. Uozumi, S. Oki, K. Kurisu, M. Ohtani & T. Mikami, « The function of the hypothalamo-pituitary axis in brain dead patients », Acta Neurochirurgica, 123 (1993) n° 1-2, p. 64-75 ; V. Gravame, L. Porretti, M. Cardillo, G. Marchesi, M. Rizzi, C. Sacchi, A. Candiani, M. Chiaranda, L. Gualandris, E.Taioli & M. Scalamogna, « Alcune valutazioni ormonali nella morte cerebrale », Minerva Anestesiologica, 65 (octobre 1999) n° 10, p. 725-731.

[49] Cf. J. Seifert, « Is ‘brain death’ actually death? », The Monist, 76 (avril 1993) n° 2, p. 175-202 ; R.M. Taylor, « Reexamining the definition and criteria of death », Seminar in Neurology, 17 (1997) n° 3, p. 265-270.

 [50] Cf. T. Sugimoto, T. Sakano, Y. Kinoshita, M. Masui & T. Yoshioka, « Morphological and Functional Alterations of the Hypothalamic-Pituitary System in Brain Death with Long Term Bodily Living », Acta Neurochirurgica, 115 (1992) n° 1-2, p. 31-36.

 [51] Cf. K.M. Outwater & M.A. Rockoff, « Diabetes insipidus accompanying brain death in children », Neurology, 34 (septembre 1984) n°9, p. 1243-1246 ; D.H. Fiser, J.F. Jimenez, V. Wrape & R. Woody, « Diabetes insipidus in children with brain death », Critical Care Medicine, 15 (juin 1987) n° 6, p. 551-53.

 [52] Cf. D.A. Shewmon, « ‘Brain Death’ : a Valid Theme with Invalid Variations, blurred by Semantic Ambiguity », in Robert J. White, Heinz Angstwurm, Ignacio Carrasco de Paula (éds.), Working Group on the Determination of Brain Death and its Relationship to Human Death, 10-14 décembre 1989, Vatican City, Pontifical Academy of Sciences, 1992, p. 23-51 ; « Recovery from ‘Brain Death’: A Neurologist’s Apologia », The Linacre Quaterly, 64 (février 1997) n° 1, p. 31-96 ; « Chronic ‘brain death’. Meta-analysis and conceptual consequences », Neurology, 51 (décembre1998) n° 6, p. 1538-1545 ; « ‘Brainstem death’, ‘brain death’ and death: a critical re-evaluation of the purported equivalence », Issues in Law and Medicine, 14 (automne 1998) n° 2, p. 125-145.

 [53] B.E. Soifer & A.W.Gelb, « The multiple organ donor: identification and management », Annals of Internal Medicine, 110 (15 mai 1989) n° 10, p. 814-823, ici p. 816.

[54] Sur les 175 cas trouvés, il y avait 2 cas personnels, 6 cas d’autres professionnels, 154 cas venant de la littérature médicale, 2 cas de la littérature d’infirmier, 2 cas de la littérature de bioéthique, 2 cas venant des transcriptions de cour de justice et 17 cas trouvés dans les journaux ou les nouvelles d’agences de presse.

[55] Cf. S. Repertinger., W.P. Fitzgibbons, M.F. Omojola & R.A. Brumback, « Long survival following bacterial meningitis-associated brain destruction », Journal of Children Neurology, 21 (2006), p. 591-595, ici p. 591.

[56] Ibid., p. 594.

[57] En effet, combinée avec des catécholamines, la vasopressine joue maintient à long terme une circulation stable : A. Iwai, T. Sakano, M. Uenishi, H. Sugimoto, T. Yoshioka & T.Sugimoto, « Effects of vasopressin and catecholamines on the maintenance of circulatory stability in brain-dead patients », Transplantation, 48 (octobre 1989) n° 4, p. 613-617 ; T. Nagareda, Y. Kinoshita, A. Tanaka, Y. Hasuike, N. Terada, Y. Nishizawa, M.Q. Fujita, H. Kuroda, H. Yawata, K. Aozasa, T. Sakano, T. Sugimoto & K. Kotoh, « Clinocopathological study of livers from brain-dead patients treated with a combination of vasopressin and epinephrin », Transplantation, 47 (mai 1989) n° 5, p. 792-797 ; D. Manaka, R. Okamoto, T. Yokoyama, Y. Yamamoto, M. Washida, K. Ino, Y. Yamaoka, K. Kumada & K. Ozawa, « Maintenance of liver graft viability in the state of brain death », Transplantation, 53 (mars 1992) n°3, p. 545-550.

[58] « Beaucoup de fonctions intégratives du cerveau ne sont pas actuellement intégratives corporellement et, à l’inverse, beaucoup de fonctions intégratives du corps ne sont pas médiatisées par le cerveau [most integrative functions of the brain are actually not somatically integrating, and, conversely, most integrative functions of the body are not brain-mediated]. Respectant la vitalité des niveaux d’organisation, le rôle du cerveau est plus modulateur que constitutif [With respect to organism-level vitality, the brain’s role is more modulatory than constitutive] […]. L’unité intégrative d’un organisme complexe est un fonctionnalité intrinsèquement non localisable, holistique [nonlocalizable, holistic feature], enrôlant l’interaction mutuelle de chaque partie, et non une coordination descendante imposée par une partie à la multiplicité passive des autres parties [a top-down coordination imposed by one part upon a passive multiplicity of other parts] ». Donc, on ne peut « égaler la mort du cerveau avec la mort de l’organisme comme un tout » (D.A. Shewmon, « The brain and somatic integration. Insights into the standard biological rationale for equating ‘brain death’ with death », Journal of Medicine and Philosophy, 26 [2001] n° 5, p. 457-478. C’est moi qui souligne).

[59] Manfred Lütz, « Statement against the ‘A report on Cerebral Death’ by Prof. Corrado Manni », Juan de Dios Vial Correa et Elio Sgreccia (éds.), The Dignity of the Dying Person. Proceedings of the fifth Assembly of the Pontifical Academy for Life, Cité du Vatican, 24-27 février 1999, Vatican, Libreria Editrice Vaticana, 2000, p. 119-122, ici p. 121.

[60] Ces cas étant sont par les médias grand public (cf., par exemple, L’Express, 10 octobre 2009, Maxi-Sciences, 12 octobre 2009).

[61] Cité par Corrado Manni, « A report on Cerebral Death », p. 115. A noter que l’auteur en conclut pourtant que le corps maternel n’est qu’un « incubateur biologique » (ibid.).

[62] Enfin, David Shewmon développe volontiers une expérience de pensée assez macabre : celle du patient sans tête (cf. « Mental Disconnect: ‘Physiological Decapitation’ as a Heuristic for Understanding ‘Brain Death’ », The Pontifical Academy of Sciences, The Signs of Death. The Proceedings of the Working Group 11-12 September 2006, coll. « Scripta Varia » n° 110, Città del Vaticano, LEV, 2007, p. 292-333). De prime abord, cette expérience semble contredire sa position. En effet, il systématise lui-même l’objection dans le syllogisme suivant : « une personne décapitée est morte ; or, la mort du cerveau est physiologiquement équivalente à une décapitation ; donc, une personne au cerveau mort est morte » (Ibid., p. 299). Shewmon s’étend longuement sur le sujet, afin de réfuter l’objection. Nous noterons seulement que les expérimentations attestent que, même ainsi gravement mutilés, les animaux survivent un temps, voire, perfusés et ventilés, plus longuement (par exemple, à propos d’un poulet décapité : C Pallis & D.H. Harley, ABC of Brainstem Death, London, BMJ Publishing Group, 21996, p. 5).

[63] Cf. Josef Seifert, « Is ‘brain death’ actually death? », The Monist, 76 (avril 1993) n° 2, p. 175-202.

[64] Cf. Robert Spaemann, « Is Brain Death the Death of the Human Being? On the Current State of the Debate », The Pontifical Academy of Sciences, The Signs of Death, p. 130-141.

[65] Robert Spaemann, « Is Brain Death the Death of the Human Being? », p. 130-131.

[66] Sur la tradition comme locus philosophicus, cf. l’ouvrage avisé de Josef Pieper, Le concept de tradition, trad. Claire Champollion et al., introd. Kenneth Schmitz, coll. « Josef Pieper », Genève, Ad Solem, 2008

[67] Robert Spaemann, « Is Brain Death the Death of the Human Being? », p. 130.

[68] Ibid., p. 131.

[69] Ibid., p. 135.

 [70] Cf. R.M. Taylor, « Reexamining the definition and criteria of death », Seminar in Neurology, 17 (1997) n°3, p. 265-270.

[71] S.J.Youngner, « Defining death. A superficial and fragile consensus », Archives of Neurology, 49 (mai 1992) n° 5, p. 570-572.

[72] Ibid., p. 571-572. C’est moi qui souligne.

[73] Ajoutons un argument ex consequentiis. L’Eglise consent à l’administration des derniers sacrements sub conditione à des patients qui sont déclarés morts cérébralement ; or, cette pratique se fonde sur la possibilité de la vie ; par conséquent, la mort cérébrale ne peut s’identifier à la mort simpliciter.

[74] Cf. A. Halevy & B. Brody, « Brain death reconciling definitions, criteria and tests », Annals of Internal Medicine, 119 (15 septembre 1993) n°6, p. 519-525. Même proposition : « Nous proposons que les individus qui désirent donner leurs organes et qui sont ou bien dévastés neurologiquement ou en état de mort imminente puissent être autorisés à le faire, sans avoir été d’abord déclarés morts » (R.D. Truog & W.M. Robinson, « Role of brain death and the dead-donor rule in the ethics of organ transplantation », Critical Care Medicine, 31 [septembre 2003], n° 9, p. 2391-2396).

[75] Robert Spaemann, « Is Brain Death the Death of the Human Being? », p. 132.

[76] Ibid., p. 134.

[77] D.A. Shewmon, « The brain and somatic integration. Insights into the standard biological rationale for equating ‘brain death’ with death ».

[78] Lors du premier colloque, le professeur Corrado Manni, catholique et spécialiste en anesthésie, et le neurologue Manfred Lütz, lui aussi catholique et même théologien, se sont frontalement opposés. Le premier, favorable, le second en défaveur: « L’identification de la mort cérébrale (ou mort encéphalique, ou, mieux et plus précisément ‘nécrose de tout le cerveau’ [‘necrosis of the whole brain’]) avec la mort de l’être humain n’est anthropologiquement et logiquement pas possible dans une perspective chrétienne » (Manfred Lütz, « Statement against the ‘A report on Cerebral Death’ by Prof. Corrado Manni », p. 119). Dit autrement : « L’être humain au cerveau mort [brain-dead human being] n’est pas un cadavre [corpse] mais un être humain vivant » (Ibid., p. 120).

[79] The Pontifical Academy of Sciences, Why the Concept of Brain Death is Valid as a Definition of Death. Statement by the Pontifical Academy of Sciences and Response to Objections, coll. « Extra Series » n° 31, Vatican City, 2008. Cité à partir de la version italienne : « Perchè il concetto di morte cerebrale è valido come definizione della morte ? », p. 21-30.

[80] Il s’agit de la troisième, la première datant d’octobre 1985, à la suite d’une demande du pape (cf. Jean-Paul II, « The Artificial Prolongation of Life: Report of a Pontifical Academy of Sciences Study Group, » Origins, 15.25 [5 décembre 1985], p. 415) et la deuxième de décembre 1989, toujours à la suite d’une requête du même pape (cf. Jean-Paul II, Aux participants à la Rencontre organisée par l’Académie pontificale des Sciences sur la « Détermination du moment de la mort », 14 décembre 1989).

[81] Pour un exemple de discussions des positions de Spaemann et de Shewmon, on peut consulter The Pontifical Academy of Sciences, The Signs of Death, p. 142-158 et p. 371-394.

[82] Cf. E.F.M. Wijdicks & J.L. Bernat, « Chronic ‘brain death’: meta-analysis and conceptual consequences », Neurology, 53 (12 octobre 1999) n° 6, p. 1369-1372.

[83] Cf. E.F.M. Wijdicks & J.L.D. Atkinson, « Pathophysiologic responses to brain death », Eelco F.M. Wijdicks (éd.), Brain Death, Philadelphia, Lippincott Williams & Wilkins, 2001, p. 29-43, ici p. 39.

[84] The Pontifical Academy of Sciences, « Perchè il concetto di morte cerebrale… », p. 27.

[85] Ibid.

[86] Cf. E.R. Koppelman, « The dead donor rule and the concept of death: severing the ties that bind them », American Journal of Bioethics, 3 (hiver 2003) n°1, p. 1-9.

[87] Cf. D.A. Shewmon, « Mental Disconnect », p. 307 ; « Comments on the transcript of tue discussion », The Pontifical Academy of Sciences, The Signs of Death, p. 371-381, ici p. 373-374.

[88] Corrado Manni, « A report on Cerebral Death », Juan de Dios Vial Correa et Elio Sgreccia (éds.), The Dignity of the Dying Person. Proceedings of the fifth Assembly of the Pontifical Academy for Life, Cité du Vatican, 24-27 février 1999, Vatican, Libreria Editrice Vaticana, 2000, p. 102-118, ici p. 106.

[89] Manfred Lütz, « Statement against the ‘A report on Cerebral Death’ by Prof. Corrado Manni », The Dignity of the Dying Person, p. 119-122, ici p. 120.

[90] Cet argument de la grossesse est l’un de ceux sur lesquels se fonde le médecin et philosophe chilien Alejandro Serani Merlo, l’un des adversaires les plus précis de l’identification mort humaine-mort cérébrale. Nous n’avons malheureusement pas pu consulter son article « La murete encefàlica y la determinación pràctica de la muerte: otra opinión disidente », Cuadernos de Bioética, 37 (1999) n° 1, p. 149-159.

[91] Cf. E.R. Koppelman, « The dead donor rule and the concept of death: severing the ties that bind them », American Journal of Bioethics, 3 (hiver 2003) n°1, p. 1-9.

[92] J.L. Bernat, C.M. Culver & B. Gert, « On the Definition and Criterion of Death », p. 389. Cf. J.L. Bernat, « Philosophical and ethical aspects of brain death », Eelco F.M. Wijdicks (éd.), Brain Death, p. 171-187.

[93] Cf. l’excellent ouvrage du spécialiste de la philosophie de la mort, Bernard Schumacher, Death and Immortality in Contemporary Philosophy, Cambridge University Press, Fall, 2010 : en dialogue avec les courants bioéthiques actuels, se focalise sur trois problèmes : la definition de la mort humaine, la connaissance de cette mort et la signification de la mort (insensée, mal relatif ou absolu).

[94] Les textes sources sont, dans l’ordre chronologique : Somme contre les Gentils, L. II, chap. 56-90 ; Q.D. De anima ; Q.D. De spiritualibus creaturis ; Sententia Libri De Anima ; Somme de théologie, Ia, q. 76-89. Pour un exposé simple et clair, cf. Gilles Émery, « L’unité de l’homme, âme et corps chez S. Thomas d’Aquin », Nova et Vetera, 75 (2000), p. 53-76

[95] Cornelio Fabro, L’anima. Introduzione laproblema dell’uomo, Roma, Studium, 1955 ; 2e éd. par Christian Ferraro, Roma, Ed. del Verbo Incarnato (EDIVI), 2005, p. 193. Cf. chap. 4 : « Sviluppo storico del problema dell’anima ».

[96] Cf. Étienne Gilson, L’esprit de la philosophie médiévale. Gifford Lectures (Université d’Abderdeen), coll. « Études de philosophie médiévale » n° 33, Paris, Vrin, 21944, chap. ix : « L’anthropologie chrétienne ».

[97] Je ne sais si la phénoménologie de la vie comme auto-affection, développée par Michel Henry, a-t-elle été appliquée à la question de la mort personnelle en sa différence avec la mort clinique.

[98] Cf. A. Battro et al., « Response to the statement and comments of Prof. Spaemann and Dr. Shewmon », The Pontifical Academy of Sciences, The Signs of Death p. 388-394, ici p. 393.

[99] Aristote illustrait cette unité intégrative de l’âme intellective par l’emboîtement des figures géométriques (Aristote, De l’âme, L. II, 3, 414 b 20-32).

[100] The Pontifical Academy of Sciences, « Perchè il concetto di morte cerebrale… », p. 29.

[101] Robert Spaemann, « Is Brain Death the Death of the Human Being? », Discussion, p. 156.

[102] Ibid., p. 154.

[103] Il faudrait ajouter la distinction aristotélicienne entre le mouvement qui est un devenir accidentel et la corruption qui est, avec son contradictoire, la génération, un devenir substantiel. Autant le processus de la mort (le « mourir » ou dying) est un mouvement (d’altération), autant l’événement de la mort (ou death) est une corruption.

[104] Un exemple parmi beaucoup : le classique Gerard Tortora et Bryan Derrickson, Principes d’anatomie et de physiologie, trad. Michel Forest et Louise Martin, coll. « Anat.Physio », Bruxelles, De Boeck, 42007, p. v, chap. 1, etc.

[105] Cf. Pascal Ide, « Le corps et l’âme humains sont-ils unis par amour ? », Pedro Barrajón (éd.), La teologia del corpo di Giovanni Paolo II. Atti del Convegno internazionale, 9-11 novembre 2011, Roma, Ateneo Pontificio Regina Apostolorum, 2012, p. 143-184.

[106] S. Thomas d’Aquin, Q.D. De anima, a. 9, c.

[107] Le Docteur commun emploie le concept suggestif d’unibilitas, « capacité à être uni ».

[108] Cf. Pascal Ide, « Les anges dans la nature », Carmel. Les anges, nos invisibles frères, 99 (2001), p. 33-50 ; « Anges », « Décorporation », « Télékinésie », « Télépathie », Patrick Sbalchiero (éd.), Dictionnaire des miracles et de l’extraordinaire chrétiens, Paris, Fayard, 2002, p. 25-27, 211-213, 784-785, 785-787.

[109] Sur « l’unité plus puissante que l’union [unitas potior est quam unio] », cf. S. Thomas d’Aquin, Somme de théologie, IIa-IIæ, q. 26, a. 4.

[110] Irénée de Lyon, Démonstration de la prédication apostolique, 11, éd. et trad. Adelin Rousseau, coll. « Sources chrétiennes » n° 406, Paris, Le Cerf, 1995, p. 99.

[111] S. Thomas d’Aquin, Q.D. De anima, a. 9, c.

[112] Cf. Pascal Ide, « Health : Two Idolatries », Paulina Taboada, Kateryna Fedoryka Cuddeback and Patricia Donohue-White (éd.), Person, Society and Value : Towards a Personalist Concept of Health, coll. « Philosophy and Medicine » n° 72, Lancaster, Kluwer Academic Publishers, 2002, p. 55-85 ; « ‘Aie recours au médecin, le Seigneur l’a créé, lui aussi’ (Si 38,12) », Congrès international des Associations de médecins catholiques, Lourdes, 7 mai 2010, Dolentium hominum. Église et santé dans le monde, 79 (2012) n° 2, p. 42-51.

[113] Cf., par exemple, Pascal Ide, Postface de Dr Patrick Theillier et Dr Michel Geffard, Une nouvelle approche biomédicale des maladies chroniques. L’endothérapie multivalente, coll. « Écologie humaine », Paris, François-Xavier de Guibert, 2001, p. 341-353.

[114] Cf. l’ouvrage documenté et prudent de Thierry Janssen, La solution intérieure. Vers une nouvelle médecine du corps et de l’esprit, coll. « Pocket. Évolution », Paris, Fayard, 2006.

[115] Cf., par exemple, la fasciathérapie élaborée par Danis Bois (entre autres : Danis Bois, Marie-Christine Josso et Marc Humpich [éds.], Sujet sensible et renouvellement du moi. Les apports de la fasciathérapie et de la somato-psychopédagogie, Ivry-sur-Seine, Point d’Appui, 2009).

[116] Cf. Pascal Ide, Des ressources pour guérir. Comprendre et évaluer quelques nouvelles thérapies : hypnose éricksonienne, EMDR, Cohérence cardiaque, EFT, Tipi, CNV, Kaizen, Paris, DDB, 2012, p. 152-153, 192-194, 237-241

[117] Robert Spaemann, « Is Brain Death the Death of the Human Being? », Discussion, p. 149.

[118] Cette absence de dialogue se retrouve dans une rencontre majeure manquée : entre le philosophe Paul Ricœur et le biologiste Jean-Pierre Changeux (La nature et la règle, Paris, Odile Jacob, 1998).

[119] A. Battro et al., « Response to the statement… », p. 391.

[120] D.A. Shewmon, « Mental Disconnect… », p. 321.

[121] Ibid., p. 320.

[122] Benoît XVI, Lettre encyclique Caritas in veritate sur le développement humain intégral dans la charité et dans la vérité, 29 juin 2009, n. 4.

[123] Il faudrait encore dire un mot de la question de l’imitation. Nous avons vu que la raison d’être du respirateur artificiel est de se substituer aux organes défaillants, comme l’affirme l’Académie pontificale pour la vie : « En substance, un instrument artificiel [le respirateur] est devenu la cause principale de cette ‘vie’ non naturelle » (The Pontifical Academy of Sciences, « Perchè il concetto di morte cerebrale… », p. 29). Peut-on dire que, simpliciter, l’artefact imite (ressemble à) la vie ?

D’abord, l’imitation concerne l’opération ; or, la puissance et, a fortiori, l’âme qui est le sujet de ces puissances, demeurent les mêmes en absence d’effectuation ; donc, on ne peut inférer d’une substitution de la fonction à une substitution du principe de vie et décréter que le corps n’est plus vivant. Ensuite, telle machine effectue telle opération macroscopique, comme la nutrition ; mais la vie s’exerce aussi au niveau microscopique, élémentaire, cellulaire. Or, au nom d’un principe ontologique de subsidiarité (la hiérarchisation des « niveaux de réalité » : ce concept est développé par le physicien Basarab Nicolescu dans Nous, la particule et le monde, Bruxelles, InterCommunications, 32012), le niveau supérieur ne peut se substituer au niveau inférieur. Donc, la persistance d’activités métaboliques plaide en faveur de la présence du principe vital. Enfin, l’opération végétative fondamentale est la nutrition qui se traduit par l’assimilation. Or, si, dans le cadre de la nutrition parentérale, la machine présente la nourriture à l’organe et le rapproche le plus possible de la surface d’absorbtion, par exemple entérocytaire, elle ne procède pas à cette absorption que les cellules endothéliales doivent effectuer. Par conséquent, la machine n’exerce pas l’opération vitale première. Et on pourrait en dire de même pour la respiration et la circulation qui lui sont adjointes à titre de prolongement, et pour l’excrétion qui lui est corrélée à titre de contraire.

[124] Tel est par exemple le cas de l’éditeur en chef de American National Catholic Bioethics Quarterly qui a longuement débattu avec les arguments du Dr. Shewmon, Edward J. Furton, « Brain Death, the Soul and Organic Life », American National Catholic Bioethics Quarterly, automne 2002.

[125] L’article de John M. Haas (« Catholic Teaching regarding the Legitimacy of Neurological Criteria for the Determination of Death », National Catholic Bioethics Quarterly, 11 [été 2011] n° 2, p. 279-299) fait le tour de la littérature récente et conclut que le Magistère s’est engagé dans le sens du critère neurologique de la mort. Par exemple, il interprète comme neutre le silence de Benoît XVI en 2008. Mais cette herméneutique est tendancieuse : l’auteur n’évalue pas la portée des paroles magistérielles ; il censure l’opposition de Robert Spaemann qui est membre de l’Académie pontificale pour la vie, alors qu’il souligne le poids de celle-ci ; il ignore ou occulte que le professeur allemand est un ami intime du pape ; il tait le fait que les observateurs avertis attendaient la prise de parole de Benoît XVI.

[126] C’est ainsi qu’un pédiatre a écrit, non sans excès, dans l’introduction d’un récent ouvrage portant sur notre sujet : « L’holocauste de l’avortement et de la transplantation d’organes à partir de donneurs vivants sera descendue dans l’histoire comme les deux événements les plus tragiques et les plus importants des deux derniers siècles [The holocaust of abortion and transplantation of organs from living donors will go down in history as the two most tragic and transcendental events of the last two centuries]. Ces massacres [massacres] se poursuivent sous la protection de la loi en Occident et le support inébranlable des professions juridiques et médicales » (Paul Byrne, « Introduction », Roberto de Mattei éd., Finis Vitae. Is Brain Death True Death?, Oregon, Life Guardian Foundation, 2009, p. ix).

[127] Nous ne considérons que le Magistère suprême. L’ancien archevêque de Cologne s’est par exemple prononcé contre l’identification de la mort de la personne et de la mort cérébrale (cf. cardinal J. Meisner, « Wann Trenne sich Seele und Leib ? », Frankfurter Allgemeine Zeitung, 25 janvier 1997).

[128] Cf. la synthèse dans Catéchisme de l’Église catholique, 8 décembre 1992, n. 366.

[129] Cf. Ibid., n. 365.

[130] Tous les papes, depuis Pie XII, ont salué et encouragé le don d’organes. Outre les textes qui seront cités, cf. Jean-Paul II, Address to the First International Congress of the Society for Organ Sharing, 20 juin 1991, n. 3.

[131] Cf. Jean-Paul II, Discours au 18e Congrès international de la société de transplantation, mardi 29 août 2000, n. 4 et 5. J’ai modifié la traduction du site du Vatican. Ce qui est souligné l’est dans le texte.

[132] Cf. Karol Wojtyla, Personne et acte, texte définitif établi par Anna-Teresa Tymieniecka, trad. Gwendoline Jarczyk, Paris, Le Centurion, 1983, troisième partie.

[133] De même, Robert Spaemann corrèle la conclusion au principe, la rendant ainsi conditionnelle. « because the Pope bases his own equally hypothetical conclusion on it does not mean that a scientific hypothesis is thereby withdrawn from further scientific discourse ». Il cite Furton, en débat avec Shewmon : « The determination of death does not fall under the expertise of the Church, but belongs to the physician who is trained in this field ». Et il reformule le principe plus précisément : « The physician is qualified to determine the existence of pre-defined criteria for death. The discourse about these criteria themselves falls into the domain of philosophers and philosophizing theologians after they have received the neces- sary empirical information from the medical profession » (« Is Brain Death the Death of the Human Being? On the Current State of the Debate », The Pontifical Academy of Sciences, The Signs of Death, p. 130-141, ici p. 138. C’est moi qui souligne).

[134] D.A. Shewmon, « Defining Death », Conférence à la Catholic Medical Association’s Seventy-ninth Annual Educational Conference in Seattle, Washington, 29 octobre 2010 : https://app.etapestry.com/cart/CatholicMedical Association/default/item.php?ref=967.0.211924129.

[135] Benoît XVI, Discours aux participants au Congrès international de l’Académie pontificale pour la vie sur le don d’organes, vendredi 7 novembre 2008. Les citations qui suivent sont tirées de ce texte en sa version française.

[136] Cf. Pascal Ide, Le zygote est-il une personne humaine ?, coll. « Questions disputées : Saint Thomas et les thomistes », Paris, Téqui, 2004 ; « La personnalité de l’embryon humain. Status questionis et dé­termination », Michel Bastit, Michel Mazoyer et Paul Mirault (éds.), L’embryon est-il une personne ?, coll. « Cahiers de Philosophie réaliste. Disputatio » n° 3, Paris, François-Xavier de Guibert, Lethielleux, 2011, p. 121-176.

[137] The Pontifical Academy of Sciences, The Signs of Death, p. 19, § 2.

[138] Cf. Pascal Ide, « Une lecture polysémique de la nature. Trois propositions pour un discours des méthodes », Lateranum, 81 (2015) n° 3, p. 625-652 ; 82 (2016), p. 77-119.

[139] Cf. Id., Le corps à cœur, Versailles, Saint-Paul, 1996, 2e partie, chap. 6.

[140] Cf. Id., « L’idée d’Université selon Benoît XVI », Seminarium, 50 (2010) n° 4, p. 765-799.

2.1.2017
 

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