Jésus, Berger de ma vie. Une lecture chrétienne du Psaume 23 (22), partie 2/2

2) Le Seigneur est mon Hôte

Il a été dit que le Seigneur nous conduisait au repos ; mais la nature de celui-ci n’a pas été précisée. D’où cette seconde partie où l’on découvre que le Seigneur n’est pas qu’un Berger ; il est aussi un Hôte. Or, si le Berger conduit le troupeau sur le chemin, c’est le propre de l’Hôte que d’accueillir au terme. C’est donc que le but nous est ici indiqué. D’ailleurs, comme le note Blaise Arminjon, nous passons par un « fondu-enchaîné » de la première à la seconde partie ; or, le mouvement est une réalité continue : le terme s’inscrit en continuité avec le chemin.

La lecture christologique confirme et approfondit ce constat : le Seigneur qui est le « Chemin » se présente, dans le même mouvement, aussi comme « Vérité » et « Vie » (Jn 14,6), autrement dit, selon saint Augustin et saint Thomas, comme le terme.

De même la lecture morale (théologale) souligne ce constat. L’attitude vectrice de tout le psaume est l’espérance ; or, celle-ci concerne non seulement le but : attendre Dieu, mais aussi le chemin : attendre Dieu de Dieu ; en termes techniques, celui-ci est objet formel autant comme cause finale que cause efficiente.

Le psaume exprime doublement la finalité est double : il est Table et Maison. Ces termes permettent de décrire de manière de plus en plus précise le bien qui nous est octroyé.

a) M’accueillant à sa Table

La finalité se présente d’abord, dans le langage concret du psaume, comme une Table. Le terme se présente d’abord comme une table. Celle-ci présente quatre particularités.

1’) « Devant moi, tu dresses une table »

D’abord, le psalmiste précise son propriétaire : c’est le Seigneur lui-même qui la dresse. Je suis donc invité à rien moins qu’une table royale. Et je suis l’hôte privilégié de mon divin Hôte : le « devant moi » signifie une relation personnelle, intime ; or, la table, le partage d’une même table est, dans toutes les civilisations, un signe d’intimité.

Or, nous avons vu que le Berger était le Christ ; or, la table du Christ, c’est l’Eucharistie ; la lecture eucharistique proposée ci-dessus se trouve renforcée. De fait, le Christ n’est pas seulement la nourriture, il est aussi celui le maître de maison qui dresse la table ; ne se présente-t-il pas lui-même comme celui qui sert (, comme celui qui organise la fête et comme celui qui donne sens au pain et au vin servis (cf. Lc 22,7-18) ? De ce fait, dans le sens eucharistique, se profile le passage qui va de plus en plus se préciser, des biens au Bien, des mets à l’Hôte lui-même.

2’) « Face à mes adversaires »

Puis, le psaume précise qu’il s’agit d’une table de victoire. En effet, de manière très visuelle, trois personnes sont ici visualisées : le roi qui dresse la table ; l’hôte pour qui il est dressée (« moi ») et l’adversaire qui n’est en rien invité et se tient de l’autre côté de la table.

Là encore, la lecture christologique et eucharistique permet de donner toute sa portée à cette parole et surtout à en émousser la violence trop excluante. Les adversaires que le Christ a vaincu ne sont pas d’abord des personnes ; ce sont nos péchés : pour autant, ils sont réellement expulsés de nous ; en ce sens, ils ne sont plus que « face à » nous.

3’) « Tu oins d’huile ma tête et ma coupe déborde »
a’) Les dons en général

Ensuite, le psalmiste présente ce qui couvre cette table : l’huile et le vin. Plus encore, il est dit que le vin déborde. Or, la surabondance est le signe par excellence de l’amour généreux. Par conséquent, plus important que la victoire sur l’ennemi que le psautier ne détaille pas (on sait la complaisance d’autres psaumes à nous décrire leur déconfiture), est la description de la générosité de l’Hôte.

Dès lors, comment ne pas voir en cette table comme une évocation de la terre promise : en effet, la terre où Dieu accueille son peuple est une terre où affluent le vin nouveau et l’huile (Jr 31,12).

b’) Le détail des dons

Je n’entrerai pas dans le détail du symbolisme mais signalerai seulement quelques points.

Multiples sont les usages et les significations symboliques de l’huile : elle est ce qui sert à adoucir la souffrance d’une plaie, apporter force aux athlètes, etc. Je me limiterai à deux. L’huile est le signe d’une faveur (on sait combien Jésus reprochera à Simon le Pharisien de ne pas l’avoir fait : Lc 7,46) ; c’est donc que grande est la faveur que le Roi nous fait, grand est la bienfaisance dont nous sommes l’objet. L’huile est aussi symbole de joie, de fête ; or, la fête est communion, joie d’être ensemble.

Le vin est bien entendu symbole de joie, donc de fête. Plus encore, il coule à flots singulièrement lors des fêtes nuptiales : « Mangez, amis, buvez, enivrez-vous, mes bien-aimés », disait le Bien-Aimé du Cantique (Ct 5,1). C’est donc que cette fête est d’abord joie des épousailles, donc du don des personnes, de la communio personarum.

Là encore, l’interprétation eucharistique s’impose ; plus encore sacramentelle. Grégoire de Nysse voyait dans ce psaume un résumé des sacrements de l’initiation, de leur chemin. En effet, ceux-ci sont précédés d’une préparation chez le catéchumène qui se caractérise par l’écoute de la Parole de Dieu ; puis viennent le baptême, la confirmation et l’Eucharistie. Or, les « verts pâturages » symbolisent la nourriture de la Parole ; les eaux du repos le baptême ; l’huile l’onction de l’Esprit et la Table, avec le vin, l’Eucharistie. Or, dans l’Eucharistie et dans elle seule, c’est Dieu en personne qui se rend présent.

Enfin, on vient de l’évoquer, l’huile, mais aussi le vin (ou plutôt l’ivresse du vin) sont deux symboles majeurs de l’Esprit. C’est donc qu’avec le Fils, c’est l’Esprit qui lui-même nous est donné.

4’) « Grâce et bonheur m’accompagneront tous les jours de ma vie »

Enfin, le psaume décrit la pérennité de la table : elle est liée à l’amour, comme hesed ; or, le hesed, c’est l’amour en tant qu’il est fidélité, pérennité

On notera que le psalmiste reprend le style indirect. Serait-ce le signe d’une distance, d’un anonymat ? Nullement. Blaise Arminjon y voit plutôt le signe d’un ouverture vers un bien encore plus grand : « Le Psalmiste s’abandonne à présent à une réflexion qui le conduit plus loin encore qu’il ne pensait d’abord, et qui l’enchante [1] ». De fait, la fin du psaume, et elle seule, est au futur.

b) Me recevant dans sa Maison

« J’habiterai la maison du Seigneur tout au long de mes jours »

Là encore, de manière continue, nous passons de la table à la maison : d’abord, car une maison est toujours sise dans un domicile ; mais surtout à cause de la pérennité de la table ; or, une maison est stable : ne parle-t-on pas de « demeure » ? Intime est donc ici le lien entre « festoyer » et « habiter ». L’Hôte ne nous accueille donc pas seulement à sa table mais à partager sa vie. Et cela, pour toujours. Désormais le « repos » promis au début du psaume est identifié : il s’agit d’un repos en Dieu et avec Dieu. Comment espérer Bien plus grand ?

Enfin, une lecture trinitaire est ouverte par la « maison du Seigneur ». Certes, nous avons dit que le « Seigneur » qu’est le Berger est le Fils. Mais ce même titre divin peut aussi s’attribuer au Père. Or, l’image de la Maison l’autorise : celle-ci est attribuée, appropriée au Père. La parabole du fils perdu et retrouvé le montre. Plus encore, c’est dans cette même parabole que le Père nous dit que sa joie est de demeurer avec nous : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi », ajoutant que c’est en possédant le Père, que nous entrons en possession de tous ses biens : « et tout ce qui est à moi est à toi » (Lc 15,31). Or, plus haut, nous avons vu que l’huile et l’ivresse du vin évoquaient la présence de l’Esprit. Par conséquent, une nouvelle fois, s’inscrit en filigrane la présence trinitaire. Ainsi le Don qui nous est fait par l’Hôte et qu’est l’Hôte, le terme même de notre chemin, n’est rien moins que la communion des hypostases divines. Comment alors ne pas penser à la table du festin dressée par les trois Personnes trinitaires pour nous ? Et à la manière dont Andréï Roublev nous l’a représentée de manière inoubliable, laissant le quatrième côté libre pour nous signifier que nous sommes invités à nous asseoir ?

c) Conclusion

Ainsi, à travers les images bibliques, nous avons pu progressivement découvrir le terme du chemin vers lequel le Seigneur-Berger nous a conduits : la communion permanente avec Lui, autrement dit le bonheur. Nous sommes passés des biens au Bien qu’est le Seigneur ; puis du Bien ponctuel du Repas au Bien définitif de la Maison.

3) Conclusion

Le psaume 23 nourrit mon espérance : il m’assure de la présence consolante de Dieu et m’exhorte à la confiance. Mais il ne peut prôner cette attitude subjective que parce qu’il me propose, objectivement, de son chemin et de son terme : le Christ l’Eucharistie tout en ouvrant à la Sainte Trinité. C’est dire la richesse inépuisable de ce psaume ; sa popularité ne tient-elle pas au pressentiment de la générosité débordante de son contenu ?

Pascal Ide

[1] Ibid., p. 315.

12.6.2019
 

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