Hors service. Le témoignage d’un homme de service, le Père Pierre Amar

Du beau livre de témoignage que le père Amar, l’un des prêtres fondateur de Padreblog, donne sur sa grave maladie [1], l’on peut tirer bien des leçons de vie spirituelle, sur le malade [2], sur le personnel soignant [3], sur le sacerdoce [4] et bien d’autres sujets, selon qu’ils nous rejoignent. Pour ma part, j’en retiendrai deux.

La première concerne la difficulté à s’écouter, donc à se recevoir, donc à dépendre. Et la seule solution qui réside dans l’humilité dont sainte Thérèse d’Avila disait qu’elle est synonyme de vérité.

« Depuis deux heures, je me tords de douleur dans mon lit car la douleur postopératoire n’a pas été bien prise en compte. Comme d’habitude, je me dis que ça va passer. Et bien sûr, ça ne passe pas. Je laisse bêtement la douleur s’installer… et croître. À quatre heures, anéanti et en sueur, je consens à sonner Karim, l’aide-soignant de nuit. Le dialogue est rude, le ton de Karim est sec et cassant :

‘Depuis combien de temps vous avez mal ?

– Depuis deux heures…

– Pourquoi n’avez-vous pas sonné ?

– Euh… je ne voulais pas vous déranger.

– Vous vous croyez à l’hôtel ?’

La question me fait sursauter. Karim continue, plus violemment encore :

‘C’est ridicule. Vous avez besoin de moi, vous m’appelez, c’est tout. Là, je vais devoir vous donner un traitement bien plus fort que celui que je vous aurais donné il y a deux heures. C’est complètement idiot. […]

– Je suis désolé…

– Désolé de quoi ? Arrêtez de dire ça ! Vous n’avez pas fait exprès d’être malade. Je ne suis pas là pour regarder des films pendant que vous essayez de dormir. Je suis là pour vous…’

Le Père Amar commente humblement : « Je ne sais plus quoi dire car je sens que Karim a raison. Sur le fond et sur la forme. […] Karim aurait pu être gentil. Il a préféré être vrai. Immense service qui va me faire réagir. À partir de cette nuit mémorable, je vais arrêter de m’excuser. Je ne suis pas à l’hôtel, je suis à l’hôpital. Être malade, c’est aussi faire le malade [5] ».

Pour ma part, je trouve l’infirmier un peu revendicatif et jugeant. En confrontant ainsi son patient, il pourrait redoubler sa peine physique par la souffrance psychique de la culpabilité. Il demeure qu’il dit vrai. D’ailleurs, peu de temps après, un chirurgien fait aussi la leçon au père Amar : « Père Amar, ne jouez pas un rôle ». À la réaction du père qui s’entend pour la première fois appelé par son titre et demande : « Un rôle ? », le médecin ajoute : « Oui, donnez-vous le droit d’être un patient comme les autres. Tout le monde sait que vous êtes prêtre, mais donnez-vous le droit d’avoir mal, de pleurer, de vous plaindre, d’appeler au secours. Donnez-vous le droit d’en avoir marre ! »

Et le père Amar de conclure : « Je me dis que Dieu est bon, car j’ai reçu en quelques jours une [ou plutôt deux] leçons d’humilité et de vérité [6] ».

Le deuxième exemple concerne la compassion-consolation. Alors que le moral du père Amar est au plus bas, une infirmière rentre

« pour vérifier la plomberie. Je la salue à peine, ce qui l’étonne.

‘Comment ça va, monsieur Amar ?’

Je fonds en larmes.

‘Qu’est-ce qui ne va pas ?’

Je lui réponds difficilement, entre deux sanglots, la respiration saccadée :

‘Eh bien voilà, j’ai quarante-cinq ans, je suis prêtre, nous sommes samedi, demain c’est dimanche ; je devrais être à Marseille pour un mariage. Et là, je regarde le golf à la télé. C’est tellement pas ça, ma vie !’

La poche de nutrition discrètement vérifiée, elle me dit : ‘Vous savez, je ne suis pas croyante, mais je crois comprendre : vous vous sentez inutile, c’est ça ?’

Inutile de lui répondre puisqu’elle a tout compris. Elle poursuit : ‘Je peux m’asseoir à côté de vous ?’

J’acquiesce d’un geste, entends une nouvelle question : ‘Je peux vous prendre la main ?’

Pendant plusieurs minutes, elle et moi, main dans la main, nous regardons… le golf. Mes yeux se ferment. La respiration se calme et la tristesse diminue. Le remède semble tellement simple ! Cela va mieux parce qu’une infirmière, peut-être débordée, sûrement débordée, a juste pris un peu de temps pour me prendre la main, simplement, en silence. Ce n’est rien et c’est pourtant énorme. Je retiendrai cette histoire longtemps : devant la souffrance, physique ou morale, il n’y a parfois rien d’autre à faire que de se taire ou de prendre la main de celui qui souffre [7] ».

Quel bel exemple de connexion systémique entre vulnérabilité et charité : seule la compassion aimante console celui que la souffrance esseule et désole ; seul peut recevoir la charité celui qui reconnaît sa vulnérabilité. Avec la tendresse, c’est-à-dire l’amour incarné, en bonus.

Pascal Ide

[1] Cf. Père Pierre Amar, Hors service, Paris-Perpignan, Artège, 2019.

[2] Par exemple, sur la visite au malade (cf. Ibid., p. 103-108) ou sa nudité (cf. Ibid., p. 51-53).

[3] Par exemple, sur le don de soi des infirmières et les aides-soignantes, cf. Ibid., p. 70-71.

[4] Par exemple, sur le célibat sacerdotal, cf. Ibid., p. 113-115.

[5] Père Pierre Amar, Hors service, Paris-Perpignan, Artège, 2019, p. 60-61.

[6] Ibid., p. 62.

[7] Père Pierre Amar, Hors service, Paris-Perpignan, Artège, 2019, p. 72-73.

9.2.2023
 

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