Une communion de regards (Billet du jeudi 7 mai 2020)

Cela se passe à la fin de l’« Occupation ». « Un jour, Françoise entend sonner. Elle va ouvrir. Et voici qu’elle reçoit en plein cœur le choc de ce regard qui se pose sur elle – non, qui la pénètre, l’atteint aux profondeurs d’elle-même. Ce regard… c’est bien autre chose que deux yeux qui regardent, c’est celui qu’elle aime, ce qui en lui est unique, son moi profond qui, à travers le regard, s’élance, rejoint Françoise en son moi profond. Et la rencontre de ces deux moi produit une explosion de joie, d’amour, de lumière, de vie [1] ».

Cela faisait cinq ans que Michel était retenu dans un camp de prisonniers, cinq ans que les deux époux attendaient ce moment de retrouvailles. Et là, dans ce moment tant espéré, Françoise fait l’expérience bouleversante de la communion : à travers les regards qui se rencontrent, ce sont les cœurs qui s’entrelacent. Toute communion est concorde, au sens le plus étymologique du terme (cum-cor : « cœur avec l’autre cœur »). Certes, dans le couple, la grande amitié ne peut vivre en permanence à ce niveau de profondeur. Mais si les époux, les grands amis pouvaient se retrouver non pas de temps en temps, mais le plus souvent possible, avec cette intensité de présence mutuelle ! « Mon bien-aimé est à moi, et moi, je suis à lui » (Ct 2, 6) ; « Je suis à mon bien-aimé, mon bien-aimé est à moi » (6,3).

Ce dialogue des cœurs qui passe au-delà des mots, c’est ce que le Bon Dieu aspire tant à vivre avec nous : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure » (Jn 14,23). « Le Christ habite en vos cœurs par la foi » (Ép 3,17). Souvent, nous nous représentons cette inhabitation divine comme celle, statique, d’un contenu dans un contenant. En réalité, la Sainte Trinité vit en nous comme une intense circulation d’amour, à la manière de cet échange des regards et des cœurs entre Michel et Françoise. C’est pour cela que Jésus l’exprime en des termes réciproques : « Demeurez en moi, comme moi en vous » (Jn 15,4. Cf. 14,20).

Et si nous remontions à la communion des communions ? Et si la rencontre de Michel et de Françoise était le pâle reflet de la vie infiniment riche des Personnes divines ? Le Père et le Fils vivent de cet émerveillement réciproque, où le Père fait être et naître son Fils depuis le plus intime de son cœur dans son regard infiniment aimant, et où, osons-le dire, en répondant du plus intime de lui-même par un regard d’infinie gratitude, le Fils donne au Père d’accéder à la plénitude de sa paternité. Alors, jaillit de ce cœur à cœur, « une explosion de joie, d’amour, de lumière, de vie » qui, en Dieu, devient une Personne, l’Amour en Personne, « la Personne-Amour [2] » : l’Esprit-Saint.

Et si, aujourd’hui, nous vivions quelque chose d’une de ces trois rencontres, voire de cette triple rencontre ?

Pascal Ide

[1] Henri Caffarel, Nouvelles lettres sur la prière, Paris, Éd. du Feu Nouveau, 1975, p. 57.

[2] Jean-Paul II, Lettre encyclique Dominum et vivificantem sur l’Esprit-Saint dans la vie de l’Église et du monde, 18 mai 1986, n. 10.

7.5.2020
 

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