« Au moment de dormir, nulle anxiété ; une fois endormi, ton sommeil sera doux » (Pr 3,24)
« Je m’applaudis d’avoir fait la nuit », chantait Charles Péguy dans l’immense hymne qu’il lui consacre [1] ; « C’est la nuit qui est continue, où se retrempe l’être [2] » ; « Car l’homme dans le travail ne me glorifie que par son travail. Et dans le sommeil c’est moi qui me glorifie moi-même par l’abandonnement de l’homme [3] » ; la nuit est la « créature de la plus grande Espérance [4] » ; ceux qui ne dorment pas ont certes le courage de travailler, mais, « les malheureux ils ne savent pas ce qui est bon » : « Ils gouvernent très bien leurs affaires pendant le jour. Mais ils ne veulent pas m’en confier le gouvernement pendant la nuit [5] » ; la nuit est « la seule qui panse les blessures [6] ».
La vie est une énergie presque indéfiniment renouvelable, pour peu que nous connaissions la grande règle de son développement durable : le sommeil. Et son cadre naturel, qui est cosmique : la nuit. Oui, nous parlons d’écologie intégrale. Sept moyens. Les Saintes Écritures parlent du sommeil du juste.
1. Connaître notre durée moyenne de sommeil.
Si vous l’ignorez, le meilleur moyen pour la connaître est de profiter d’un temps de vacances où vous pouvez vous passer d’un réveil-matin (qui est, en fait, un casse-sommeil). Pour autant que vous n’êtes pas trop en déprivation et que votre rythme (je vais y revenir) est régulier.
Connaître la durée moyenne (7h. 15 l’été et 7h. 45 l’hiver) n’est pas suffisant, tant les variations interindividuelles sont grandes (la femme a en moyenne besoin d’1 heure de sommeil en plus que l’homme).
2. Décider de dormir le temps dont nous avons besoin chaque nuit.
Cela suppose que vous ne nourrissiez pas l’illusion de récupérer votre manque de sommeil en fin de semaine. Le besoin de sommeil est quotidien et l’on ne peut pas accumuler de dette au-delà d’un ou deux jours. Sinon, la déprivation de sommeil se paye, c’est-à-dire retentit immédiatement sur le corps (somatisation) ou sur le psychisme (en tension, perte d’attention, de contrôle de soi, etc.).
Cela suppose aussi que nous cessions de nous justifier ou de nous victimiser : « J’ai trop à faire » ; « Je n’ai pas un moment à moi dans la journée » ; « Il faut bien que je regarde mes mails » ; « Je dois me tenir au courant et consulter un bulletin d’info ». Ne pas dormir assez, c’est toujours choisir de prioriser autre chose. Et dénier son incarnation.
3. Décider de respecter notre rythme de sommeil.
Les deux besoins fondamentaux concernant le sommeil sont le respect de la durée, dont nous venons de parler ; et le respect du rythme dont nous parlons maintenant. Le rythme est l’alternance veille-sommeil. Concrètement, notre cerveau a besoin que nous nous couchions à la même heure.
C’est, pour moi, le principal lieu de mon combat à l’égard du sommeil. Je connais la musique intérieure : « Je récupèrerai demain. Je me lèverai un peu plus tard. J’ai besoin de me détendre. Je dois terminer ce travail ».
4. Aménager un sas entre le travail et le sommeil.
Nous ne pouvons pas passer directement du travail au sommeil. Pour une raison humaine d’importance : le travail suscite de la tension ; or, le sommeil n’advient que si nous sommes détendus, si nous avons lâché prise. Ce sas, qui est variable selon les personnes, les moments de l’année, dure au plus une demie-heure. Ni trop (la soirée entre potes) ni trop peu (une simple prière).
5. Chercher le moyen de la bonne détente.
Pour cela, il s’agit d’abord d’écarter les ennemis. Il faut le dire et le répéter de manière catégorique : ce ne peut pas être un écran. Car le rayonnement émis par celui-ci inhibe la mélatonine, qui est l’hormone régulatrice du sommeil. Les écrans, professionnels ou ludiques, doivent donc être prohibés au moins une heure avant le coucher. Rappelons à ce sujet que, si vous utilisez votre smartphone comme réveil-matin, le sommeil sera de bien meilleure qualité si vous le mettez en mode silencieux.
Ce peut être un roman, à condition que ce ne soit pas un page turner addictif.
Donc, à vous de trouver le moyen qui vous convient et qui vous détend réellement : lire l’évangile du lendemain (mais, je le dis pour le prêtre, sans commencer à préparer l’homélie !), une BD, un roman. Bien entendu, confier sa nuit, ses soucis éventuels, les siens au Bon Dieu. Dire avec Jésus (ce sont ses tous derniers mots) : « Père, entre tes mains je remets mon esprit ».
Quoi qu’il en soit, le critère est le suivant : dès qu’arrivent les premiers signes d’endormissement, ne surtout pas leur résister, mais y céder. Le biorythme du cerveau est de 90 minutes : toutes les heure et demie, il a besoin de prendre des vacances (même pendant la journée). Résister à l’envie de dormir, au premier train de sommeil, c’est courir le risque d’attendre le suivant, qui ne repassera que dans …
J’ajouterai deux brefs conseils qui sont complémentaires :
6. Cueillir les fruits.
C’est-à-dire observer les bénéfices de cette nouvelle hygiène de vie : plus d’attention (au double sens d’être attentif et attentionné), plus de sérénité, plus de stabilité intérieure, etc. Et capitalisez dessus. Le démon tend à nous rendre amnésique de nos échecs et ingrats de nos réussites.
7. Revisiter régulièrement cette décision.
Redisons-le une dernière fois : la difficulté à mettre en place cette décision pourtant décisive et la récurrence de ce combat spirituel signalent la hauteur des enjeux.
Redisons-le. Le temps des vacances qui approche ou est déjà là est le moment idéal pour mettre en place des habitudes vertueuses concernant le sommeil. Le sommeil du juste (qui n’est pas une expression biblique) est d’abord un juste sommeil. De la qualité du sommeil dépend en grande partie la qualité de notre vie relationnelle et notre vie surnaturelle. Un dernier argument. Le sommeil fait partie de ces infimes créatures que nous sommes accoutumés à négliger ou mépriser. « Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,40 et 45).
Sur Internet circule une prière simple et vraie [7] :
« Seigneur,
apprends-moi à me reposer.
Apprends-moi à laisser les choses en suspens,
à ne pas vouloir régler toutes les affaires avant de dormir.
Apprends-moi à accepter d’être fatigué.
Apprends-moi à finir une journée.
Autrement, je ne saurai pas mourir…
Car il reste encore du travail après moi !
Apprends-moi à accepter… de n’être pas Toi ».
Pascal Ide
[1] Charles Péguy, Le porche du mystère de la deuxième vertu, dans Œuvres poétiques complètes, éd. Marcel Péguy, coll. « Bibliothèque de la Pléiade » n° 60, Paris, Gallimard, 1957, p. 664. Cf. p. 657-670.
[2] Ibid., p. 662.
[3] Ibid., p. 665.
[4] Ibid., p. 663.
[5] Ibid., p. 658.
[6] Ibid., p. 665.
[7] L’origine, comme si souvent dans ces cas-là, est intraçable.