Dans la relecture spirituelle qu’il propose de sa vie (en forme de prière, à la manière des Confessions), Albert Chapelle écrit :
« La découverte de l’exégèse patristique et médiévale avec le P. de Lubac me montra dans la distinction du sens littéral et du sens spirituel de l’Écriture comme dans l’articulation de celui-ci l’analogatum princeps, le modèle premier de cette articulation intime de la parole à travers les Exercices spirituels. Ceux-ci recueillaient à leur rythme le secret de ta parole inscrite par l’Esprit dans un cœur ; c’est parce qu’ils constituaient eux-mêmes une reprise déjà de l’économie du salut déployée dans l’Histoire sainte, et revécue tout entière dans les quatre temps de chaque acte d’exégèse spirituelle de ton Écriture inspirée [1] ».
Autrement dit, les quatre Semaines correspondent aux quatre sens en raison d’une profonde analogie de proportionnalité : les quatre Semaines détaillées par les Exercices spirituels sont à l’histoire sainte personnelle ce que les quatre sens de l’Écriture sont à l’économie déployée dans la totalité de l’histoire sainte. Il se vérifie ici une illustration exemplaire de cette loi de fractalité (la partie contient le tout) que nous avons exposée ailleurs [2].
Relevons ici cette phrase : « les Exercices spirituels […] recueillaient à leur rythme le secret de ta parole inscrite par l’Esprit dans un cœur ». Presque anodine, elle est en réalité riche à l’excès de toute une métaphysique de l’amour-don : Dieu, le Donateur, se donne au « cœur » du récepteur, par une double médiation, symbolisée d’une parole (participation du Verbe) et symbolisante de son Esprit [3]. Loin d’être seulement le milieu porteur de la parole, le Pneuma pénètre à l’intime, peut déposer dans « le secret » du cœur le germe de cette parole. Et le tout vibre d’un « rythme » qui en assure l’unité, la beauté et la fécondité. L’on pourrait ainsi parler d’une double médiation entre donateur et récepteur : symbolisée et symbolisante. Elle est symbolisée en une parole ; elle est symbolisante par un souffle pénétrant [4].
Médiation symbolisée
Donateur —————————————————————> Récepteur
Médiation symbolisante
Or, la parole est une participation du Verbe et le souffle qui pénètre à l’intime est, lui aussi, une participation, mais de l’Esprit. Personnalisée, cette structure n’est pas seulement trinitaire, mais aussi ecclésiologique : le Père, le Fils, l’Esprit – ainsi que Marie, première Église.
Fils
Père —————————————————————> Église (Marie)
Esprit
Pascal Ide
[1] Albert Chapelle, Au creux du rocher. Itinéraire spirituel et intellectuel d’un jésuite. Mémorial, coll. « Au singulier » n° 9, Bruxelles, Lessius, 2004, p. 32.
[2] Cf. Pascal Ide, « Le tout est (dans) la partie. La loi holographique, contrepoint à l’émergence », Philippe Quentin (éd.), Émergence, colloque de l’ICES, La Roche-sur-Yon, 19 et 20 mars 2019, coll. « Colloques », La Roche-sur-Yon, Presses Universitaires de l’ICES, 2021, p. 52-112.
[3] Nous développons dans la métaphysique de l’amour-don ce que nous appelons loi de symbolisation. Ici, pour la première fois, nous la dédoublons et la dénommons à partir de ce double qualificatif : symbolisé et symbolisant.
[4] Blondel semble avoir évoqué lui-même un double vinculum, christologique et pneumatologique.