Puissance de la gratitude : analyse de film chapitre 7

Chapitre 7 : Les évadés

Les évadés (The Shawshank Redemption), drame carcéral américain de Frank Darabont, 1994. Avec Tim Robbins et Morgan Freeman.

La scène se déroule de 1 h. 4 mn. 10 sec. à 1 h. 9 mn. 45 sec.

  1. a) Résumé de l’histoire

Andy Dufresne (Tim Robbins), ancien vice-président d’une banque de Portland, est accusé du meurtre de sa femme et de son amant. Il se retrouve incarcéré dans une des pires prisons des États-Unis, Shawshank, où il est livré au sadisme de son directeur tout-puissant. Il noue amitié avec Ellis Boyd « Red » Redding (Morgan Freeman). Pourtant, Andy clame son innocence.

Dans la scène ici sélectionnée, nous retrouvons Andy au moment où il a reçu, après une endurance digne d’éloges, plusieurs cartons de livres et de disques – du jamais vu à Shawshank, où la culture se réduit à quelques vieilles pellicules, toujours les mêmes, dont l’une a d’ailleurs donné son titre, si révélateur, à la nouvelle de Stephen King qui a inspiré le film : Rita Hayworth and Shawshank’s Redemption. Soudain, une impulsion presque irrésistible invite Andy à écouter le passage de l’un des disques.

  1. b) Commentaire de la scène

La prison de Shawshank pourrait être considérée comme un concentré de la société d’hyperconsommation : monde de routine et d’aliénation où l’on est à l’affût du moindre plaisir éphémère, où le travail n’a d’autre sens que la détente qui lui succède. Même le gardien consomme la revue qu’il feuillette machinalement aux toilettes.

En regard, Andy, lui, goûte ce sublime passage de l’opéra de Mozart, Les Noces de Figaro [1]. Loin de le réduire à un objet de consommation, il l’honore comme une réalité objective, comme une œuvre artistique, bonne et belle. Loin de consommer, il contemple. Il a conservé pure sa capacité d’émerveillement. Et, lorsque le directeur le menace, il augmente le son, non pas tant par goût de la provocation que pour couvrir le son de ses cris.

Cette attitude extérieure répond à une attitude intérieure : la liberté. Mais celle-ci n’est pas l’indifférence du sage stoïcien ou du moine bouddhiste. C’est la liberté de celui qui sait accueillir le bien. Et tel est sans doute, avec l’espoir, le thème central de ce puissant drame carcéral : la liberté qui n’est pas d’abord conquise en dehors du pénitentier, ne le sera pas au dehors.

Plus encore, anticipant ce que dira le prochain chapitre, ce bien fait signe vers un don. Déjà, Andy est celui qui offre ce concert improvisé à tous les prisonniers. Dans leur attitude non seulement stupéfaite, mais quasi religieuse (tête levée, regard à la recherche d’une source impalpable), ceux-ci montrent qu’ils reçoivent cette musique comme un cadeau inouï. Elly commente : Plus encore, pour Andy, la musique devient le symbole de l’au-delà de la prison que tout s’efforce de tuer dans les âmes : « C’est ça la beauté de la musique, on ne peut pas te l’enlever. […] C’est ici que cela a le plus de sens. On en a besoin pour ne pas oublier. Ne pas oublier qu’il y a des endroits dans le monde qui ne sont pas faits de murs de pierre, qu’il y a quelque chose en nous qu’il ne peuvent atteindre, toucher. L’espoir ». Qu’il paraît mesuré, humain, d’abandonner tout espoir : « Ne rêve pas. Les choses sont comme ça », ainsi que l’affirme Wood, l’un des prisonniers qui, une fois libéré, a fini par se pendre. En refusant la désespérante option (vivre en prison ou mourir), Andy brise le cadre étroit du fini, par la médiation

Andy ne se contente pas d’écouter, il garde, il intériorise et fait mémoire de ce bien qu’est la beauté. C’est ce que la deuxième partie appellera la loi d’intériorisation du don. Voilà pourquoi, lorsqu’il revient, au prisonnier qui lui dit qu’il est fou d’avoir accepté quinze jours de mitard (« Un jour au mitard, c’est un an de ta vie »), il répond qu’il y était avec Mozart, et son doigt touche sa tête, c’est-à-dire sa mémoire.

Enfin, loin de garder ce bien pour lui, Andy le partage avec les autres, avec tous les autres. Et nous verrons au terme que le propre de la gratitude est de transformer le don reçu en don offert.

Pascal Ide

[1]Le Nozze di Figaro, Duo de l’acte 3 : Che soave zeffiretto. Dans le film, l’orchestre est dirigé par Karl Böhm, la comtesse interprétée par Gundula Janowitz et Susanna par Édith Mathis : Deutsche Grammophon Geselschaft, 1968, n° de catalogue 449 728-2.

20.10.2020
 

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