Possession et parler une langue inconnue

Les trois signes autrefois retenus comme preuve d’une possession démoniaque – la xénoglossie (la force extraordinaire, la pratique d’une langue étrangère inconnue), la voyance (la connaissance de faits éloignés ou secrets) et la psychokinèse (le déploiement d’une force supérieure aux capacités physiques de la personne) – ne semblent plus pouvoir être retenus aujourd’hui au vue des résultats de la psychiatrie. Centrons-nous sur le parler en langue étrangère inconnue [1], ainsi que l’attestent certains cas cliniques, dont le premier est le plus étonnant.

Un jeune hollandais sportif de 17 ans doit bénéficier d’une opération du genou sous anesthésie générale. L’intervention chirurgicale se déroule très bien. Toutefois, en salle de réveil, l’infirmière s’aperçoit que le patient n’arrive plus à s’exprimer dans sa langue maternelle et ne parle plus qu’en anglais avec un fort accent hollandais. C’est encore le cas plusieurs heures après l’opération, si bien qu’il est est adressé au service psychiatrique ambulatoire de l’hôpital universitaire de Maastricht. Le symptôme est d’autant plus étonnant que le patient n’a pas étudié l’anglais à l’école, n’a pas voyagé récemment à l’étranger et n’a pas de famille dans un pays anglophone. Par ailleurs, le jeune homme ne souffre d’aucune antécédent, psychiatrique ou médical, individuel ou familial. Heureusement, après 24 heures, le patient a commencé à comprendre et à s’exprimer à nouveau en néerlandais. Ce cas extraordinaire qu’aucun médecin n’a pu expliquer a fait l’objet d’une publication scientifique [2].

En 2016, un patient italien de 50 ans est opéré pour une malformation vasculaire. Lors de l’intervention, surviennent des complications ; à son réveil, il ne parle plus que français. Certes, il l’avait appris à l’école. Mais c’était de manière succincte, de plus, il y a 30 ans, et enfin, il ne l’avait plus jamais pratiquée depuis. D’ailleurs, il se met à vivre « à la française ». Ajoutons que le patient n’a pas perdu sa langue maternelle. Ce cas a aussi fait l’objet d’une monographie par des neuropsychologues de l’hôpital de Varèse et des psychologues d’Edimbourg [3].

En 2014, un jeune Australien de 22 ans est victime d’un grave accident de la route. Après une semaine de coma, il se réveille en parlant couramment et sans accent le mandarin, langue qu’il avait apprise en même temps que le français. Il s’exprime d’ailleurs si bien qu’il est parti s’installer à Shanghai pour y vivre. Ici, la xénoglossie s’apparente plus à une cryptomnésie.

Quoique rarissimes (une soixantaine de personnes dans le monde), ces cas sont tout de même assez circonscrits et connus pour porter un nom, le syndrome compulsif de la langue étrangère (acronyme : FSA pour Foreign accent syndrome) [4].

 

Est-ce à dire qu’il n’y a plus de signes pathognomoniques de la possession ? A priori, non. Mais, a posteriori, si : c’est l’effet positif de l’exorcisme. Si celui-ci fait disparaître les symptômes, c’est donc qu’il y avait bien possession démoniaque. Le remède sert aussi de diagnostic.

Pascal Ide

[1] La polémique est ancienne. Cf. l’étude historique de Jean-Pierre Cavaillé, « Imposture et possession diabolique. Une preuve controversée: la connaissance des langues », Kirsten Dickhaut, avec la coll. de Irene Herzog (éds.), Kunst der Täuschung – Art of Deception: Über Status und Bedeutung ästhetischer und dämonischer Illusion in der Frühen Neuzeit in Italien und Frankreich, coll. « Culturae / intermedialität und historische anthropologie », Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 2016, p. 229-252, Accessible en ligne le 7 janvier 2024 : https://hal.science/hal-02092046/document

[2] Cf. l’article accessible en ligne le 7 janvier 2024 : https://www.mediquality.net/lu/topic/article/24724475/un-jeune-neerlandais-ne-parle-plus-que-l-anglais-apres-une-intervention-chirurgicale-au-genou

[3] Nicoletta Beschin, Angela de Bruin & Sergio Della Sala, « Cortex Clinical postcard Compulsive foreign language syndrome: A clinical observation not a mystery », Cortex, 81 (2016), p. 276-277.

[4] Kathleen Kurowski, Sheila E. Blumstein & Michael Alexander, « The foreign accent syndrome: a reconsideration ». Brain and Language, 54  (1996) n° 1, p. 1-25 ; Kathleen Kurowski, Sheila E. Blumstein, « The foreign accent syndrome: A perspective ». Journal of Neurolinguistics, 19 (2006) n° 5, p. 346-355.

1.3.2024
 

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