Notre Dame de l’Assomption, Arche victorieuse de Dieu 1/2

« Marie, signe de la victoire du bien, de Dieu [1] ».

0) Introduction

En cette fête de l’Assomption, nous aimerions défendre la thèse suivante : Dieu combat au milieu de nous (pour son peuple qu’est l’Église) avec son Arche d’Alliance. Cette affirmation signifie plusieurs choses : Dieu ne nous évite pas le combat ; ce combat est collectif ; il s’effectue selon les règles que Dieu donne ; il est là, en personne, dans nos combats, et même au milieu de la bataille ; il combat à nos côtés par la médiation d’un don qui symbolise cette présence de Dieu : l’Arche. Cette notion vétérotestamentaire que l’on croit obsolète, ne serait donc en rien surannée.

Nous montrerons la thèse en parcourant successivement l’Ancien Testament (1), le Nouveau Testament (2), la liturgie de la fête de l’Assomption (3) et l’histoire de l’Église (4).

Ne nous le cachons pas. La relecture que je propose ici, surtout la mise en perspective historique, soulèvera chez nous de très grandes résistances. Les raisons en sont multiples : en France, l’amour de la patrie évoque une sombre partie de notre histoire ; le patriotisme est toujours un crypto-nationalisme ; toujours dans notre pays, l’identité « tradi », a fortiori intégriste, est autant religieuse que politique, sociologique et même psychologique ; notre « doulce France » transforme les différences en oppositions et bientôt les oppositions en révolutions ; parler d’une intervention divine immédiate dans le cours de l’histoire de l’Église et du monde est au minimum ingénu et au maximum providentialiste ou spiritualiste ; oser parler d’un combat spirituel, c’est diaboliser le monde, refuser l’ouverture au monde heureusement prôné par le dernier Concile et, horresco referens, revenir à la lutte anti-moderniste ; etc.

1) Ancien Testament

Souvent dans l’Ancien Testament, Dieu combat directement pour son peuple et le sauve par la médiation de son arche.

a) Le combat de Dieu à l’égard du mal

Le mal collectif existe ; il est nécessaire de le combattre et de le combattre par la lutte politique et armée. Or, Dieu s’engage dans ce combat ; voire, il combat lui-même pour nous, ainsi qu’un psaume le résume admirablement :

 

« Le Seigneur a déjoué les plans des nations, anéanti les projets des peuples.

Le plan du Seigneur demeure pour toujours,

les projets de son cœur subsistent d’âge en âge. […]

Le salut d’un roi n’est pas dans son armée, ni la victoire d’un guerrier, dans sa force.

Illusion que des chevaux pour la victoire : une armée ne donne pas le salut.

Dieu veille sur ceux qui le craignent, qui mettent leur espoir en son amour,

pour les délivrer de la mort, les garder en vie aux jours de famine.

Nous attendons notre vie du Seigneur :

il est pour nous un appui, un bouclier. » (Ps 32 [33],10-11.16-20)

b) La médiation privilégiée de l’Arche

Comment Dieu combat-il ? Par son Arche.

1’) La première mention. L’histoire de Noé

La première mention de l’arche se trouve dans l’histoire de Noé (Gn 6-9). Or, elle apparaît d’abord dans un contexte de violence et de malice, donc de lutte contre Dieu et entre les hommes : « la terre s’était corrompue devant la face de Dieu, la terre était remplie de violence. Dieu regarda la terre, et voici qu’elle était corrompue car, sur la terre, tout être de chair avait une conduite corrompue » (Gn 6,11-12).

Toutefois, la corruption n’est pas totalement universelle : « Parmi ses contemporains, Noé fut un homme juste, parfait. Noé marchait avec Dieu » (v. 9). Dieu décide alors de le sauver, lui et sa famille. Or, ce salut va être assuré par une arche (v. 14). Enfin, au sortir de l’arche, Dieu affirme à Noé et à ses fils, pour la première fois, qu’il fait alliance :

 

« Voici que moi, j’établis mon alliance avec vous, avec votre descendance après vous, et avec tous les êtres vivants qui sont avec vous : les oiseaux, le bétail, toutes les bêtes de la terre, tout ce qui est sorti de l’arche. Oui, j’établis mon alliance avec vous : aucun être de chair ne sera plus détruit par les eaux du déluge, il n’y aura plus de déluge pour ravager la terre. » (9,9-11).

 

Cette alliance est à la fois universelle (pour tous) et inconditionnelle (pour toujours). Pour tous, plus précisément pour la « descendance » spirituelle de Noé, c’est-à-dire pour les justes qui font confiance ; et elle inclut la nature, ce qui fait sens aujourd’hui, à la lumière de l’encyclique Laudato si. Pour toujours, au sens où Dieu promet qu’il n’y aura plus de déluge ou équivalent (comme la comète Jack dans le film actuellement sur les écrans, Greenland).

Donc, l’arche est déjà comme une arche d’alliance. Elle est donnée comme un remède. Plus encore, elle est la première manifestation de la miséricorde divine. L’arche est le symbole concret, choisi par Dieu, pour sauver ceux qui ont confiance en lui.

2’) Histoire de Moïse

On retrouve l’Arche dans l’histoire de Moïse. Là encore, c’est Dieu qui demande à l’homme de construire cette arche. Celle-ci symbolise sa présence et son alliance avec son peuple.

 

« Derrière le second rideau, il y avait la tente appelée le Saint des Saints, contenant un brûle-parfum en or et l’arche d’Alliance entièrement recouverte d’or, dans laquelle se trouvaient un vase d’or contenant la manne, le bâton d’Aaron qui avait fleuri, et les tables de l’Alliance » (He 9,3-4).

 

Considérons d’abord le lieu. On pourrait le décrire par cercles concentriques de plus en plus rapprochés : la Terre Sainte ; Jérusalem ; le temple ; le Saint des Saints ; l’arche d’alliance ; le contenu de cette arche.

Précisons. L’Arche contient trois choses : les tables de la Loi (cf. Ex 25,21) ; un vase avec la manne (cf. Ex 16,32-34) ; un rameau d’Aaron (cf. Nb 17). Or, la Loi, c’est la Parole de Dieu ; la manne est la préfiguration des sacrements ; le rameau dit l’autorité de Moïse. Autrement dit, ce qui enseigne, nourrit et conduit le peuple : les trois munera. Par conséquent, l’Arche ne se contente pas de contenir, elle symbolise – c’est-à-dire rend présent – Dieu au maximum.

3’) La conquête de la Terre promise

En même temps, l’Arche est le symbole de la victoire de Dieu. En effet, le peuple élu passe le Jourdain et entre dans le pays où coulent le lait et le miel, la terre de la promesse, avec l’Arche. De plus, il conquiert Canaan avec l’Arche – par exemple dans la liturgie guerrière de Jéricho (cf. Jos 6). C’est aussi par l’Arche que les Hébreux combattent leurs adversaires. Ainsi, à chaque fois, c’est la présence même de Dieu qui est ainsi signifiée par l’Arche : une présence effective, efficace, la présence de Dieu qui combat avec et pour son peuple.

On objectera que l’Arche fut une fois perdue pendant plusieurs mois (cf. 1 Sm 4,3). Or, ce fut justement parce que le peuple n’a pas écouté la volonté de Dieu, donc fut infidèle. Ainsi, l’Arche symbolise aussi l’union du peuple au Dieu fidèle.

4’) La garde de l’Arche

Lorsque Salomon construit le temple, il suit le désir de son père David de garder l’Arche. Aussi celle-ci est-elle placée et gardée dans le Saint du Saint du temple. Or, ce lieu est celui qui est réservé à Dieu. Ainsi est signifié une nouvelle fois que l’Arche rend Dieu présent.

5’) Oubli final de l’Arche

Qu’est devenue l’Arche d’Alliance ? Jérémie la cache dans un endroit qui ne sera jamais retrouvé.

 

« Arrivé là, Jérémie trouva un site caverneux. Il y introduisit la Tente, l’Arche et l’autel de l’encens, puis il en obstrua l’accès. Quelques-uns de ceux qui l’avaient accompagné revinrent pour marquer de signes le chemin, mais ils ne purent le retrouver. Quand Jérémie l’apprit, il leur fit des reproches et leur dit : “Ce lieu restera inconnu, jusqu’à ce que Dieu ait accompli le rassemblement de son peuple et lui ait montré sa miséricorde. Alors, le Seigneur fera voir de nouveau ces objets ; alors, la gloire du Seigneur se manifestera, ainsi que la nuée, comme elle se montrait au temps de Moïse et lorsque Salomon adressa une supplication pour que le Lieu saint soit magnifiquement consacré’’ » (2 M 2,5-8).

« En ces jours-là – oracle du Seigneur –, on ne dira plus ‘Arche de l’Alliance du Seigneur’, on ne gardera plus mémoire de l’Arche, on ne s’en souviendra plus, on ne s’en occupera plus, on n’en fera pas une autre » (Jr 3,16).

 

De fait, le temple de Salomon (décrit en 1 R 6-7 et 2 Ch 3-4) fut détruit par Nabuchodonosor en 587 ; or, le Saint des Saints était déjà vide. En 537, après l’exil, lors du retour, un deuxième Temple est reconstruit, avec moins de moyens. Il demeure juste un mur incorporé au temps d’Hérode. Et le troisième Temple disparaîtra lui aussi, au moment de la Nouvelle Alliance.

2) Nouveau Testament

Que devient l’Arche dans le Nouveau Testament ? Est-elle obsolète ? Puisqu’il s’agit de l’Arche d’Alliance, ne faudrait-il pas plutôt dire que, comme le Testament (testamentum, en latin, signifie alliance »), elle est renouvelée ? D’ailleurs, tel est le cas de tout ce qui concerne le sanctuaire : le corps Jésus est le nouveau Temple ou sanctuaire (cf. Jn 2,21) ; la manne est la préfiguration de l’Eucharistie (cf. Jn 6,30 s) ; etc. Alors, si Jésus devient le nouveau Temple et si l’Arche est au centre de ce nouveau Temple, faut-il dire aussi qu’il est la nouvelle Arche ? Regardons de plus près ce que dit l’Écriture, notamment deux épisodes : l’un au tout début, la Visitation, l’autre au terme, dans le livre de l’Apocalypse.

a) La Visitation

L’épisode de la Visitation montre un étonnant parallèle avec un épisode de l’Ancien Testament. Un tableau suffit à mettre en évidence de stupéfiantes coïncidences :

 

 

L’Arche d’Alliance (2 S 6)

Marie (Lc 1,39-56)

Mise en route

David se met en route en emportant l’Arche (v. 11)

Marie se rendit chez Elisabeth (v. 39).

Arrivée. Parole d’accueil

« Comment l’Arche du Seigneur entrerait-elle chez moi ? » (v. 9)

« Comment m’est-il donné que la Mère de mon Seigneur… ? » (v. 43)

Réponse : l’exultation

David danse devant l’Arche (v. 16)

L’enfant tressaille de joie dans le sein d’Elisabeth (v. 44)

Présence durable

L’Arche demeure trois mois (v. 11)

Marie demeure trois mois (v. 56)

 

Ajoutons une autre convergence significative : « L’arche de Dieu resta pendant trois mois chez Obed-Édom, dans sa maison. Et le Seigneur bénit la maison d’Obed-Édom et tout ce qui lui appartenait » (1 Ch 13,14).

Nous pouvons donc conclure que Marie est la nouvelle Arche d’Alliance. D’ailleurs, nous nous souvenons que l’Arche contient trois choses : les tables de la Loi, un vase avec la manne et le rameau d’Aaron. Or, en portant Jésus (cf. Lc 11,27-28), Marie a contenu Jésus qui est la Parole de Dieu et la Loi nouvelle (cf. Mt 5-7), le Pain vivant (cf. Jn 6) et le Grand-Prêtre (cf. He). Donc, Marie est la nouvelle Arche d’Alliance.

b) L’Apocalypse

Nous connaissons bien la grandiose apparition de la Femme et du Dragon : « Un grand signe apparut dans le ciel : une Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles » (Ap 12,1). Suit le second signe, tout aussi impressionnant : « Un autre signe apparut dans le ciel : un grand dragon, rouge feu, avec sept têtes et dix cornes, et, sur chacune des sept têtes, un diadème. Sa queue, entraînant le tiers des étoiles du ciel, les précipita sur la terre » (v. 3 et 4a). Et le deuxième signe est en lutte acharnée, mortelle, contre le premier : « Le Dragon vint se poster devant la femme qui allait enfanter, afin de dévorer l’enfant dès sa naissance » (v. 4b).

Mais nous oublions souvent ce qui précède :

 

« Le sanctuaire de Dieu, qui est dans le ciel, s’ouvrit, et l’arche de son Alliance apparut dans le Sanctuaire ; et il y eut des éclairs, des fracas, des coups de tonnerre, un tremblement de terre et une forte grêle ». (Ap 11,19)

 

Dans une image saisissante, l’Apocalypse nous assure même que, dans les combats qui dureront jusqu’à la fin des temps, Dieu est présent, avec son Arche. Si le premier épisode a montré que Marie est la nouvelle Arche d’Alliance, le second à la fois le confirme (la femme est présentée comme l’Arche d’Alliance) et le prolonge que, par cette Arche, Dieu combat avec nous et, surtout, a déjà obtenu la victoire.

c) Conclusion

Marie, Reine de la Paix, est donc la nouvelle Arche d’Alliance avec laquelle Dieu veut remporter toutes ses victoires.

Autrement dit, l’Arche est une des médiations privilégiées de la miséricorde divine : « La miséricorde se manifeste dans son aspect propre et véritable quand elle revalorise, quand elle promeut, et quand elle tire le bien de toutes les formes de mal qui existent dans le monde et dans l’homme [2] ».

Pascal Ide

[1] Benoît XVI, Homélie à la paroisse San Tommaso da Villanova, Castelgandolfo, mercredi 15 août 2007.

[2] Jean Paul II, Lettre encyclique Dives in misericordia sur la miséricorde divine, 30 novembre 1980, n. 6, § 6.

15.8.2020
 

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