Le père jésuite Henri Jomin (1895-1982) [1] a développé une thérapie ou plutôt une rééducation centrée sur l’instant présent. Il lui a donné le nom d’horathérapie, le grec hora signifiant « heure ». Comme beaucoup d’inventeurs, il fut d’abord son propre laboratoire. Voici le récit de sa propre découverte :
« Ayant souffert douze ans de névrose phobique, je fus délivré de mes angoisses en 1925 en pratiquant, seul, les conseils que donne le docteur Vittoz, de Lausanne, dans son livre Traitement des psychonévroses par la rééducation du contrôle cérébral. Aussitôt, j’entrepris d’aider quelques collègues, avec succès, mais en dépassant très rapidement Vittoz, en mettant au point une méthode personnelle et en la perfectionnant sans cesse depuis ».
De fait, après avoir passé 25 ans en Chine, de retour en France, Henri Jomin conseille de nombreuses personnes tout en élaborant cette psychothérapie.
Cette démarche est thérapeutique, ainsi que la deuxième partie du terme horathérapie le signifie. C’est ainsi que, selon le père Jomin, « 2789 personnes ont été traitées, à ce jour, par l’horathérapie. Elles souffraient de toutes sortes de psychonévroses, certaines jugées incurables par leur médecin ».
1) L’intuition
Le principe est très simple : il s’agit de vivre dans l’instant présent et de vivre seulement centré sur le nunc. En effet, « l’instant présent est un trésor et l’unique trésor que nous ayons ». En effet, « je vis dans la durée, un instant après l’autre. L’instant d’avant, je n’y peux plus rien. L’instant d’après, je n’en sais rien. Je n’ai à moi que l’instant présent. C’est mon unique trésor : c’est lui qui me permet de réparer le passé et de préparer l’avenir, et c’est lui qui me met en contact avec l’éternel. Bien vivre, c’est vivre toujours dans le présent ».
2) Les principes
La méthode se résume en deux règles : « Je veux ce que je fais » ; « Je veux ce qui est ». En réalité, ces règles sont précédées par une autre règle et sous-tendues par une quatrième. Ces quatre principes sont autant de chemins pour connecter avec le présent du présent.
a) La « sensation pure »
Le premier chemin est, celui, ouvert par Vittoz, de la réceptivité sensorielle. Je suis avant tout présent au présent par ce que je sens, par mes cinq sens. Henri Jomin réserve ces moments à ceux de détente ou de routine pendant lesquels je n’ai pas à agir, donc à vouloir. Mais le principe est plus large.
b) « Je veux ce qui est »
Il ne suffit pas de recevoir pour accueillir le présent. Encore faut-il consentir à ce présent que l’on reçoit. La sensation est un acte de connaissance, le consentement est un acte de liberté. Pour être pleinement présent au présent, il me faut aussi accepter tout ce qui est donné, tout l’être donné. Le père Jomin résume cet acte dans la formule suivante : « Je veux ce qui est ». « Je veux » doit se comprendre non pas comme un acte volontariste, a fortiori comme un acte créateur ou fataliste (« Au fond, j’ai voulu tout ce qui m’arrive »), mais comme un consentement. L’objet « ce qui est » vise à s’étendre à tout, sans rien excepter, mais sans y inclure ce qui n’est pas (ce qui n’est plus ou ce qui n’est pas encore) ; or, l’être est le plus universel, le plus englobant.
« Je me plonge dans le présent. Parfois ce présent consistera à prévoir l’avenir ou à penser au passé. Sinon, je ne m’occupe pas plus de l’avenir que du passé : Je veux ce qui est, seconde formule par laquelle j’accepte toutes les conditions de l’action et toutes ses conséquences, par laquelle je m’accepte moi-même comme je suis ».
c) « Je veux ce que je fais »
Les deux premiers chemins ouvrent à tout ce qui est donné. Mais, l’être humain est aussi un être d’initiative. Outre le monde extérieur, je suis habité par un monde intérieur dont je suis, en partie, l’auteur. Or, ce monde libre dont je suis la source, est aussi présent. Voilà pourquoi se fait jour un troisième chemin : vouloir ce que l’on fait. Les deuxième et troisième principes font appel à la liberté, le premier sous mode réceptif, le second sous mode émissif.
« Pour y aider, une formule très simple : Je veux ce que je fais. J’emploie le verbe vouloir dans son sens propre : la volonté est une tendance rationnelle qui tend vers le bien que la raison présente, non pas n’importe quelle tendance. De plus, il ne s’agit pas d’une volonté tendue, mais aimante : dans plusieurs langues, vouloir prend souvent le sens d’aimer ».
d) Le « contact avec l’Éternel »
Les trois premiers principes se suffisent et souvent, la présentation (sic !) s’en contente. Mais le présent (actualité) est aussi un présent (don). Et il est d’autant plus aisé de consentir à un don que l’on y discerne le Donateur. Voilà pourquoi l’horathérapie est sous-tendue par une attitude profonde de confiance (inspirée par sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus) qui lui fait discerner la main du Créateur derrière le présent. La personne a-t-elle pour autant quitter le présent ? Que nenni ! En s’ouvrant au Donateur, elle s’ouvre à l’éternité ; or, celle-ci est par excellence le maintenant, elle est le présent le plus dense qui soit – ce que les scolastiques médiévaux appelaient le nunc stans, par opposition au nunc fluens du temps.
« Croyant, je sais que rien n’arrive que par, la volonté ou la permission d’un Dieu-Amour, qui ne veut ou ne permet rien que pour mon bien (Rm 8,28). Je puis donc m’abandonner en pleine confiance à son amour en me plongeant dans le présent. »
e) Je veux = j’aime
Enfin, le don étant gratuit, il est un acte d’amour. Cela vaut d’abord de Dieu même. Nous avons vu que le père Jomin se fonde sur une parole de l’épître aux Romains (Rm 8,28). Dans un propos que le père Jomin remettait à tous ses patients, il est dit : « Non, Dieu ne veut pas pour nous la souffrance ; mais, l’amour ne s’imposant pas, Dieu ne peut l’empêcher. Il la permet donc, mais en Dieu, qui la fait tourner à notre avantage. Ainsi donc, tout dans ce présent inchangeable n’est voulu ou permis par Dieu que pour mon bien [2] »
Mais ce propos économique se fonde lui-même sur une contemplation du mystère de Dieu.
« Éternellement, Dieu donne tout son Être, toute sa perfection, tout son bonheur à son Verbe, à son Fils, ne se réservant que le nom du Père. Le Fils qui reçoit tout du Père, rend tout au Père, ne se réservant que le nom de Fils. Et cet Amour, ce Don réciproque, c’est l’Esprit-Saint. Ainsi donc, en Dieu, nous ne trouvons qu’Amour, Don de soi. En Dieu, Être = Amour [3] ».
Enfin, si Dieu est et agit ainsi par amour, ou plutôt si son être et son agir sont amour, nous sommes appelés à lui ressembler, à participer à cet amour, de sorte que notre être s’identifie progressivement à l’amour : « Amour, Dieu nous fait donc pour aimer, pour nous donner, et nous serons dans la mesure où nous aimerons et nous donnerons [4] ». Ainsi, toute la pédagogie thérapeutique du père Jomin est sous-tendue par un principe ou plutôt un méta-principe : le vouloir, en son fond, est amour. Puisque les deux principes fondamentaux s’expriment en termes de vouloir (« Je veux ce qui est », « Je veux ce que je fais »), l’horathérapie est donc une agapèthérapie.
3) Évaluation critique
Pour être psychologique, l’horathérapie est aussi éthique et théologique (théologale). En effet, le fondateur présentait sa méthode comme une « rééducation chrétienne de la volonté ». D’une part, la perspective est éthique, puisqu’elle se présente comme une rééducation de la volonté (à l’instar de la méthode du Dr. Vittoz dont Henri Jomin est un disciple). D’autre part, la perspective est spirituelle, précisément, chrétienne, car il s’agit de disposer la personne à accueillir librement la grâce de Dieu.
Le propos du père Jomin permet de guérir les unilatéralismes d’Eckart Tolle. En effet, l’auteur du Pouvoir de l’instant présent réduit la temporalité au seul instant et l’ampute du passé et de l’avenir qui conduisent à nous fire souffrir de regrets inconsolables et de désirs irréalisables. En revanche, pour le père jésuite, l’instant présent n’est jamais déconnecté de l’épaisseur du temps ni de l’éternité. En revanche, il permet d’unifier les « extases du temps ». Le père Jomin le dit selon un heureux jeu de mot : l’instant présent « permet de réparer le passé et de préparer l’avenir ». De plus, « c’est lui qui nous met en contact avec l’Éternel ». Il en conclut : « Bien vivre, c’est donc vivre dans le présent, mais un présent qui tend vers un but [5] ». Enfin, Jomin détrône le primat de la conscience (éveillée) pour la remplacer par la sensation, et plus encore par la volonté qui est amour.
On pourrait légitimement s’interroger sur l’originalité de la méthode. En affirmant « En dépassant très rapidement Vittoz », le père Jomin ne pèche-t-il pas par immodestie, ingratitude et illusion ? Dans les deux ouvrages que j’ai pu lire, je n’ai guère retrouvé les acquis du Docteur Vittoz. Dans l’autre sens, je n’ai presque rien trouvé dans l’horathérapie qui ne soit déjà chez Vittoz – hors l’insistance sur le présent, mais qui est implicitement supposée dans la réceptivité sensorielle. On pourra aussi regretter que la méthode manque de concrétude. Les ouvrages rapportent quelques enregistrements d’entretiens. Mais il est bien difficile d’en tirer des règles méthodologiques. De ce point de vue, il semble que la méditation pleine conscience ou la méthode Vittoz offrent des outils autrement plus précis [6]. Enfin, n’est-il pas dommage de trop vite christianiser l’outil ? Ses trois premiers principes, d’une indéniable efficacité, se fondent sur une anthropologie laïque. De fait, on le notait ci-dessus, la présentation se borne souvent aux trois premiers principes.
Il demeure, et ce n’est pas rien, que le jésuite thérapeute propose une interprétation de sa thérapie intégralement à la lumière de l’être comme amour-don. Disons plus, il pratique une thérapie qui est une application immédiate de l’ontodologie…
4) Bibliographie et webographie
– Henri Jomin, « L’horathérapie. Une psychothérapie rapide par Henri Jomin », Annales de thérapeutique psychiatrique, Paris, p.u.f., tome V, 1974,
– Philippe de Labriolle, Dom Guy-Marie Oury, Jean-François et Liliane Vezin, Quand le présent devient Présence. Pour une psychothérapie chrétienne, coll. « Psychologie et foi », Paris, L’Emmanuel, 1993.
– Jean-Claude Vouakouanitou, Le dynamisme de l’instant présent ou l’Horathérapie. L’héritage du Père Henri Jomin, Neuilly Saint Front, Éd. du Cœur Eucharistique, s. d.
– site : http://conscience.33.free.fr/horatherapie_resume_livres_de_base.htm
Pascal Ide
[1] Les passages ici cités sont du père Jomin ; on les trouve sur le site internet cité ci-dessus ; ils sont extraits de « L’horathérapie. Une psychothérapie rapide par Henri Jomin », Annales de thérapeutique psychiatrique, Paris, PUF, tome V, 1974. Cité par Jean-Claude Vouakouanitou, Le dynamisme de l’instant présent ou l’Horathérapie, p. 13-14.
[2] Jean-Claude Vouakouanitou, Le dynamisme de l’instant présent, p. 21-22.
[3] Ibid., p. 19.
[4] Ibid., p. 19.
[5] Henri Jomin, « L’horathérapie. Une psychothérapie rapide par Henri Jomin ». Cité Ibid., p. 13.
[6] Cf. Pascal Ide, Méditer en pleine conscience. L’art de la réceptivité, Paris, Éd. de l’Emmanuel, 2021.