Le sens ontodologique de la courbure

Pour Newton, la gravitation est une force qu’un corps exerce sur un autre corps. Pour la théorie de la relativité générale, elle est une conséquence des déformations de l’espace-temps imposées par la matière. Concrètement, plus un corps est massif, plus il courbe l’espace-temps ; or, cette courbure modifie les mouvements des autres corps ; or, c’est ce qu’effectue la gravitation.

Si elle est mathématiquement efficace, voire indiscutable, cette interprétation einsteinienne de la gravitation  me semble être ontologiquement discutable, voire erronée. L’interprétation einsteinienne de la gravitation  inverse l’ordre évident des accidents (le plus extérieur influe sur le plus intérieur), voire fait de la substance l’accident des accidents. Ou plutôt, l’espace et le temps deviennent les modalités premières, comme la matrice intrinsèque des choses.

Mais autre la construction physico-mathématique, autre son interprétation. Si celle-ci peut être découplée du système d’équations, il est donc possible de se risquer à une autre lecture.

Notre hypothèse sera fondée sur la signification ontologique de la courbure et convoquera les grands acquis des deux théories physiques décisives du vingtième siècle, la théorie de la relativité (restreinte et pas seulement générale) et la physique quantique. D’un mot, non seulement onde et corpuscule sont liés, mais la matière est équivalente à l’énergie. Autrement dit, la matière est une concentration d’énergie. Or, l’énergie se diffuse de manière isotrope et linéaire. Par conséquent, en regard, la matière sous forme densifiée, elle, correspond à une courbure qui conduit à une clôture. C’est ce que montre, mathématiquement, la relation entre la ligne et le cercle : l’infinité de la ligne s’incurve et consent à être contenu dans l’interminabilité du cercle. C’est ce qu’atteste, physiquement, l’étonnant équivalence entre le mouvement linéaire accéléré et le mouvement circulaire uniforme ; autrement dit, pour qui parcourt un arc de cercle, un mouvement à vitesse égale se transforme en un mouvement accéléré, donc à vitesse progressivement croissante… Toutes ces corrélations inductives montrent la différence qualitative radicale entre deux états de la matière ou du mouvement. Il est enfin possible de l’interpréter dans les termes de la métaphysique de l’amour-don. La communication ou la donation est sortie de soi pour l’autre, alors que l’appropriation est l’intériorisation du don de l’autre en soi. Donc, de même que le rayonnement est une donation maximale, de même le corpuscule est une appropriation maximale, c’est-à-dire une transformation brutale, saltatoire de la ligne en cercle, de l’énergie radiale en énergie tangentielle, voire d’une force centrifuge en une force centripète. Le corps dense n’est donc pas seulement l’équivalent matériel de la réflexivité comme acte de l’esprit (cette vision est trop statique), mais l’analogue matériel du retour sur soi (qui n’est pas repli sur soi) par lequel la conscience intériorise le don.

Dès lors, la courbure qui ne va pas jusqu’à la clôture signifie ontologiquement une donation qui ébauche une appropriation. Voilà pourquoi, au voisinage d’un corps matériel, la gravitation courbe l’espace. De même que la matière est de l’énergie courbée maximalement jusqu’au repliement, une courbure devenue clôture, de même, l’énergie, après avoir été émise, c’est-à-dire être sortie de la substance matérielle, peut-elle être courbée quand elle ébauche le mouvement par lequel elle s’enveloppe pour se solidifier.

L’on peut donc dire, avec la théorie de la relativité, que la matière (corpusculaire) n’est plus première. Toutefois, contre l’interprétation einsteinienne, ce n’est pas l’espace-temps qui détient la primauté. Mais l’irradiation dative.

Pascal Ide

 

4.6.2021
 

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