« Le plus grand miracle du Christ, sans contredit, c’est le règne de la charité » (Trait d’Union, 6e dimanche de Pâques, 9 mai 2021)

À quelques centaines de mètres d’ici est enterré quelqu’un qui est mort voici deux cents ans, presque jour pour jour. Si l’on sait quel culte Napoléon vouait à sa propre personne et à son propre génie, l’on sait moins que, au terme de sa vie, bénéficiant de cette miséricorde que furent ces six années d’exil, il a retrouvé la foi dans laquelle il fut baptisé. Il en arrive à proclamer sa foi en Dieu (« Mes victoires vous font croire en moi, et bien ! l’univers me fait croire en Dieu », dit-il au général Bertrand), dans le Christ (« Le sublime, dit-on, est un trait de la Divinité : quel nom donner à celui [Jésus] qui réunit en soi tous les traits du sublime ? »), en son Église (« Les peuples passent, les trônes croulent, et l’Église demeure ! Quel est le bras, qui depuis dix-huit cents ans, l’a préservée de tant d’orages qui ont menacé de l’engloutir ? »). Or, « le plus grand miracle du Christ, sans contredit, c’est le règne de la charité ». Si l’Empereur n’est guère imitable, il est en tout cas « écoutable »…

« Aimez-vous les uns les autres », nous dit Jésus en ce dimanche. Et il ajoute : « comme je vous ai aimés » (Jn 15,12). Comment Jésus nous aime-t-il ? En élargissant et en approfondissant notre cœur.

Un cœur plus large, c’est-à-dire plus universel. Si souvent, nos amours s’identifient à nos sympathies et s’arrêtent à nos antipathies. Ce « comme » n’a pas échappé au docteur de la science d’amour » (c’est son titre), sainte Thérèse de Lisieux : « En méditant ces paroles de Jésus, j’ai compris combien mon amour pour mes sœurs était imparfait, j’ai vu que je ne les aimais pas comme le Bon Dieu les aime. Je comprends maintenant que la charité parfaite consiste à supporter les défauts des autres, à ne point s’étonner de leurs faiblesses, à s’édifier des plus petits actes de vertus qu’on leur voit pratiquer, mais surtout j’ai compris que la charité ne doit point rester enfermée dans le fond du cœur » (Ms C, 12 r°).

Un amour plus profond, c’est-à-dire plus donné. Un bon ami vous invite dans sa maison de campagne. Vous vous en réjouissez, surtout en ces temps de morose confinement. Mais vous découvrez en arrivant qu’il est en train de repeindre une de ses pièces et s’attend bien à ce que vous lui donniez un coup de main. Vous passez aussitôt de l’enchantement au désenchantement. Ce que vous croyiez être un acte d’amitié « pour vous » s’avère secrètement être un acte d’amour « pour soi » et, disons-le, utilitariste.

Parcourez le Credo à la recherche du mot qui est le cœur de la Révélation : l’amour. Un étonnement vous attend : vous ne l’y trouverez pas. Mais si le mot est absent, la chose, elle, est présente et omniprésente. La création ? Un don gratuit. La rédemption ? Un don encore plus grand ! La résurrection des morts ? Un don tellement inouï que nous peinons à y croire. Surtout, nous trouvons une formule merveilleuse : « Pour nous les hommes ». Voilà ce que Jésus nous apprend : aimer comme Jésus, c’est aimer l’autre pour lui-même.

Et si, par l’Esprit-Saint qui nous apprend à aimer (cf. Rm 5,5), je m’engageais cette semaine, tout de suite, à me centrer sur mon prochain, ne pas m’arrêter à ce qui m’agace en lui ou ce qui va m’être utile, à prendre le temps de l’écouter et à m’intéresser vraiment à lui ?

« Le plus grand miracle du Christ, sans contredit, c’est le règne de la charité ». Si l’Empereur n’est guère imitable, il est en tout cas « écoutable »…

Pascal Ide

9.5.2021
 

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