Le message essentiel de Fatima se concentre dans cette prière que l’ange a enseigné aux enfants : « Croire, adorer, espérer, aimer. Et demandez pardon pour ceux qui ne croient pas, n’adorent pas, n’espèrent pas et n’aiment pas. »
Cette prière est d’une grande importance. D’abord, du fait du cadre général, parce que pas moins de 400 000 Portugais, soit pas moins de 15 % de la population, se rendent à Fatima aux deux grandes fêtes, du 13 mai et du 13 octobre. Ensuite, de manière spécifique, parce que cette prière fut mise en chant que les portugais apprennent et répètent dans toutes les paroisses.
De plus, la conférence portugaise a accordé une très grande importance à l’évangélisation du peuple et de la religion populaire, dans un pays où, encore aujourd’hui, plus de 20 % de la population ne sait pas lire. C’est ainsi que le Portugal a bénéficié d’une puissante catéchèse. Or, les évêques sont notamment repartis de cette prière qui, on va le redire, est comme un résumé de l’attitude spirituelle chrétienne [1].
En effet, le premier volet énonce quatre attitudes spirituelles fondamentales. Trois constituent les trois actes, croire, espérer et aimer, correspondant à chacune des trois vertus théologales, la foi, l’espérance et la charité. Or, l’on sait que celles-ci nous unissent à Dieu : elles sont nécessaires et, à leur plan, suffisantes.
Cette prière comporte un second volet qui envisage non plus seulement notre relation à Dieu, mais notre relation à autrui. Or, animée par la charité théologale, cette relation doit aussi être régie par les quatre vertus ci-dessus, mais toutes tournées vers l’autre.
Enfin, loin d’être juxtaposés, ces deux volets sont réunis par une logique profonde, celle de la red-amatio, du retour d’amour : en me tournant vers mon prochain, loin d’agir par devoir, j’agis par surabondance et gratitude, c’est-à-dire par gratuité, de ce que, me tournant vers Dieu, j’ai reçu en premier et gratuitement.
Toutefois, il se pose une question théologique. En effet, dans le premier volet, nous rencontrons, mêlé aux trois attitudes théologales, un quatrième acte, l’adoration. Est-ce à dire que les vertus théologales sont au nombre de quatre et non plus de trois, comme l’enseigne la Tradition ? Deux réponses sont possibles.
La première, classique, observe que l’adoration est un acte, plus, l’acte par excellence de la vertu de religion. Or, cette vertu occupe le premier rang dans le genre des vertus morales. Et le premier dans un genre est compréhensif de celui-ci. Donc cette prière assume aussi tout le plan moral.
Une seconde réponse, plus audacieuse, fait de l’adoration l’acte d’une vertu plus fondamentale, l’humilité. Les étymologies éclairent et convergent : « humilité » vient de humus, cette terre avec laquelle nous avons été façonnés ; « adoration » est formé de la préposition ad, « vers », et du substantif os, « bouche », qui est la métonymie de la parole, du visage et de la personne, ici, toute tournée vers Dieu (cf. Jn 1,2). Dans un ouvrage sur la liturgie, le cardinal Ratzinger citait un Père du désert à qui le démon était apparu, sans genou : la créature déchue qui a orgueilleusement trahit en disant « non serviam » est dénué de l’organe qui symbolise l’agenouillement adorateur. Or, l’humilité, qui est la porte d’entrée dans la vie d’union à Dieu, participe du ternaire théologal plus que de la vie morale [2]. L’enseignement de l’ange gardien du Portugal apporte même une heureuse précision qui confirme le caractère théologal de l’humilité : « adorer » suivant « croire », l’adoration ne peut être posé que dans la lumière de la foi.
Pascal Ide
[1] Ces observations et ces chiffres datent de l’époque où cette note fut rédigée, il y a au moins un quart de siècle.
[2] Cf. Pascal Ide, « L’humilité, une vertu théologale ? », Teresianum, 72 (2021) n° 2, p. 485-528.