L’apprentissage, une expérience privilégiée de la réception. Dix règles pratiques pour apprendre à apprendre 2/4

C) Détermination

Nous l’avons dit, Stanislas Dehaene élabore une conception de l’apprentissage fondée sur « quatre piliers » [1] :

  1. l’attention [2] ;
  2. l’engagement actif [3];
  3. le retour sur erreur [4];
  4. la consolidation [5].

Bien que distincts, ces quatre actes se suivent et se coordonnent pour constituer un acte complet d’apprentissage. Notre relecture philosophique (E) les articulera différemment.

1) L’attention

a) Raison d’être de l’attention
1’) Raisons essentielles

Double est la raison d’être essentielle de l’attention, subjective et objective.

La raison subjective réside dans la limite de l’homme. Nous le redirons plus bas : l’attention est l’acte par lequel l’homme se rend présent au réel. Or, comme toute créature, l’homme est limité, dans l’espace et le temps, dans ses actions et ses passions. Donc, sa réceptivité est elle-même bornée.

La raison objective tient à la richesse surabondante du réel. Dans les termes des neurosciences, on dirait que le cerveau est saturé par les informations qui lui arrivent. Dans les termes de la scolastique albertinienne, la raison du modus tollens de l’attention réside dans l’ebullitio de la chose. Quoi qu’il en soit, le sujet se doit donc de trier. C’est ce que le psychologue américain William James notait, non sans exagération :

 

« Des millions d’éléments du monde extérieur se présentent à mes sens, mais ne pénètrent jamais dans mon expérience consciente. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont aucun intérêt pour moi. Ce que je perçois est ce à quoi j’accepte de prêter attention. Seuls les éléments que je détecte affectent ma pensée – en l’absence de sélection, la perception est un chaos total [6] ».

 

L’attention se trouve donc à la jonction de la finitude du sujet et de l’infinité (potentielle) de l’objet, et permet leur rencontre.

2’) Raison accidentelle

À ces raisons essentielles, il convient d’ajouter une raison accidentelle qui est l’évitement de l’erreur [7]. La plupart des erreurs sont des fautes d’inattention. Deux exemples parmi beaucoup l’attestent.

Soit le problème suivant : « Marie possède 25 billes, c’est 5 de plus que Grégoire. Combien de billes Grégoire possède-t-il ? ». Beaucoup d’enfants répondent spontanément 30, alors que la réponse est 20. En effet, l’énoncé emploie intentionnellement le terme « plus ». Or, l’enfant a tendance à aller au plus simple, à ne pas analyser le sens profond du problème. Donc, il a tendance à convoquer l’opération qu’appelle le « plus », à savoir l’addition, et ainsi aboutit au chiffre 30. D’ailleurs, en lisant l’énoncé, nous avons peut-être senti en nous l’inclination (la tentation) d’additionner. Bien d’autres énigmes fonctionnent sur le même principe.

Une autre expérience prouve, en plein, que l’attention mobilise de l’énergie et du temps. Soit la liste suivante de mots. Nommez, sans vous tromper, la couleur dans laquelle chaque mot est écrit :

 

Chien maison car sofa trop rouge noir vert bleu gris

 

Or, nous avons tous fait l’expérience que, en lisant la seconde moitié de la liste, à partir de « rouge », nous avons ralenti. En effet, en première partie, l’attention se portait uniquement sur la couleur ; mais, dans la seconde, elle était perturbée par le contenu même du sens ; il a donc fallu l’inhiber.

3’) Application pédagogique

Renforcer l’attention et résister à la distraction ou l’attention flottante (de celui qui croit déjà savoir), c’est éviter les erreurs, si fréquentes chez l’enfant et pas si rares chez l’adultes.

b) Les trois actes constitutifs de l’attention
1’) Exposé

Le psychologue américain Michael Posner distingue trois grands systèmes attentionnels : l’alerte, l’orientation et le contrôle exécutif [8]. Selon l’explication donnée par les chercheurs, ces systèmes répondent respectivement à trois questions : quand faire attention ? à quoi faire attention ? comment faire attention ?

2’) Interprétation philosophique

Réinterprétons philosophiquement ces trois systèmes. Ils correspondent en fait à trois actes.

  1. L’alerte concerne l’existence de l’attention. En effet, le « quand » ou le moment dont il est question correspond à l’éveil de la vigilance du sujet, donc la mise en œuvre de son exercice.
  2. L’orientation concerne l’objet de l’attention. En effet, le « quoi » dirige et amplifie la vigilance. Or, la direction et l’amplification se porte vers ce qui spécifie, c’est-à-dire l’objet.
  3. Le contrôle exécutif, enfin, concerne la réponse. En effet, le « comment » est la méthode de traitement de l’information, autrement dit l’action [9].

Précisons encore la répartition de ces trois actes. Elle épouse la dynamique du don. En effet, celle-ci est rythmée par la pulsation de la réception et de la réponse (qui englobe appropriation et donation). Or, les deux premiers actes concernent l’attention proprement dite, à savoir la réception et le troisième, l’émission, c’est-à-dire la réponse du sujet à ce qu’il a reçu.

Précisons enfin que double est la réception, comme double est l’orde d’exercice et de spécification : la première concerne l’exercice, c’est-à-dire l’existence même de l’acte d’attention ; la seconde concerne la spécification, c’est-à-dire l’essence même de l’acte qui est déterminée par l’objet.

c) L’objet de l’attention
1’) Exposé

Une expérience du psychologue américain Bruce McCandliss montre l’importance de l’attention dans l’apprentissage de la lecture [10]. Il cherchait à répondre à la question : faut-il faire attention aux lettres ou à la forme globale du mot ? Pour cela, il a demandé à des adultes d’apprendre un système d’écriture original constitué de mots présentant des courbes élégantes (comme le sildarin, la langue elfique inventée par Tolkien). Dans un premier temps, ils s’entraînaient avec 16 mots. Dans un deuxième temps, on leur demandait de lire ces 16 mots anciens et 16 autres mots nouveaux, en même temps qu’on scannait leur cerveau. Toutefois, le groupe était divisé en deux. On demandait au premier sous-groupe de prêter attention aux courbes dans leur ensemble, comme si, à l’instar de l’idéogramme, le tout présentait un sens ; au second sous-groupe, en revanche, on expliquait que les courbes étaient formées de trois lettres superposées. Ainsi, la demande portait sur deux types différents d’attention : globale ou synthétique pour les premiers et locale ou analytique pour les seconds.

Le résultat, spectaculaire, fut le suivant. Les deux sous-groupes mémorisèrent les 16 premiers mots, mais très différemment les 16 mots nouveaux. Le second sous-groupe (qui a pratiqué l’attention focalisée) a découvert les correspondances entre les lettres et les sons, est parvenu à lire 78 % des mots nouveaux, et ses membres ont activé les régions latéralisées de l’hémisphère gauche consacrées à la lecture. Tout à l’opposé, le premier sous-groupe n’a nullement découvert les liens entre l’écrit et l’oral, n’a absolument pas réussi à lire les mots nouveaux et a ouvert un circuit cérébral de l’hémisphère droit situé dans les aires visuelles, donc totalement inapproprié à la lecture.

Conclusion particulière : la lecture globale s’est avérée totalement inefficace pour l’apprentissage du code alphabétique, c’est-à-dire de la correspondance entre graphème et phonème, et donc de la lecture. Conclusion plus générale : l’attention décide de la qualité et même de la possibilité de l’apprentissage.

2’) Application pédagogique

L’application pédagogique est immédiate : tout enseignant de CP devrait savoir qu’un enfant n’apprendra à lire, donc n’activera le circuit neuronal de la lecture, que si on fixe son attention sur les corrélations entre lettres et sons. Concrètement, l’enfant apprendra à lire en suivant chaque lettre du regard (aidé par le doigt).

d) L’unicité de l’objet de l’attention
1’) Preuve

L’attention est toujours focalisée. Autrement dit, une personne ne peut jamais être vigilante qu’à une seule chose à la fois. Ce fait qui est attesté par notre expérience la plus commune est confirmé massivement par la psychologie cognitive expérimentale. Par exemple, l’on a donné à un sujet deux tâches très simples à exécuter : appuyer sur un bouton de la main gauche lorsqu’il entend un son aigu ; appuyer sur un autre bouton de la main droite lorsqu’il voit la lettre Y. Les informations sont envoyées successivement, puis simultanément. Or, l’on observe alors (dans le cas des deux cibles simultanées) que la personne effectue d’abord la première tâche, cela à la vitesse normale, et que la seconde est ralentie de plusieurs centaines de millisecondes, voire est ratée ou abolie. Ainsi, si les stimuli sont simultanés, les tâches, elles, ne le sont pas et sont traitées successivement. Autrement dit, l’une des activités a en quelque sorte dû attendre à la porte [11].

2’) Objections

Quatre objections permettront de mieux préciser en quoi consiste cette unicité de l’attention :

  1. L’on objectera que certaines personnes ont conscience, voire la claire évidence de faire deux choses en même temps.

Nous répondrons que cette conscience est trompeuse. Reprenons la précédente expérimentation. Si l’on demande à la personne quand est apparue la seconde information, elle répond qu’elle vient d’émerger, donc qu’elle a succédé à la première. Autrement dit, nous n’avons pas conscience de ce temps d’attente [12]. Ainsi, notre attention est toujours focalisée – même si nous pouvons le nier.

  1. L’on objectera aussi que, non plus subjectivement, mais objectivement, certaines personnes arrivent à exécuter simultanément deux activités : par exemple, une dactylographe peut à la fois saisir un texte et écouter la radio, un pianiste jouer et parler à quelqu’un.

Nous répondrons que, en réalité, l’une des actions est consciente et l’autre automatique, donc inconsciente. Or, ce qui est inconscient ne nécessite pas d’attention. De fait, à force d’entraînement, nous pouvons routiniser totalement certaines activités, comme taper à la machine ou jouer du piano. Mais, dès que cette action sort de la routine, par exemple parce qu’il s’agit d’un texte dans une autre langue ou que le morceau requiert une émotion particulière, celui qui l’exécute ne peut plus faire autre chose. Ainsi, l’activité consciemment dirigée, attentive est donc toujours unique.

  1. L’on objectera encore que certains peuvent, toujours objectivement, mais ici, consciemment, effectuer deux tâches de manière contemporaine. Par exemple, un individu peut penser en même temps deux objets de pensée : par exemple, d’un point de vue théorique, lors d’une découverte qui les rapproche ou, d’un point de vue pratique, lorsque la personne rassemble la fin et les moyens parfois les plus apparemment contraires.

Nous répondrons que, si ces deux tâches sont matériellement diverses, elles sont formellement unifiées, c’est-à-dire rassemblées sous un point de vue unificateur qui permet à la conscience de les embrasser d’un seul regard.

  1. Enfin, l’on objectera que, objectivement et consciemment, certaines personnes accomplissent simultanément deux tâches formellement diversifiées, c’est-à-dire juxtaposées, en termes techniques, jointes seulement par accident. C’est ainsi que Jean-Paul II pouvait lire un ouvrage et échanger avec une amie, Benoît XVI écouter une conférence tout en annotant un écrit. D’ailleurs, eux-mêmes affirment accomplir ces deux tâches en même temps.

Nous répondrons d’abord que ces cas sont rares. Ensuite, ces « doubles tâches » ne sont pas des doubles activités, c’est-à-dire des activités simultanées, mais rapidement successives. Autrement dit, l’attention exécutive effectue des sauts rapides. Pour employer une image empruntée aux systèmes électriques, le cerveau travaille non pas en parallèle, mais en série. Pour dire vrai, il faut ajouter que cette question est débattue entre psychologues [13]. Quant à la conscience revendiquée d’une double tâche simultanée, elle s’accompagne d’une inconscience pratiquée d’une double tâche successive : elle se succède si vite qu’elle est indétectable.

3’) Confirmations

a’) Confirmation philosophique

Cette unicité ou focalisation de l’attention se fonde sur une raison profonde. L’agir suit l’être. Or, notre être est un, transcendantalement. Donc, notre opération doit aussi être une. De même, les actes sont ceux du suppôt. Or, celui-ci est un, substantiellement. Donc, à nouveau, notre opération est unifiée.

Toutefois, l’on ne saurait déduire de ces deux principes très généraux qu’un sujet unique ne peut poser qu’un seul acte à la fois. En effet, en son essence, s’il est créé, l’être est composé de plusieurs puissances et, s’il est matériel, de plusieurs parties et, s’il est vivant, de plusieurs organes. Lorsque ces puissances, parties, organes sont coordonnées, elles peuvent opérer simultanément, ainsi que nous ne cessons de l’observer. Par exemple, je peux à la fois respirer, digérer, réfléchir, etc. Il faut donc ajouter un autre principe. En l’occurrence, l’attention est l’acte le plus fondamental par lequel la conscience se rend présente à ce qui lui est présent. Elle est donc ce qui permet la rencontre du sujet avec ce qui est autre que lui – cette altérité pouvant ultimement s’identifier à lui-même, justement en tant qu’autre. Or, unique est le sujet. Donc, unique est l’acte par lequel il rentre en contact. Voilà pourquoi une même personne ne peut en même temps et sous le même rapport être attentive à deux objets formellement divers.

b’) Confirmation théologique

Seul Dieu est ubiquitaire : il est immédiatement présent à toutes les créatures. Même le plus élevé des séraphins ne peut être pleinement présent à la totalité de l’être. Même l’œil de Sauron, le Valar déchu, ne peut embrasser la totalité de la Terre du Milieu. Et c’est d’ailleurs cette finitude qui constituera le fondement métaphysique du plan de défense de la Communauté de l’Anneau et la raison ultime de sa chute.

4’) Application pédagogique

Si se concentrer sur un objet est indispensable, il convient donc de prohiber le multitasking qu’aujourd’hui favorisent de manière délétère les écrans digitaux (pour le détail, cf. l’article sur le site « Les dangers méconnus des écrans numériques. Une urgence éducative »). Il convient aussi de limiter les stimulations extérieures : le téléphone portable, a fortiori lorsqu’il envoie une vibration annonçant l’arrivée d’un nouveau message. Cela vaut aussi pour la décoration dans la salle de classe : il a par exemple été montré qu’une classe trop décorée distrait l’enfant [14] ; il en est de même de manuels trop illustrés, de personnages trop attirants, de dessins trop étranges, etc. Enfin, l’enseignant doit aussi se discipliner pour ne pas multiplier les allusions qui dispersent l’intérêt et déconcentrent l’étudiant de l’unique objet du cours.

e) La pratique de l’attention
1’) Nécessité

L’attention se fonde sur des circuits cérébraux présents dans le cortex préfrontal, précisément dorso-latéral [15]. Or, celui-ci mûrit progressivement pendant les deux premières décennies ; mais il est aussi éminemment plastique. Donc, l’attention se développe spontanément avec la maturation du cortex préfrontal. Mais elle gagne beaucoup à être accrue volontairement, par l’entraînement, donc par l’éducation. De nombreuses publications scientifiques l’établissent [16].

L’entraînement de l’attention est à ce point bénéfique qu’il se traduit par une augmentation du… QI [17], et une augmentation considérable : il va jusqu’à 20 points pour un enfant qui est adopté dans une famille de haut niveau socio-économique ; il est de 1 à 5 points par année d’éducation supplémentaire [18].

Et nous verrons plus bas que ce bénéfice est objectivé par une croissance organique du cerveau.

2’) Moyens

Michael Posner a développé pour les très jeunes enfants des jeux sur ordinateur qui améliorent la capacité de concentration. Par exemple, il leur propose de regarder des poissons qui se suivent à la queue leu leu et sont orientés vers le centre de l’écran ; puis, il leur demande d’indiquer quel est celui qui ne va pas dans la bonne direction. Or, l’attention est, en positif, une focalisation (regarder cette chose) et, en négatif, une limitation (ne pas regarder autre chose). Ainsi, l’enfant qui apprend à considérer chaque poisson et à ne pas se laisser distraire par les poissons voisins croît en attention.

Le médecin et pédagogue Maria Montessori proposait des activités pratiques qui favorisent beaucoup la concentration. Les écoles actuelles continuent dans le même sens. Par exemple, elles proposent à l’enfant d’abord de marcher sur une ellipse tracée au sol sans quitter la ligne du pied, puis, de le faire avec une cuillère dans la bouche, ensuite d’accomplir le même exercice avec une balle de ping-pong dans la cuiller [19]. Or, l’habitus croît non pas seulement par répétition, mais par graduation de la difficulté.

Un autre moyen, excellent, est la musique. En effet, celle-ci requiert de contrôler plusieurs choses : le regard et les gestes, voire, pour certains instruments, la respiration, voire, pour certaines pièces, la coordination avec d’autres. Or, cette coordination requiert une attention particulière. C’est ainsi que l’on a observé chez certains enfants pratiquant tôt la musique que le cortex préfrontal s’épaissit [20].

f) La médiation de l’attention pour l’enfant : l’adulte
1’) Énoncé

L’enfant apprend grâce à l’attention partagée. Autrement dit, il est préprogrammé pour faire attention là où l’adulte fait lui-même attention. Cette attention se manifeste notamment de deux manières : par le pointement du doigt (dans une direction) ; par le croisement du regard ; par la parole ou plutôr par un certain ton de voix.

Ajoutons que le petit d’homo sapiens reconnaît immédiatement le sens de ces gestes (le doigt, l’accroche visuelle ou l’accroche verbale). Même si un article retentissant dans Science a semblé montrer le contraire à propos du suricate, cette mangouste d’Afrique du Sud [21]. Stanislas Dehaene montre avec pertinence que l’expérience de la transmission du savoir des suricates adultes à leurs petits est dénuée du facteur le plus essentiel, à savoir l’attention partagée [22].

2’) Exposé

Cela a été montré en plein. L’on veut apprendre un mot nouveau à un bébé. Soit un adulte interagit avec lui, en lui parlant ou en accrochant son regard, soit un adulte diffuse le même mot par un haut-parleur. Or, dans le premier cas, l’enfant apprend le mot en quelques essais, dans le second jamais [23]. Par conséquent, l’interaction étant le facteur différentiel, elle est donc nécessaire pour que s’effectue l’apprentissage. Cette expérience a été confirmée pour l’apprentissage linguistique [24]. Je la détaille dans un autre texte mis en ligne intitulé : « Les lois de l’éducation selon Céline Alvarez ».

Une expérience des psychologues hongrois Gergely Csibra et György Gergely établit l’importance du contact oculaire que l’enfant interprète comme l’annonce que l’information n’est pas seulement importante, mais universalisable, c’est-à-dire valable pour lui [25]. Un bébé regarde la scène suivante : une jeune femme se tourne vers un objet A et fait la grimace ; puis elle se tourne vers un objet B et sourit. Mais cette scène est précédée soit d’aucun croisement oculaire, soit d’un regard échangé.

Résultat : dans le premier cas, l’enfant apprend que la femme n’aime pas l’objet A et aime l’objet B ; dans le second cas, il apprend que l’objet A est mauvais en soi et l’objet B bon en soi. Or, le premier enseignement est strictement individuel, et le second, universel. Par conséquent, l’enfant a interprété ce signe ostensible qu’est le regard comme l’affirmation d’un message universel. Et comme l’universel contient le singulier comme son application individuelle, le second enseignement est infiniment plus riche que le premier.

L’expérimentation montre aussi que la seule ostension du bras ne suffit pas ; elle doit être jointe à un croisement du regard. En effet, dans une expérimentation, un bébé de 9 mois a vu, dans un premier cas, un adulte tendre le bras vers un objet et, dans le second cas, l’adulte le regarder, puis pointer le bras vers l’objet. Or, dans le premier cas, il s’est souvenu de la position, mais pas de l’identité de l’objet, et dans le second, des deux [26]. Ainsi, l’échange de regard est la médiation privilégiée de l’échange entre les personnes et de la relation pédagogique.

3’) Interprétation philosophique

L’explication habituelle avancée en neuro-éducation est que l’apprentissage en société est une adaptation évolutive fondamentale pour l’espèce humaine [27].

Cette explication utilitariste manque une motivation plus profonde qui relève de la dynamique systémique du don : l’homme est un être éminemment relationnel qui n’accède pleinement à son être qu’en donnant et se donnant à un autre, qu’en recevant et se recevant d’un autre. Nous en reparlerons plus bas. Ce constat mérite d’autant plus d’être souligné que l’attention est paradoxalement l’un de nos actes les plus personnels et les plus intimes.

Ces données montrent aussi que le regard n’est pas seulement un des médiateurs privilégiés de l’information, mais aussi de la communion. Ainsi, même le sens le plus riche en apport cognitif n’est pas découplé de sa portée amative : le vrai ne va pas sans le bien ou plutôt sans l’amour.

Cette prédisposition innée de l’enfant (mais qui continue à l’âge adulte) à écouter un adulte (ou une personne d’autorité), qui caractérise en propre l’être humain, est riche d’un autre enseignement : l’être humain est spontanément incliné à obéir. Nous l’avons longuement détaillé à propos des expériences fameuses de Stanley Milgram. Nous avons noté qu’elles sont le plus souvent interprétées négativement comme une mise en garde du danger de soumission à l’autorité. Cette relecture est typique d’une société occidentale qui, depuis la modernité et, plus encore, les Lumières, refuse de composer individualité et réceptivité, liberté et réciprocité : elle craint que toute attention confiante à une parole extérieure menace notre pleine autonomie. Pour nous, tout au contraire, ces expérimentations traduisent une capacité naturelle à vivre en groupe et à nous ouvrir à l’autre. Quant au risque de démesure liée à une parole autoritaire ou manipulatrice, il est suffisamment conjuré par un important garde-fou, constamment présent dans les expériences de Milgram, confirmées par exemple par Solomon Asch, à savoir le profond malaise ressenti par les participants, qui provient de la conscience morale [28].

Enfin, pourquoi seul l’enfant et non pas l’animal est-il capable d’attention partagée ? D’abord, elle est finalisée par l’acquisition d’un savoir universel ; or, celui-ci est l’acte de la raison qui est propre à l’homme. Ensuite, cette attention partagée suppose que l’enseignant fasse attention à l’attention de l’enseigné ; or, il s’agit d’un acte réflexif qui est abstrait et immatériel ; mais seul l’homme est capable d’abstraction et de réflexion ; donc, « nous sommes les seuls à posséder une ‘théorie’ de l’esprit des autres [29] ».

4’) Application pédagogique

En négatif, si vivantes soient-elles, les vidéos numériques bannissent l’interaction, l’échange avec l’enfant. Il faut donc les bannir.

En positif, l’adulte enseignant doit s’attacher avant tout à croiser son regard avec celui de l’enfant. Et cela autant de fois, qu’il veut faire passer un message important. Le message ne suffit pas ; la posture de l’éducateur est tout aussi nécessaire.

Ce qui vaut au maximum pour l’enfant demeure vrai a minima pour l’adulte (qui est toutefois capable de s’intéresser au contenu : l’orateur ou le professeur qui ferme les yeux, regarde la ligne bleue des Vosges, s’hypnotise sur sa feuille ou sur quelques vis-à-vis, au lieu de croiser les yeux de ses auditeurs en perd beaucoup…

g) L’excès d’attention

Si l’un des principaux problèmes psychologiques et pédagogiques de l’attention réside dans le déficit (d’où le fameux TDAH ou Trouble Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité), il ne faudrait pas oublier le risque inverse.

1’) Exposé

L’on sait que, focalisée, l’attention est exclusive. Autrement dit, elle s’accompagne nécessairement, comme son effet négatif ou limitation, d’une distraction à l’égard des autres objets. C’est ce qu’atteste la fameuse expérience dite du Gorille invisible [30]. Nous l’avons développée dans l’étude sur le site : « L’excès d’attention comme blessure de l’intelligence ».

Mais l’on sait moins que cette vigilance démesurée affaisse la malléabilité neuronale. Les expériences montrent qu’une attention sélective rend de plus en plus capable de saisir un stimulus donné, mais aussi, par voie de conséquence, de moins en moins sensible à des stimulus différents. En effet, un neurophysiologiste américain, Michael Merzenich, a fait entendre à un animal un son arbitraire, disons un la dièse, en même temps qu’il stimulait artificiellement les circuits sous-corticaux de l’acétylcholine et de la dopamine. Or, avec la sérotonine, ceux-ci sont les neuromodulateurs de l’attention « l’alerte ». Le chercheur a alors observé que l’animal discriminait toujours mieux cette note sensible et les sons proches d’elle, mais en même temps qu’il perdait sa capacité à entendre d’autres fréquences. Autrement dit, l’amplification massive d’un signal diminue la plasticité cérébrale de la carte auditive [31].

2’) Application psychologique

Une conséquence psychologique en est qu’une personne qui est hypersensibilisée à un type de stimulus, à un signal comme la présence d’une figure d’autorité, peut être à ce point hypnotisée qu’elle en perd les moyens et survalorise ce signal. Par ailleurs, elle devient aveugle aux autres informations.

2) L’engagement actif

Plus l’apprenant est actif, plus il apprend. Comme toute action, surtout chez le vivant, encore davantage chez l’animal et au maximum chez l’homme, cette activité comporte une face visible, ici le comportement d’exploration active, et une face invisible, ici la curiosité.

a) L’acte extérieur : l’exploration active
1’) Exposé

En 1963, une expérience classique, riche en information et impossible à reproduire pour des raisons d’éthique animalière a établi combien l’exploration active est essentielle à l’apprentissage [32].

L’on a placé deux chatons dans un même environnement : un manège qui était fait d’un grand cylindre tapissé uniquement de barres verticales ; ils y ont vécu trois heures par jour pendant quelques semaines. Toutefois il y avait une grande différence entre les chatons : le premier était seulement attaché par un collier, alors que le second était placé dans une nacelle [33]. Or, le premier dispositif laisse l’animal libre de ses mouvements, alors que le second le contraint à regarder son environnement sans qu’il puisse le contrôler. Donc, dans le premier cas, l’apprentissage était actif, dans le second passif.

Dans un second temps, l’on a soumis les deux animaux à des tests explorant leurs capacités visuelles d’exploration et d’adaptation de leur environnement, donc de survie. Par exemple, le test de la falaise : le chaton est placé sur un pont présentant d’un côté une haute falaise, de l’autre, un trou peu profond. Ou le test d’exploration de l’espace en allongeant la patte.

Résultat : le premier chaton – celui qui est actif – sautait sans hésiter du côté peu profond, alors que le second chaton – celui qui est passif – sautait au hasard ; de même, le premier explorait l’espace comme n’importe quel félin, ce que le deuxième était incapable de faire.

Donc, celui qui a bénéficié d’un apprentissage actif a rapidement développé une vision normale et conservé ses capacités visuelles d’exploration de son environnement. En revanche, celui qui a subi un enseignement passif a perdu ses capacités visuelles d’exploration, échouant à des tests élémentaires. Plus généralement, plus un organisme est passif, moins il apprend.

 

Cette expérience princeps a été appliquée à l’homme. Par exemple, on a présenté à trois groupes différents d’étudiants soixante mots. Dans un premier temps, on a demandé au premier s’ils étaient écrits en minuscules ou en majuscules, au deuxième s’ils rimaient avec le terme « chaise », au troisième si c’était des noms d’animaux ou pas. Puis, dans un deuxième temps, on a testé leur mémoire des soixante mots.

Or, l’on a observé que la mémoire des mots était de 33 % dans le premier groupe, 52 % dans le deuxième et 75 % dans le troisième. Spectaculaire différence ! [34]

Interprétation scientifique. Dans un mot, on distingue le signifiant et le signifié ; mais ceux-ci ne sont pas symétriques : celui-là est à celui-ci, ce que le moyen est à la fin, ce que la superficie est à la profondeur. Or, les deux premiers groupes ne se sont intéressés qu’au signifiant, soit écrit (le premier), soit oral (le second), alors que le troisième groupe s’est centré sur le signifié. Par conséquent, le travail en profondeur sur la signification favorise beaucoup plus l’apprentissage. Or, la compréhension du signifiant engage beaucoup moins que celle du signifié. Donc, l’apprentissage actif est beaucoup plus efficace que l’apprentissage passif.

Cette expérience a été confirmée non plus pour les mots, mais pour les phrases : l’étudiant qui doit les comprendre par lui-même retient beaucoup mieux que l’étudiant à qui l’enseignant donne la solution [35].

Elle a aussi été confirmée non plus seulement pour l’apprentissage de la langue, mais d’une discipline, la physique. Pour apprendre les concepts abstraits de moment cinétique angulaire et de couple moteur, on scinde des étudiants de licence en physique en deux groupes : les premiers ont eu droit à 10 minutes d’expérimentation avec une roue de bicyclette et les seconds au même temps d’explications verbales des autres étudiants. Eh bien, l’apprentissage fut bien meilleur dans le premier groupe que dans le second. Or, expérimenter, c’est rentrer dans une interaction active avec les objets physiques. Donc, plus l’apprentissage est actif, plus il est couronné de succès [36].

 

Enfin, l’imagerie cérébrale a confirmé et fondé les raisons de cet apprentissage actif : celui-ci active les aires du cortex préfrontal associées au traitement conscient des mots ; or, ces régions forment des boucles puissantes avec l’hippocampe ; or, cette dernière zone stocke les informations sous forme de souvenirs circonscrits, c’est-à-dire épisodiques et explicites [37].

2’) Interprétation philosophique

Dehaene tire de l’expérience sur les soixante mots que l’étudiant doit être plus actif. Pour ma part, j’en tire deux autres leçons, implicitement présentes dans le texte : d’abord, cette expérience montre que nous sommes faits pour le sens, autrement dit, pour la vérité ; ensuite, il faut constamment que l’intelligence ait accès au sens. La seule résolution dans les mots ou la mémorisation (sans compréhension du contenu, par exemple d’une règle) est profondément inféconde. De fait, Thomas disait de la mémoire qu’elle est « l’intelligence en tant qu’habitus » (intellectus ut habitus) [38].

Ici se pose un grave problème : le fondement de l’éducation est la réceptivité. Or, celle-ci s’oppose à l’émissivité, donc à l’activité. Ne court-on pas le risque d’annuler l’asymétrie dative qui est constitutive même de l’acte d’enseigner ? Il nous faudra nous y affronter plus loin, quand nous proposerons une réinterprétation métaphysique de l’acte éducatif.

3’) Application pédagogique

Prévenons aussitôt un contresens : être actif ne signifie pas bouger, mais être pleinement engagé. Ou plutôt, pour filer la métaphore du manège, il ne s’agit pas que l’enfant, l’élève bouge dans son corps, ses jambes, mais dans sa tête.

Par ailleurs, l’apprentissage passif, par exemple pendant le sommeil, est inefficace. La mémorisation ne se vérifie qu’au plus bas niveau de systèmes sensoriels ou moteurs [39].

Ensuite, si l’on mémorise d’autant plus que l’on a accès au sens, il faut donc procéder en deux temps : comprendre, puis apprendre.

Concrètement, comment être actif ? Il ne s’agit plus seulement d’être attentif, mais d’être activement engagé. Dehaene ne systématise pas, mais propose différents actes : « un étudiant actif doit les reformuler sans cesse en mots ou en pensées qui font sens pour lui [40] » ; « l’apprenant fait attention, réfléchit, anticipe, avance des hypothèses, au risque de se tromper ». Toutefois, il me semble qu’il n’est pas impossible d’individuer certains actes et de les ordonner. J’en isolerais quatre, dont certains anticipent des développements ultérieurs : reformulation, anticipation ou émission spontanée d’hypothèses, retour sur erreurs.

b) L’acte intérieur : la curiosité

L’engagement actif est la face extérieure de la curiosité qui en est donc la face intérieure. Notons-le d’emblée avant d’y revenir plus longuement, si, autrefois, la curiosité était considérée comme un « vilain défaut », aujourd’hui, elle s’est non seulement neutralisée du point de vue éthique, mais est promue comme une disposition éminemment positive : elle est devenue synonyme de soif de savoir ou soif d’apprendre. Or, chacun le sait, le moteur le plus puissant pour susciter l’apprentissage est le désir de savoir.

1’) Exposé

a’) Existence de la curiosité

L’expérimentation a largement confirmé le caractère très moteur de la curiosité, en toutes les matières et quel que soit l’âge. Par exemple, l’élève du jardin d’enfants qui est le plus curieux réussit le mieux en lecture ou en mathématiques [41].

Les neurosciences confirment et expliquent le fonctionnement de la curiosité en montrant qu’elle active le circuit de la récompense et son neuromédiateur, la dopamine. En effet, la curiosité nous ouvre à des informations nouvelles ; or, l’on a observé chez les primates (mais cela vaut sans doute pour tous les mammifères) que les neurones dopaminergiques déchargent lorsqu’ils accèdent à un surcroît de connaissances ; puisqu’ils se trouvent dans le circuit de la récompense, cela signifie donc que la curiosité est source de gratification [42]. Cette étude a été confirmée par l’expérience suivante : on peut conditionner un rat à préférer un lieu du fait de la présence d’objets nouveaux, donc suscitant la curiosité [43].

Ce qui est vrai pour l’animal l’est pour l’homme. L’on demande à quelqu’un à quel point il est avide de connaître la réponse à une question type Trivial Poursuit, par exemple : « Quand Marianne est-elle devenue le symbole de la République ? » [44]. Puis, l’on mesure par IRM, les zones qui sont activées et leur degré de décharge. Or, l’on observe que ces zones sont le noyau accumbens et l’aire tegmentale ventrale. Or, celles-ci sont des éléments essentiels du circuit cérébral de la dopamine. Par conséquent, la curiosité est jouissive et cette jouissance pousse à l’exercer.

b’) Objet de la curiosité

Nous venons de dire que la curiosité se porte vers ce qui est nouveau. Les études ont aussi permis d’affiner notre compréhension de son objet. Notamment de deux manières :

  1. En fait, toute nouveauté ne suscite pas la curiosité. C’est ainsi qu’une information trop inédite n’attire pas. Précisons : il s’agit d’un savoir inaccessible, immaîtrisable ; dans le lexique de la métaphysique dative, inappropriable. L’on a même observé à partir d’un algorithme que le cerveau calcule la nouveauté à la vitesse d’intégration des connaissances : si celle-ci est trop lente à l’égard des attentes, l’apprenant cesse l’apprentissage. Par exemple, après son coup de cœur pour le violon, l’enfant qui a commencé l’instrument s’en détourne parce que ses progrès sont trop lents à son goût.

Ainsi, la curiosité suit une courbe en cloche ou courbe de Gauss [45] : elle est anesthésiée autant par le trop connu qui est rébarbatif que par le trop inconnu qui est aussi ennuyeux (ou inquiétant, si l’on en croit Freud). Elle évolue dans un monde intermédiaire entre le trop facile et le trop difficile [46] – ce que l’on appelle aussi comme l’effet Boucle d’Or [47].

  1. Ensuite, l’accès à la nouveauté suppose que l’enfant (mais aussi l’adulte) sache discerner entre ce qu’il sait déjà (le nouveau ou l’inconnu) et ce qu’il ne sait pas encore (le même ou le connu). Or, la fonction méta désigne la réflexivité, c’est-à-dire une action où le sujet se prend pour objet de son acte. Par conséquent, l’apprentissage de la nouveauté requiert une capacité métacognitive – en termes concrets : la capacité à savoir qu’on sait et qu’on ne sait pas, ce qu’on sait et ce qu’on ne sait pas.

Or, des expériences récentes établissent que l’enfant possède cette capacité métacognitive très précocément, dès 1 an et probablement avant [48]. En effet, l’on a observé que, lorsqu’il ignore la solution d’un problème, le tout petit se tourne vers sa maman ; or, celle-ci représente pour lui celle qui sait tout et en tout cas plus que lui. Une nouvelle fois, donc, nous constatons que la curiosité est présente de manière très précoce et probablement innée (du point de vue des sciences cognitives).

2’) Interprétation philosophique

a’) L’évolution du sens du terme de curiosité

Il est naturel que la signification des mots évolue : vivante, elle est soumise à l’histoire. En revanche, cette évolution s’accompagne d’une perte dommageable : elle s’est psychologisée et amoralisée. En effet, comme bien d’autres termes, par exemple jalousie, orgueil, gourmandise, etc. (et ce n’est pas un hasard s’ils sont empruntés aux péchés capitaux dont on sait leur rôle frontière entre psychologie et éthique), curiosité est passé du statut éthiquement négatif de péché au statut moralement neutre et même psychologiquement positif d’attitude ou plutôt de propension. L’on y a perdu la fine analyse éthique de la vertu de studiosité [49] qui, annexe à la tempérance (partie potentielle), s’exerçait, à l’instar de toute vertu morale, selon un juste milieu entre l’excès qu’est la curiosité et le défaut qui ne porte pas de nom. Ainsi le manque à gagner est double : la perte de la vigilance morale à l’égard de cet excès parfois très délétère qu’est la curiosité (le premier péché qui est, en sa nature, orgueil a toutefois été enclenché par la curiosité) ; les fines analyses sur les différentes formes de curiosité [50].

En réalité, des approches descriptives et non prescriptives, donc non morales, voire cliniques, redécouvrent aujourd’hui cette studiosité par excès qu’était la curiosité. Elles permettent même d’affiner en distinguant excès quantitatif et excès qualitatif. Le premier est illustré par ce que l’on dénomme l’infobésité, ce mot-valise qui se définit comme surcharge informationnelle [51], notamment à l’ère du numérique. Le second par ce que nous avons développé ci-dessus sur les nouveautés inaccessibles. D’ailleurs, la première retentit fortement sur la seconde : celui qui croûle sous les nouvelles n’arrive plus à les hiérarchiser.

Ainsi les deux queues (bouts) de la courbe de Gauss correspondent aux deux dysfonctionnements, par excès et par défaut, de l’actuelle curiosité (et de l’ancienne studiosité). De manière plus générale, la courbe modélisée par le génial mathématicien permet de formaliser les médiétés. Pour autant, celles-ci ne sont pas toujours éthiques. Du fait de l’incurvation liée au péché originel et de sa confirmation par nos péchés actuels autant que de leur surdétermination par nos blessures elles aussi actuelles, bien des comportements médians sont des milieux qui ne sont pas des justes milieux seulement dans le dysfonctionnement. Par exemple, dans les attitudes transgressives à l’égard du code de la route ou du téléchargement…

b’) Le fondement de la curiosité : innée ou acquise ?

Les explications sont multiples [52]. Elles se répartissent entre deux pôles : inné (naturel) et acquis (culturel). C’est ainsi qu’aujourd’hui, en neurosciences, l’interprétation dominante est commandée par le concept clé de la théorie darwinienne de l’évolution, à savoir l’adaptation : est adapté celui qui survit face au danger ; or, par la curiosité, l’animal prévient le péril, surveille son environnement, notamment repère les changements qui y surviennent lors de l’intrusion d’un prédateur ; donc, l’évolution favorisera l’émergence de la curiosité. Et puisque ce processus est naturel ou inné, celle-ci l’est donc aussi.

Tout à l’opposé, Rousseau, lui, en fait une tendance acquise : « On n’est curieux qu’à proportion qu’on est instruit [53] ».

Qu’en penser ? Dans une phrase fameuse qui ouvre sa Métaphysique, Aristote en faisait une inclination naturelle des facultés de connaissance. Même si nous opinons en faveur de la naturalité de la curiosité, nous enrichissons cette thèse de l’apport rousseauiste en en faisant un penchant non pas seulement biologique (de la vie végétative, pour le dire avec les catégories du Stagirite), mais sensitif et même spirituel. En effet, les puissances de l’homme ne sont pas que réceptrices, mais sont aussi soulevées par un désir naturel (appetitus naturalis) non élicité qui les porte vers leur objet (nous en reparlerons en réinterprétant la notion de potentialité). C’est ainsi que la puissance générative tend le vivant vers la génération. Cela vaut en particulier pour les différents sens et l’intelligence. Ces facultés sont par nature orientées, attirées vers le vrai, sensible pour les premiers, en tant que vrai pour la seconde. Or, la vérité vaut par elle-même, indépendamment de toute utilité. Tel est le fondement des disciplines spéculatives (ou théorétiques). Cette interprétation aristotélicienne prend donc ses distances à l’égard de la perspective intéressée guidant l’herméneutique darwinienne. Celle-ci n’est pas seulement imprégnée de l’utilitarisme pragmatique qui caractérise nombre de philosophies anglosaxonnes, mais elle a trop rabattu l’homme sur l’animal : assurément, celui-ci ne s’intéresse jamais à être informé que pour survivre ; en revanche, la personne humaine est capable de gratuité, c’est-à-dire de poursuivre la vérité pour elle-même, sans autre fin que sa contemplation.

En ce sens, nous nous rapprochons des thèses d’un Jean Piaget ou d’un Donald Hebb pour qui l’enfant puise sa motivation dans le seul besoin de comprendre le monde et d’en construire un modèle – le constructivisme en moins.

c’) Le plaisir

Cette vision utilitariste qui imprègne les neurosciences se trouve aussi être hédoniste. On la retrouve de manière générale dans leur interprétation du fonctionnement du cerveau, et par exemple ce qui est appelé de manière malheureuse et tendancieuse le « circuit de la récompense ». On la retrouve de manière particulière dans leur relecture de la motivation de la curiosité.

La manière même de s’exprimer véhicule une interprétation très limitative de l’action en général (comme si elle était guidée par la recherche du plaisir maximal) et de la curiosité en particulier (comme si le sujet était d’abord guidé par son intérêt, comme si la vérité était subordonnée à l’utilité, voire mesurée par l’efficacité).

3’) Application pédagogique

Les conséquences éducatives se déclinent en plein et en creux.

a’) En plein

1’’) Quant à l’attitude de l’enseigné

Il est essentiel que l’environnement soit novateur pour stimuler la curiosité de l’enfant : de nouveaux mots, de nouveaux casse-têtes, voire de nouvelles langues. Puisque, ainsi que nous l’avons vu, l’apprentissage passe de manière privilégiée par l’adulte, il est bon et nécessaire que celui-ci entende ses nombreux « pourquoi » dont on sait combien ils se multiplient entre 2 et 5 ans.

Par ailleurs, à cause de l’effet Boucle d’Or, il convient que cette richesse du milieu soit mesurée, afin de ne pas décourager l’enfant.

Du point de vue non plus extérieur, mais intérieur, l’apprentissage se doit de récompenser régulièrement la curiosité, de l’encourager. Pour cela, l’enseignant doit pousser l’étudiant à poser des questions, faire des exposés, étudier ce qui le passionne, etc.

2’’) Quant à l’attitude de l’enseignant

Il est essentiel que le professeur montre qu’il ne sait pas tout, ainsi qu’une intéressante étude l’a établi [54]. L’on présente à des élèves de maternelle un assemblage de tubes. Il est totalement nouveau pour eux non seulement dans son organisation étrange, mais aussi dans son contenu : il s’y cache quantité d’objets dont ils ignorent le fonctionnement : un klaxon, un jeu de lumière, une boîte à musique. Ici, deux cas se produisent. Soit l’enseignant laisse l’enfant découvrir seul le mode d’emploi de l’objet. Or, l’on observe alors que l’enfant se met aussi en mode exploration : il fouille, fouine, furète (pourquoi tous ces verbes commencent-ils par un « f » ?).

Soit, inversement, le professeur explique à l’enfant le fonctionnement de ces objets. Par exemple : « Je vais te montrer comment fonctionne la boîte à musique ». Or, loin de stimuler la curiosité, l’enfant cesse très vite d’explorer son environnement.

Pourquoi ? L’interprétation la plus plausible est que l’enfant fait l’hypothèse (d’ailleurs le plus souvent juste) que l’enseignant cherche à l’aider au maximum ; or, aider au maximum, c’est expliquer au maximum ; par conséquent, il n’y a plus rien à découvrir de l’objet. Comme la curiosité est mue par la nouveauté, elle se trouve donc inhibée.

La conséquence positive est donc que l’enseignant non seulement sache laisser des possibles inexplorés, puisse dire à l’élève : « Je ne sais pas », voire « Ce problème m’intrigue, mais je n’ai pas la solution », et soit prêt à entendre qu’il pourra la trouver et donc l’enseigner, lui, l’enseignant (la réception vulnérable en retour, dont nous parlerons dans l’approche par l’amour-don)…

b’) En creux

Nous faisons tous l’expérience que certains enfants perdent leur curiosité et donc leur engagement actif à chercher la vérité. Certaines raisons sont inévitables : ils ont acquis les connaissances et la maîtrise ; or, nous avons vu que la curiosité est stimulée par la nouveauté. D’autres, en revanche, sont toxiques et véritablement évitables.

1’’) Prohiber le découragement

Or, les expériences montrent que la plupart des élèves dont la curiosité s’est fanée ou affadie ont plutôt été découragés et ont perdu confiance en eux. Autrement dit, le problème vient plus de l’excès que du défaut de curiosité. C’est ainsi que beaucoup de petites filles se convainquent tôt qu’elles ne sont pas faites pour les mathématiques [55].

Or, sur cette expérience se greffe un autre mécanisme psychologique : la transformation d’une expérience de déception en autoconviction de sa nullité. Autrement dit, la mise en place d’une métacognition : l’enfant a appris… qu’il ne pourrait pas apprendre.

2’’) Prohiber la punition de la curiosité

Tel est par exemple le cas lorsque chaque tentative d’exprimer la curiosité, notamment en posant une question, est tancée : « Ta question est idiote » ; « Tais-toi, tu déranges tout le monde » ; « Si tu continues, tu auras droit à une colle ». En particulier, la punition répétée conduit à ce que les Anglosaxons appellent a syndrom of learned helplessness, « un syndrome d’impuissance acquise » [56]. De fait, l’on observe que le circuit de la récompense est inhibé par celui de la punition. L’enfant perd donc sa motivation à poser des questions.

3’’) Prohiber l’omniscience de l’enseignant

Cette attitude se déduit de l’expérience décrite ci-dessus. Un enseignant qui fait des démonstrations exhaustives, ne laisse pas entendre qu’il y a encore à découvrir, qui ne sait pas dire à l’enfant, en s’impliquant : « J’ai lu une énigme dont je n’ai pas trouvé la solution… » Cela suppose qu’il sorte de l’attitude toute-puissante du tout-savoir, qu’il ne vive pas comme une blessure narcissique d’être pris en flagrant délit d’ignorance, qu’il ne soit pas dupe du compliment de l’enfant qui le place en posture d’omniscience « Toi qui sais tout ».

Pascal Ide

[1] Pour un exposé assez détaillé des expériences, avec chiffres et schémas, cf. le résumé disponible gratuitement sur le site du collège de France. Il s’agit du cours de 2014 du professeur Dehaene : « Fondements cognitifs des apprentissages scolaires ». https://www.college-de-france.fr/site/stanislas-dehaene/p8400556916311082_content.htm J’en offre dans ma synthèse un exposé moins formel, plus narratif et philosophiquement commenté…

[2] Ce premier pilier est présenté dans la première partie du cours n° 2 : « L’attention et le contrôle exécutif ».

[3] Ce deuxième piliers est présenté dans la deuxième partie du cours n° 2 et la première partie du cours n° 3 : « L’engagement actif, la curiosité, et la correction des erreurs ».

[4] Le troisième pilier est présenté dans la deuxième partie du cours n° 3 : « L’engagement actif, la curiosité, et la correction des erreurs ».

[5] Le quatrième pilier est présenté dans le cours n° 4 : « La consolidation des apprentissages et l’importance du sommeil ».

[6] William James, The Principles of Psychology, coll. « American Science Series », New York, Henry Holt and Company, 2 vol., 1890. Cité par Stanislas Dehaene, Apprendre !, p. 217. Il n’existe toujours pas de trad. française de l’intégralité des 1 400 pages de cet ouvrage fondateur de la psychologie aux Etats-Unis. Cf. Principes de psychologie. Vol. 1, Mineola, Courier Dover Publications, 1950.

[7] Cf. Olivier Houdé, Laure Zago, Emmanuel Mellet, Sylvain Moutier, Arlette Pineau, Bernard Mazoyer & Nathalie Tzourio-Mazoyer, « Shifting from the perceptual brain to the logical brain: The neural impact of cognitive inhibition training », Journal of Cognitive Neuroscience, 12 (2000) n° 5, p. 721-728 ; Michel Isingrini, Audrey Perrotin & Céline Souchay, « Aging, metamemory regulation and executive functioning », Progress in Brain Research, 169 (2008), p. 377-392 ; Michael I. Posner & Mary K. Rothbart, « Attention, self-regulation and consciousness », Philosophical Transactions of the Royal Society of London, Series B, Biological Sciences, 353 (1998) n° 1377, p. 1915-1927 ; Brad E. Sheese, Mary K. Rothbart, Michael I. Posner, Lauren K. White & Scott H. Fraundorf, « Executive attention and self-regulation in infancy », Infant Behavior & Development, 31 (2008) n° 3, p. 501-510 ; Robert S. Siegler, « Mechanism of cognitive development », Annual Review of Psychology, 40 (feb. 1989), p. 353-379.

[8] Cf. Michael I. Posner et al., « Attention, self-regulation and consciousness ».

[9] Cf. Mark D’Esposito & Murray Grossman, « The physiological basis of executive function and working memory », The Neuroscientist, 2 (1996) n° 6, p. 345-352 ; Etienne Koechlin, Chrystèle Ody & Frédérique Kouneiher, « The architecture of cognitive control in the human prefrontal cortex », Science, 302 (2003) n° 5648, p. 1181-1185 ; Marion Rouault & Etienne Koechlin, « Prefrontal function and cognitive control: From action to language », Current Opinion in Behavioral Sciences, 21 (mar. 2018), p. 106-111.

[10] Cf. Yuliya N. Yoncheva, Vera C. Blau, Urs Maurer & Bruce D. McCandliss, « Attentional focus during learning impacts N170 ERP responses to an artificial script », Developmental Neuropsychology, 35 (2010) n° 4, p. 423-445.

[11] Cf. Marvin M. Chun & René Marois, « The dark side of visual attention », Current Opinion in Neurobiology, 12 (2002) n° 2, p. 184-189 ; Sébastien Marti, Jean-Rémi King & Stanislas Dehaene, « Time-resolved decoding of two processing chains during dual-task interference », Neuron, 88 (2015) n° 6, 1297-1307 ; Sébastien Marti, Mariano Sigman & Stanislas Dehaene, « A shared cortical bottleneck underlying Attentional Blink and Psychological Refractory Period », NeuroImage, 59 (2012) n° 3, p. 2883-2898 ; Mariano Sigman & Stanislas Dehaene, « Brain mechanisms of serial and parallel processing during dual-task performance », Journal of Neuroscience, 28 (2008) n° 30, p. 7585-7598.

[12] Cf. Guido Corallo, Jérôme Sackur, Stanislas Dehaene & Mariano Sigman, « Limits on introspection : Distorted subjective time during the dual-task bootleneck », Psychological Science, 19 (2008) n° 11, p. 1110-1117 ; Sébastien Marti et al., « A shared cortical bottleneck underlying Attentional Blink and Psychological Refractory Period ».

[13] Cf. Michael Tombu & Pierre Jolicoeur, « Virtually no evidence for virtually perfect time-sharing », Journal of Experimental Psychology: Human Perception and Performance, 30 (2004) n° 5, p. 795-810.

[14] Cf. Anna V. Fisher, Karrie E. Godwin & Howard Seltman, « Visual environment, attention allocation, and learning in young children when too much of a good thing may be bad », Psychological Science, 25 (2014) n° 7, p. 1362-1370.

[15] Cf. John Duncan, « Intelligence tests predict brain response to demanding task events », Nature Neuroscience, 6 (2003) n° 3, p. 207-208 ; Id., « The multiple-demand (MD) system of the primate brain : Mental programs for intelligent behaviour », Trends in Cognitive Sciences, 14 (2010) n° 4, p. 172-179 ; Id., « The structure of cognition : Attentional episodes in mind and brain », Neuron, 80 (2013) n° 1, p. 35-50.

[16] Cf. Adele Diamond & Kathleen Lee, « Interventions shown to aid executive function development in children 4 to 12 years old », Science, 333 (2011) n° 6045, p. 959-964 ; Assal Habibi, Antonio Damasio, Beatriz Ilari, Matthew Elliott Sachs & Hanna Damasio, « Music training and child development : A review of recent findings from a longitudinal study », Annals of the New York Academy of Sciences, 1423 (2018) n° 1, p. 73-81 ; Susanne M. Jaeggi, Martin Buschkuehl, John Jonides & Priti Shah, « Short – and long – term benefits of cognitive training », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 108 (2011) n° 25, p. 10081-10086 ; Torkel Klingberg, « Training and plasticity of working memory », Trends in Cognitive Sciences, 14 (2010) n° 7, p. 317-324 ; Sylvain Moreno, Ellen Bialystok, Raluca Barac, E. Glenn Schellenberg, Nicholas J. Cepeda & Tom Chau, « Short-term music training enhances verbal intelligence and executive function », Psychological Science, 22 (2011) n° 11, p. 1425-1433 ; Pernille J. Olesen, Helena Westerberg & Torkel Klingberg, « Increased prefrontal and parietal activity after training of working memory », Nature Neuroscience, 7 (2004) n° 1, p. 75-79 ; María Rosario Rueda, Mary K. Rothbart, Bruce D. McCandliss, Lisa Saccomanno & Michael I. Posner, « Training, maturation, and genetic influences on the development of executive attention », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 102 (2005) n° 41, p. 14931-14936.

[17] Cf. Jacky Au, Ellen Sheehan, Nancy Tsai, Greg J. Duncan, Martin Buschkuehl & Susanne M. Jaeggi, « Improving fluid intelligence with training on working memory : A meta-analysis », Psychonomic Bulletin and Review, 22 (2015) n° 2, p. 366-377.

[18] Cf. Michel Duyme, Annick C. Dumaret & Stanislaw Tomkiewicz, « How can we boost IQs of ‘dull children’ ?: A late adoption study », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 96 (1999) n° 15, p. 8790-8794 ; Stuart J. Ritchie & Elliot Tucker-Drob, « How much does education improve intelligence ? A meta-analysis », PsyArXiv Preprints, 2017 : https://psyarxiv.com/kymhp/

[19] Cf. Angeline Lillard & Nicole M. Else-Quest, « The early years. Evaluating Montessori education », Science, 313 (2006) n° 5795, p. 1893-1894 ; Chloë Marshall, « Montessori education: A review of the evidence base », NPJ Science of Learning, 2 (2017) n° 1, p. 11.

[20] Cf. Patrick Bermudez, Jason P. Lerch, Alan Charles Evans & Robert J. Zatorre, « Neuroanatomical correlates of musicianship as revealed by cortical thickness and voxel-based morphometry », Cerebral Cortex, 19 (2009) n° 7, p. 1583-1596 ; Clara E. James, Mathias S. Oechslin, Dimitri Van De Ville, Claude-Alain Hauert, Céline Descloux & François Lazeyras, « Musical training intensity yields opposite effects on grey matter density in cognitive versus sensorimotor networks », Brain Structure and Function, 219 (2014) n° 1, p. 353-366 ; Sylvain Moreno et al., « Short-term music training enhances verbal intelligence and executive function ».

[21] Cf. Alex Thornton & Katherine McAuliffe, « Teaching in wild meerkats », Science, 313 (2006) n° 5784, p. 227-229.

[22] Pour le détail, cf. Stanislas Dehaene, Apprendre !, p. 237-239.

[23] Cf. Dare A. Baldwin, Ellen M. Markman, Brigitte Bill, Renée N. Desjardins, Jane M. Irwin & Glynnis Tidball, « Infants’ reliance on a social criterion for establishing word-object relations », Child Development, 67 (1996) n° 6, p. 3135-3153.

[24] Cf. Patricia K. Kuhl, Feng-Ming Tsao & Huei-Mei Liu, « Foreign-language experience in infancy : Effects of short-term exposure and social interaction on phonetic learning », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 100 (2003) n° 15, p. 9096-9101.

[25] Cf. Csibra Gergely & György Gergely, « Natural pedagogy », Trends in Cognitive Sciences, 13 (2009) n° 4, p. 148-153 ; Katalin Egyed, Ildikó Király & György Gergely, « Communicating shared knowledge in infancy », Psychological Science, 24 (2013) n° 7, p. 1348-1353.

[26] Cf. Jennifer M. D. Yoon, Mark H. Johnson & Csibra Gergely, « Communication-induced memory biases in preverbal infants », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 105 (2008) n° 36, p. 13690-13695.

[27] Cf. Katalin Egyed, Ildikó Király & György Gergely, « Communicating shared knowledge in infancy ».

[28] Sur tous ces points, cf. Pascal Ide, Manipulateurs. Les personnalités narcissiques : décrire, comprendre, agir, Paris, L’Emmanuel, 2016, p. 148-157.

[29] Stanislas Dehaene, Apprendre !, p. 237.

[30] Cf. Daniel J. Simons & Christopher F. Chabris, « Gorillas in our midst. Sustained inattentional blindness for dynamic events », Perception, 28 (1999) n° 9, p. 1059-1074. Cf. Christopher F. Chabris & Daniel J. Simons, The Invisible Gorilla. And Other Ways Our Intuition Deceives Us, New York, HarperCollins, 2011.

[31] Cf. Shaowen Bao, Vincent T. Chan & Michael M. Merzenich, « Cortical remodeling induced by activity of ventral tegmental dopamine neurons », Nature, 412 (2001) n° 6842, p. 79-83 ; Robert C. Froemke, Michael M. Merzenich & Christoph E. Schreiner, « A synaptic memory trace for cortical receptive field plasticity », Nature, 450 (2007) n° 7168, p. 425-429 ; Michael P. Kilgard & Michael M. Merzenich, « Cortical map reorganization enabled by nucleus basalis activity », Science, 279 (1998) n° 5357, p. 1714-1718.

[32] Cf. Richard Held & Alan Hein, « Movement-produced stimulation in the development of visually guided behavior », Journal of Comparative and Physiological Psychology, 56 (1963), p. 872-876.

[33] Pour une visualisation, cf. résumé du cours de Dehaene en ligne, Cours 3, p. 5.

[34] Cf. Fergus I. M. Craik & Endel Tulving, « Depth of processing and the retention of words in episodic memory », Journal of Experimental Psychology: General, 104 (1975) n° 3, p. 268 ; Larry L. Jacoby & Mark Dallas, « On the relationship between autobiographical memory and perceptual learning », Journal of Experimental Psychology: General, 110 (1981) n° 3, p. 306-340.

[35] Cf. Pamela M. Auble & Jeffery J. Franks, « The effects of effort toward comprehension on recall », Memory and Cognition, 6 (1978) n° 1, p. 20-25 ; Pamela M. Auble, Jeffery J. Franks & Salvatore A. Soraci, « Effort toward comprehension: Elaboration or ‘aha’ ? », Memory and Cognition, 7 (1979) n° 6, p. 426-434.

[36] Cf. Carly Kontra, Susan Goldin-Meadow & Sian L. Beilock, « Embodied learning across the life span », Topics in Cognitive Science, 4 (2012) n° 4, p. 731-739 ; Carly Kontra, Daniel J. Lyons, Susan M. Fischer & Sian L. Beilock, « Physical experience enhances science learning », Psychological Science, 26 (2015) n° 6, p. 737-749.

[37] Cf. Shitij Kapur, Fergus I. M. Craik, Endel Tulving, Alan A. Wilson, Sylvain Houle & Gregory Micheal Brown, « Neuroanatomical correlates of encoding in episodic memory : Levels of processing effect », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 91 (1994) n° 6, p. 2008-2011.

[38] Cf. S. Thomas d’Aquin, Somme de théologie, Ia, q. 79, a. 9.

[39] Cf. Jessica F. Hay, Bruna Pelucchi, Katharine Graf Estes & Jenny R. Saffran, « Linking sounds to meanings: Infant statistical learning in a natural language », Cognitive Psychology, 63 (2011) n° 2, p. 93-106 ; Jenny R. Saffran, Richard N. Aslin & Elissa L. Newport, « Statistical learning by 8-month-old infants », Science, 274 (1996) n° 5294, p. 1926-1928 ; travaux en cours de l’équipe de Ghislaine Dehaene-Lambertz sur l’apprentissage chez le nourrisson pendant le sommeil.

[40] Stanislas Dehaene, Apprendre !, p. 243.

[41] Cf. Prachi E. Shah, Blair Richards, Blair Richards & Niko Kaciroti, « Early childhood curiosity and kindergarten reading and math academic achievement », Pediatric Research, 84 (2018) n° 3, p. 380-386.

[42] Cf. Ethan S. Bromberg-Martin & Okihide Hikosaka, « Midbrain dopamine neurons signal preference for advance information about upcoming rewards », Neuron, 63 (2009) n° 1, p. 119-126.

[43] Cf. Rick A. Bevins, « Novelty seeking and reward : Implications for the study of high-risk behaviors », Current Directions in Psychological Science, 10 (2001) n° 6, p. 189-193..

[44] Cf. Matthias J. Gruber, Bernard D. Gelman & Charan Ranganath, « States of curiosity modulate hippocampus : Dependent learning via the dopaminergic circuit », Neuron, 84 (2014) n° 2, p. 486-496. Voir aussi Min Jeong Kang, Ming Hsu, Ian M. Krajbich, George Loewenstein, Samuel M. McClure, Joseph Tao Yi Wang & Colin F. Camerer, « The wick in the candle of learning : Epistemic curiosity activates reward circuitry and enhances memory », Psychological Science, 20 (2009) n° 8, p. 963-973.

[45] Cf. Min Jeong Kang et al., « The wick in the candle of learning… » ; Celeste Kidd, Steven T. Piantadosi & Richard N. Aslin, « The Goldilocks effect : Human infants allocate attention to visual sequences that are neither too simple nor too complex », PLoS ONE, 7 (2012) n° 5, p. e36399 ; Id., « The Goldilocks effect in infant auditory attention », Child Development, 85 (2014) n° 5, p. 1795-1804 ; George Loewenstein, « The psychology of curiosity : A review and reinterpretation », Psychological Bulletin, 116 (1994) n° 1, p. 75-98.

[46] Il est révélateur de son cartésianisme implicite que Stanislas Dehaene interprète constamment ces extrêmes comme « trop simple » et « trop complexe » (par exemple, Apprendre !, p. 256-259).

[47] Cf. Celeste Kidd et al., « The Goldilocks effect : Human infants allocate attention to visual sequences that are neither too simple nor too complex » ; Id., « The Goldilocks effect in infant auditory attention ».

[48] Cf. Stanislas Dehaene, Hakwan Lau & Sid Kouider, « What is consciousness, and could machines have it ? », Science, 358 (2017) n° 6362, p. 486-492 ; Louise Goupil, Margaux Romand-Monnier & Sid Kouider, « Infants ask for help when they know they don’t know », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 113 (2016) n° 13, p. 3492-3496 ; Kristen E. Lyons & Simona Ghetti, « The development of uncertainty monitoring in early childhood », Child Development, 82 (2011) n° 6, p. 1778-1787.

[49] Cf. S. Thomas d’Aquin, Somme de théologie, IIa-IIæ, q. 166.

[50] Cf. l’article décisif Ibid., q. 167, a. 1.

[51] Cf. Caroline Sauvajol-Rialland, Infobésité. Comprendre et maîtriser la déferlante d’informations, Paris, Vuibert, 2013.

[52] Cf. George Loewenstein, « The psychology of curiosity… ».

[53] Jean-Jacques Rousseau, L’Émile ou de l’éducation, L. III,

[54] Cf. Elizabeth Bonawitz, Patrick Shafto, Hyowon Gweon, Noah D. Goodman, Elizabeth Spelke & Laura Schulz, « The double-edged sword of pedagogy : Instruction limits spontaneous exploration and discovery », Cognition, 120 (2011) n° 3, p. 322-330.

[55] Cf. Steven J. Spencer, Claude M. Steele & Diane M. Quinn, « Stereotype threat and women’s math performance, Journal of Experimental Social Psychology, 35 (1999) n° 1, p. 4-28 ; Claude M. Steele & Joshua Aronson, « Stereotype threat and the intellectual test performance of African Americans », Journal of Personality and Social Psychology, 69 (1995) n° 5, p. 797.

[56] Cf. Pico Caroni, Flavio Donato & Dominique Muller, « Structural plasticy upon learning : Regulation and functions », Nature Reviews. Neuroscience, 13 ( 2012) n° 7, p. 478-490 ; Flavio Donato, Santiago Belluco Rompani & Pico Caroni, « Parvalbumin-expressing basket-cell network plasticity induced by experience regulates adult learning », Nature, 504 (2013) n° 7479, p. 272-276 ; Jeansok J. Kim & David M. Diamond, « The stressed hippocampus, synaptic plasticity and lost memory », Nature Reviews. Neuroscience, 3 (2002) n° 6, p. 453-462 ; Kimberly G. Noble, M. Frank Norman & Martha J. Farah, « Neurocognitive correlates of socioeconomic status in kindgarten children », Developmental Science, 8 (2005) n° 1, p. 74-87.

30.3.2020
 

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