La chromatothérapie est-elle scientifiquement validée ? L’ouvrage que j’ai lu l’affirme sans pour autant donner de références [1]. Et la MIVILUDES, à deux reprises, s’est prononcée contre elle – mais l’on sait aussi le scientisme soupçonneux de cet organisme interministériel qui est inapte à sortir du modèle mécanisme de la technoscience pharmaceutique.
Quoi qu’il en soit, même mal écrit, mal conceptualisé, mal argumenté et non référencé, le livre suscité offre une passionnante intuition. Faisons l’hypothèse (pour l’instant purement conjecturale) que cette méthode fasse l’objet d’une validation expérimentale, et méditons brièvement sur elle, en cette fête de sainte Hildegarde de Bingen, que Benoît XVI a expressément voulu faire Docteur de l’Église pour nous rappeler l’importance d’une cosmologie théologique, théorique et pratique.
1) Bref exposé
a) Quelques données
Tout est dit dans le terme chromatothérapie qui peut se déplier en une phrase : la couleur guérit. Précisons aussitôt, tant la confusion est fréquente : il ne s’agit pas de la lumière comme telle, mais de la couleur, qui en est distincte (sans toutefois en être séparée ni séparable). Quoi qu’il en soit, comment un tel fait ne susciterait-il pas l’étonnement, voire l’émerveillement ?
Mais le fait demande à être précisé. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer : la couleur curative n’est pas reçue par l’œil, mais par la peau. De fait, cette méthode est efficace sur une personne aveugle, daltonienne et même achromatopsique ; elle l’est aussi sur un animal qui ne voit pas les couleurs. Ce qui redouble notre surprise.
b) Difficultés
Dès lors, une objection ne manquera pas de se lever. La couleur est le sensible propre de la vue dont l’organe est l’œil. Or, en chromatothérapie, la couleur est reçue par la peau. Et celle-ci n’est bien entendu pas équipée d’organe oculaire.
c) Réponse
L’expérimentation donne une réponse d’importance. En réalité, ce qui importe en chromatothérapie n’est pas la couleur, mais sa traduction tactile.
En effet, comme tout objet sensible externe, le tactile (objet du toucher) se structure à partir de différents couples de contraires. Pour le son, ces contraires sont par exemple, l’aigu et le grave, la faible ou la forte intensité, le rythme lent ou accéléré, organisé ou chaotique, la monophonie et la polyphonie, etc. Dans le cas du toucher, le tactile s’organise à partir d’une multitude de paires contrastées. Mais, si elles sont nombreuses, deux sont premières et structurantes : le chaud et le froid, l’humide et le sec. Voire, Aristote hiérarchisait ces deux caractéristiques, faisant de la chaleur la propriété première informant le toucher, et, par voie de conséquence, faisant du réchauffement (et son contraire, le refroidissement), la première des altérations (mouvement qualitatif que l’on rendrait aujourd’hui adéquatement par devenir chimique). Donc, en croisant ces deux propriétés originaires du tactile, on pourra distinguer les corps en quatre catégories : chaud et sec ; froid et sec ; chaud et humide ; froid et humide.
Or, la couleur (portée par la lumière) porte des informations concernant la chaleur et l’humidité. Soit de manière isolée ou séparée, soit de manière simultanée ou appariée. En l’occurrence, nous obtenons les corrélations suivantes que nous résumons en un tableau :
Couleur donnée |
Réception du corps et traduction |
Réponse du corps |
|
Sensation tactile simple |
Sensation tactile complexe |
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Rouge |
Froid |
|
Chaleur |
Orange |
Chaleur |
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Froid |
Bleu |
Sécheresse |
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Humidité |
Vert |
Humidité |
|
Sécheresse |
Jaune |
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Humidité et chaleur |
Sécheresse et froid |
Violet |
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Sécheresse et froid |
Humidité et chaleur |
Rouge-orange |
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Froid et chaleur |
Chaleur et froid |
Bleu-vert |
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Sécheresse et humidité |
Humidité et sécheresse |
d) Nouvelle difficulté
Ici surgit une nouvelle difficulté. Tout traitement doit proportionner le soin à la maladie. Or, la chromatothérapie traite des pathologies non seulement physiques, mais psychiques. Donc, on ne voit pas comment il serait possible qu’un traitement par la couleur ou par les propriétés tactiles puisse guérir un patient, par exemple, de dépression.
Pour éclairer ce point, nous ferons appel à la notion d’harmonie. La santé peut se définir comme l’unité de l’organisme humain (en lien avec la personne ; ce n’est pas le lieu d’entrer dans le détail). Mais ce dernier est d’une singulière complexité. Comme l’équilibre et l’harmonie est la propriété d’un tout complexe, la santé est donc l’harmonie de l’organisme. Or, la maladie est le contraire de la santé. Donc, la maladie n’est pas qu’une privation isolée, elle est plus profondément désunité, c’est-à-dire dysharmonie. Or, l’harmonie n’est pas statique, mais dynamique : elle est circulation de la vie. Donc, inversement, la maladie est un blocage de cette vie circulante.
Or, la couleur apporte au corps ce qui lui manque : l’information qui permet de faire circuler la vie où elle est bloquée. Donc, la chromatothérapie semble fonctionner en stimulant la vie.
2) Confirmation
Une confirmation inattendue est fournie par la caractérologie élaborée par Jean de Bony à partir des mains. En effet, ce chercheur a distingué quatre grands types de main (je mets de côté ses observations sur les formes des empreintes digitales). Pour cela, il est parti des deux couples que ci-dessus, considérés comme propriétés de la paume : chaude ou froide, sèche ou humide. Combinées, elles donnent quatre mains possibles : chaude et sèche, froide et sèche, chaude et humide, froide et humide.
Or, il a corrélé cette première typologie, organique, à une classification caractérologique, en l’occurrence, celle des tempéraments d’Hippocratique : bilieux, nerveux, sanguin et lymphatique, qu’il a réinterprété à partir de la grille suivante qui est plus adaptée à l’entreprise, donc au monde professionnel : organisateur = bilieux, théoricien = nerveux, passionné = sanguin, sédentaire = lymphatique.
Quoi qu’il en soit, Jean de Bony a observé une corrélation entre les quatre types de main et les quatre types de caractère.
Certes, le travail de Jean de Bony est caractérologique et non pas psychothérapeutique Il demeure qu’il a établi des ponts non seulement entre les caractéristiques de la main et le tempérament, ce qui est déjà passionnant, mais, ce qui est passionnant pour nous, entre ces caractéristiques tactiles fondamentales que sont la chaleur et l’humidité avec une donnée de prime abord totalement hétérogène, le tempérament.
3) Une lecture ontodologique
Répétons-le, cette lecture est a priori. Elle ne présente d’intérêt que si le modèle est validé.
a) Dynamique générale
D’abord, de manière générale, la chromatothérapie est structurée à partir des diverses dynamiques du don : donation, réception, appropriation et donation en retour.
La chromatothérapie se fonde sur la réponse du corps humain.
D’un mot, la lumière donne une information au corps (et au psychisme) blessé. L’organisme reçoit cette information, puis il se l’approprie selon sa modalité propre qui lui est tactile, et, enfin, il lui répond, en l’occurrence par le contraire. Par exemple, quand il reçoit la couleur rouge, il la déchiffre selon sa modalité propre qui est tactile comme étant du froid, et il répond par le contraire qu’est l’émission de chaleur. De fait, selon la chromatothérapie, l’exposition à une source de lumière adéquate, l’on peut guérir d’une brûlure.
b) Interprétation particulière des propriétés tactiles élémentaires
Il semble qu’on puisse les relire à partir de la constitution ontophanique. En effet, la différence chaud-froid paraît exprimer la distinction entre le fond et la manifestation. En regard, la distinction humide-sec semble correspondre à la profondeur. En effet, l’humidité et la sécheresse sont des propriétés de l’eau. Or, celle-ci circule surtout au-dedans en particulier dans la circulation sanguine. Ainsi, chaud et froid semblent s’intérioriser dans l’humidité et la sécheresse.
Mais cette vision est sans doute trop simpliste, car la distinction chaud-froid correspond aussi à l’énergie première.
c) La douceur ondulatoire
Si son intensité est mesurée, il semble que la couleur soit douce : elle pénètre sans violence ; onde, elle n’introduit nulle matière en tout cas sous sa forme corpusculaire ; son action physique se transforme en modification chimique. Enfin, selon la loi de pneumatisation et d’harmonie, ne peut-on imaginer que s’ajoute une action par résonance (comme les symboles ou l’imitation) ?
- d) Interprétation des couleurs
Ne faut-il pas joindre une interprétation des couleurs : non pas seulement symbolique (Goethe), mais ontologique, comme j’ai pu le tenter dans tel ou tel essai, publié sur papier [2] ou sur le site [3] ?
Pascal Ide
[1] Michel Delmas, Quand la couleur guérit. Psychologie et chromatothérapie, Paris, Guy Trédaniel, 2010, 2023.
[2] Cf. Pascal Ide, « L’ontologie trinitaire des couleurs. Une relecture de la loi de complémentarité chromatique », Sophia, 14 (2022) n° 1, p. 143-160.
[3] Cf. site pascalide.fr : « Le bleu de l’eau, couleur de l’infini » ; « Le bleu, couleur métaphysique ? En marge de la ‘verdure vitale’ chère à sainte Hildegarde de Bingen ».