Incontestablement, la fable (l’apologue, la parabole, la métaphore, etc.) de La grenouille qui ne savait pas qu’elle était cuite qui ouvre le livre de celui qui anime un forum internet justement appelé Métaphorum est éloquente, riche d’enseignements moraux et même politiques [1]. Il en est de même de la suivante, « Le bambou chinois ». Les autres, je dois le dire, m’ont de moins en moins parlé. Mais, à en juger par le succès du livre, il n’en est pas de même pour ses nombreux lecteurs.
Si le style métaphorique rejoint tant de personnes, c’est pour plusieurs raisons : il convoque autant la sensation que la réflexion, donc entre en résonance avec notre constitution corps-âme ; il permet de passer du sensible à l’intelligible, ce qui faisait dire aux grands docteurs médiévaux que « rien n’est dans l’intelligence qui n’ait d’abord été dans les sens » ; il est autant théorique que pratique, ou plutôt il réenracine l’éthique dans l’anthropologique, autrement dit éclaire ce qui est juste à partir de ce qui est bon (rappelons que l’un a été séparé de l’autre par Kant puis par Rawls) ; il éclaire et incite sans culpabiliser ni moraliser (« castigat ridendo mores : elle châtie les mœurs en faisant rire », disait-on de la comédie).
Cela dit, le style parabolique en général et ce livre en particulier présentent deux limites de taille [2].
La première concerne la méthode. Les deux faces, sensible et intelligible, n’ont pas le même poids. La métaphore doit conduire au concept, la parabole à la norme, etc. Or, en multipliant les interprétations et, plus encore, en revenant constamment à l’image, l’auteur n’accède jamais à l’idée intelligible, à la notion. Assurément, l’image est plus riche. Mais elle est plus profuse non par excès, mais par défaut, parce qu’elle est indéterminée. Un signe en est que toute image est ambivalente. L’auteur en a d’ailleurs conscience qui note que chaque histoire peut être interprétée en bonne ou mauvaise part. Par exemple, à propos de la parabole de la grenouille bouillie : « Le principe général de cette métaphore – la non-perception d’un changement progressif, et donc l’absence de réaction adaptée – fonctionne également au positif [3] ». Aussi l’ouvrage s’arrête-t-il en chemin et manque-t-il partiellement son objectif, puisqu’il n’ose pas (ou, peut-être n’est pas capable d’) aller jusqu’à la loi anthropologique générale que la fable devrait illustrer (et seulement illustrer).
La deuxième limite concerne l’organisation du livre : il juxtapose et ne compose pas. En effet, les histoires se suivent et ne se ressemblent pas. Un indice en est que l’ouvrage n’a pas su trouver un titre englobant, puisqu’il a faussement attribué au tout ce qui ne vaut que pour une partie. Un autre symptome en est que l’on pourrait ôter ou ajouter un chapitre, donc une histoire, sans que l’architecture de l’ouvrage s’en ressente. Et parfois, au contraire, les histoires se ressemblent trop. C’est ainsi que, à l’instar de la deuxième, la troisième parabole traite encore du pli caché. Or, justement, un passage à l’analyse conceptuelle rigoureuse aurait conjuré le risque de la répétition et de la désarticulation.
Et la carence de plan pointe le manque fondamental : celui d’une anthropologie globale qui aurait permis non seulement d’unifier le propos et de multiplier la joie des paraboles par celle de l’harmonie, mais d’en montrer les trous de la raquette (tiens, une métaphore !) comme l’absence d’un horizon (de finalité).
L’on objectera que ma critique est l’exemple même de ce que la métaphore cherche à éviter : le passage desséchant à la logique et à la systématique. Toutefois, ce choix doit être conscient de sa contradiction performative : le non-logique obéit secrètement à une logique ; le refus systématique du systématique est une forme supérieure de systématique.
Ces deux critiques se complètent. En effet, la première traite de la métaphore et la seconde de la métonymie. Or, métaphore et métonymie sont les deux figures rhétoriques fondamentales (sans rien dire de leur résonance avec l’inconscient structuré comme un langage).
Le succès de ces petits livres qui se présentent comme des ouvrages de sagesse pratique alerte sur les besoins de notre société pressée, mais aussi sur ses manques criants. Homme vrai et intégral, le Rabbi Ieshouah proposait un discours lui aussi vrai et intégral. Loin de s’en tenir à ses paraboles, pourtant si créatives, il leur joignait des exposés limpides – « Voici que tu parles ouvertement et non plus en images » (Jn 16,29), des argumentations rigoureuses (par exemple en Mc 12,18-27), exhortations prescriptives et des prières.
Pascal Ide
[1] Olivier Clerc, La grenouille qui ne savait pas qu’elle était cuite, et autres leçons de vie, Paris, Jean-Claude Lattès, 2005, rééd. coll. « Poche Marabout : développement personnel », Vanves, Marabout, 2021.
[2] Je passe les références au très problématique Omraam Mikhaël Aïvanhov, plus encore comme interprète du « message chrétien » ! (Ibid., note 1, p. 38)
[3] Ibid., p. 38