Flammes jumelles. Un nouveau modèle de la rencontre amoureuse 2/4

B) Description

Les quatre illustrations précédentes portent sur différentes relations entre deux personnes qui sont d’une intensité singulière (que ce soit dans l’attrait ou dans la souffrance) ; or, nulle cause apparente ne paraît pouvoir expliquer cet excès ; il faut donc faire appel à une autre vision. Avant de proposer quelques explications, il faut entrer plus avant dans la dénomination des FJ (1), leurs signes (2), leurs composantes (3), leur évolution (4) et leur signification (5).

1) La dénomination

Les dénominations varient selon les auteurs. Il semble toutefois qu’existe un relatif consensus pour distinguer : les âmes sœurs des flammes jumelles. Les premières désignent « les personnes entre lesquelles existe une affinité extrême, et ce dès la rencontre [1] ». Elles se caractérisent surtout par la douceur paisible, dénuée de tensions majeures. Elles couvrent les relations amoureuses, amicales ou familiales. En creux, elles n’ont pas l’intensité et la radicalité qui va maintenant caractériser les FJ.

Les secondes se distinguent des premières sur trois points décisifs : en leur intensité, car elles sont les plus puissantes, les plus énergétiques, les plus solides qui soient ; en leur origine, car elles proviennent d’une scission originelle, ainsi que nous le verrons ; en leur devenir, car elles devront passer par une douloureuse purification.

Certains auteurs introduisent d’autres distinctions, par exemple entre « âmes sœurs » et « âmes jumelles », les premières étant presque seulement heureuses, les secondes parce qu’elles mélangent joie et souffrance, du fait « des blessures et des situations karmiques à régler [2] ». Ou entre « flammes jumelles » et « flammes jumelles universelles », les premières n’ayant pas de mission universelle et ces dernières étant destinées à « une mission commune à accomplir, pour notre terre Gaïa et pour l’humanité [3] ».

2) Les signes de reconnaissance

À quoi reconnaît-on l’existence de ces liens entre les âmes-flammes ? Comment savoir si cette relation relève de la FJ et pas seulement des mécanismes psychologiques habituels ? Une psychologue, Cécile Cloulas, propose une précieuse systématisation, en onze signes. Auparavant, elle distingue deux espèces de relation d’âmes, inachevée, c’est-à-dire en progrès, et achevée, c’est-à-dire ce qu’elle appelle un amour d’âmes. Nous comprendrons mieux cette distinction quand nous parlerons de leur évolution. Trois signes sont communs à toutes les rencontres d’âmes. Les huit autres sont propres à une des deux espèces : cinq notifient le lien en chemin ; trois caractérisent la relation accomplie [4]. Passons-les brièvement en revue, me permettant de changer l’intitulé pour mieux en faire saillir la signification.

a) Les signes communs

Comparons les relations usuelles qui sont règlées par les conditionnements psycho-sociologiques aux relations typiques des relations d’âme.

1’) La nouveauté

Les liens ou les rencontres habituels sont conditionnés par des mécanismes psychologiques ou sociologiques, conscients ou inconscients. Or, le propre du mécanisme est la répétition. Ainsi, même si nous rencontrons une personne nouvelle, la relation, elle, ne l’est pas : elle ressemble à d’autres relations que nous avons connues naguère. En revanche, dans l’expérience de la relation d’âmes, tout ce qui se produit est inédit, en excès vis-à-vis de ce que nous connaissons déjà : rien de présent ne répète une expérience passée.

2’) La sentiments puissants

Passons du diachronique au synchronique qui se dédouble en affectif et cognitif. Dans la plupart de nos rencontres, l’affectivité est modérément mobilisée, le sentiment est modéré. Or, dans le cadre de la relation d’âmes, la personne ressent une émotion singulièrement intense, puissante. Cécile Cloulas parle de « vibrations au sens physique et émotionnel [5] » éprouvées au niveau du cœur ou de l’estomac. Elle précise que ce ressenti peut être positif comme une onde d’amour, ou négatif comme un tsumani de tristesse ou un ressentiment indomptable.

3’) Les pensées récurrentes

À l’instar des sentiments, les pensées sont puissantes et permanentes : la personne s’impose depuis la première pensée du matin jusqu’au repos nocturne. Alors que les rencontres usuelles ne laissent pas de trace durable, celle-ci s’impose de manière irrépressible, comme « une injonction invisible » qui somme « de conserver le lien [6] ».

b) Les signes propres aux relations inachevées

Il s’agit des signes caractéristiques des relations entre « deux âmes [qui] doivent épurer des souffrances du passé dans cette vie actuelles [7] ». Les deux premiers signes concernent l’extérieur, c’est-à-dire le comportement ; et les trois autres l’intérieur, c’est-à-dire la cause que sont les sentiments. Ajoutons deux points communs à tous les symptômes. Le premier concerne leur existence : ils sont nécessaires ; les âmes les rencontrent à un moment ou l’autre de leur chemin vers l’accomplissement. Le deuxième touche le diagnostic différentiel, c’est-à-dire leur identification : leur cause n’est pas identifiable ; elle ne correspond ni à la répétition d’un schéma familial, ni à l’identification à un modèle social, ni l’expression d’une blessure personnelle. Le troisième intéresse leur sortie : loin d’être fatals, ces signes sont passagers et indiquent une issue ; en l’occurrence, ils sont une invitation à être déchiffrés et à être remplacés par l’amour qui est énergie.

1’) Signes comportementaux

a’) L’oscillation

Le premier signe est diachronique : les deux âmes qui sont dans une interaction en chemin vivent des relations affectivement intenses où se succèdent une attraction prégnante et une répulsion tout aussi puissante.

b’) Le déséquilibre

Le deuxième signe est synchronique. Ce qui est vécu successivement dans un va-et-vient est vécu simultanément, mais réparti entre les deux personnes. Dans une relation amoureuse ou amicale qui est encore inaboutie, l’un est grandement désirant quand l’autre se sent indifférent ; l’un est de glace quand l’autre est de feu. De même, dans une relation d’inimitié, le premier éprouve une haine alors que le second est neutre.

2’) Signes affectifs

Deux concernent la démesure, en l’occurrence de la peur de la souffrance, et le dernier le défaut, en l’occurrence d’énergie intérieure amour. Nous comprendrons mieux ces signes émotionnels quand nous traiterons du chaser et du runner.

a’) La peur

La peur éprouvée au dedans se traduit au dehors par la fuite ou l’évitement. Or, dans une relation d’âmes inachevée, amicale, amoureuse ou professionnelle, il arrive tôt ou tard que l’une d’elles fuit systématiquement le contact ou, a minima, qu’elle coupe soudain la communication auparavant régulière, refuse de répondre, s’installe dans un silence radio, bref, qu’elle disparaisse.

b’) La souffrance

Dans une relation karmique inachevée, les sentiments opposés dont le signe de déséquilibre disait qu’ils se répartissaient entre les deux âmes sont aussi éprouvés par la même personne alternativement ou conjointement : à une corruscante vague d’amour est joint ou succède une onde de colère tout aussi bouillonnante, une affliction tout aussi véhémente. Ajoutons que, loin de résoudre la difficulté et d’apaiser le chagrin, rompre la relation ne fait qu’accroître la frustration.

c’) La perte d’amour

Dans une rencontre d’âmes qui est encore en chemin, celles-ci connaissent un moment où leur énergie d’amour est diminuée, voire évanouie. La peur, la souffrance (c’est-à-dire la tristesse) conduisent à l’impuissance qui fait le lit de la désespérance.

c) Les signes propres aux relations achevées

Les cinq signes précédents attestaient une relation d’âme pérégrinant sur la communion d’âmes dont nous allons maintenant décrire les trois critères. Désormais les attitudes et les ressentis ne sont plus mélangés d’ombre et de lumière, mais sont lumineux. Derechef, ces signes ne se retrouvent pas dans les relations habituelles. Le premier signe est personnel, les deux autres sont interpersonnels, cognitifs et affectifs.

1’) L’évidence immédiate

La rencontre d’âmes aboutie s’exprime d’abord par un vécu intérieur. Celui-ci se caractérise en plein par une évidence immédiate, holistique (qui prend toute la personne, corps et âme) et puissante. En creux : ce n’est pas une attirance physique ou intellectuelle ; ce n’est pas le fruit d’un raisonnement objectif, de motivation analysable. La conséquence en est que, rompant avec le train-train de la vie quotidienne, cette rencontre est profondément déstabilisante.

La signification objective de tous ces signes intérieurs est que « cette personne-là revêt [pour moi] une importance manifeste [8] », ce qui conduit au désir, plus, au besoin, de connaître la personne en profondeur. L’on pense au coup de foudre, mais celui-ci est trop souvent réduit à la relation amoureuse, alors qu’il peut valoir pour la relation amicale et même professionnelle. Je ne serais pas étonné que Gilles Deleuze et Félix Guattari, Daniel Kahneman et Amos Tverski aient fait une telle expérience lors de leur rencontre.

2’) La connexion invisible

Lors d’un amour d’âmes s’établit une connexion particulière entre elles qui est sans commune mesure avec les liens habituels entretenus avec les autres personnes. Cette connexion présente trois particularités : elle est empathique (l’âme ressent ce que l’autre ressent ; elle sait ce que l’autre âme vit sans qu’elle ait besoin de le verbaliser) ; elle est « télépathique [9] » (les âmes sont connectées à distance au point que l’âme a accès à l’autre âme par « intrusion » ou « effraction [10] » à des moments précis dont l’horaire peut être noté) ; elle est synchronique ou plutôt s’accompagne de ce que Jung appelle des synchronicités, ici nombreuses.

3’) « La sexualité spirituelle [11] »

Enfin, dans un amour d’âmes, cette connaissance mutuelle d’ordre intuitif se traduit dans une connaissance au sens biblique. Et cette connexion présente la singularité à l’égard des autres relations sexuelles qu’elle ne concerne pas seulement l’attrait physique ou le fantasme psychique, et qu’elle n’est pas précédée par une entreprise de séduction ou de conquête où l’ego est mis en avant pour attirer ou se valoriser. Elle est totale, c’est-à-dire qu’elle est autant charnelle que spirituelle. Non sans un ordre : de même que le corps exprime l’âme, de même l’union des corps traduit une « communion absolue » des âmes, « l’acte sexuel et l’orgasme sont la ocnséquence de la fusion des énergies d’amour réunies [12] ». Et le signe en est que le médiateur n’est pas d’abord la beauté ou la désirabilité du corps de l’autre, mais les regards et les mots échangés. Cécile Cloulas distingue deux cas : soit les âmes vivent cette sexualité ; soit elles n’en vivent pas, mais éprouvent cette attirance prenant en compte l’entièreté de l’être.

3) Les deux rôles

a) Distinction

Les ouvrages sur les FJ distinguent presque constamment deux rôles [13] dans la relation d’âmes, rôles qui se rencontrent de manière privilégiée dans les parcours de FJ : le chaser et le runner [14]. Ces termes anglais signifient respectivement « chasseur » et « coureur » (au sens de celui qui prend la fuite). Débarrassés de leur connotation négative et appliqués à notre sujet, ces mots peuvent se définir ainsi. Le chaser est l’âme qui est animée par l’élan, alors que le runner est l’autre âme qui réagit par le repli. Nous avons vu, en décrivant les signes de la relation d’âmes inachevée que les âmes adoptaient des comportements contraires (le rapprochement et le retrait) et que ceux-ci étaient mûs par des sentiments eux-mêmes opposés (l’amour et la peur). Donc, l’énergie du chaser est l’amour et celle du runner est la peur.

Tout en multipliant leurs interprétations [15], les ouvrages prennent parfois leur distance vis-à-vis du chaser ou du runner. Soit seulement vis-à-vis de la dénomination. C’est ainsi que, les trouvant trop péjoratifs et trop comportementalistes, Cécile Cloulas préfèrent parler de l’élan et du repli [16]. Soit aussi à l’égard de leur contenu. C’est ainsi que Céline Tesnier l’estime trop hiérarchique et trop limitant [17].

b) Relations

Cette distinction est surtout l’occasion de décrire plus finement la relation entre les deux FJ encore en devenir amoureux. D’un côté, l’élan désintéressé du chaser qui est « dépassé parce qu’il ressent [18] », mais aussi ses doutes et ses souffrances face aux silences du runner ou plutôt ses ambivalences, voire son découragement, jusqu’au moment où il « reprend des forces en les puisant dans l’énergie d’amour [19] ». De l’autre, les multiples peurs et doutes vampirisant le runner qui se sent submergé par un amour trop puissant et craint d’être étouffé ou de lui donner sa confiance ; et sa tentation de se replier vers le mental à la fois pour comprendre l’incompréhensible qu’est le don d’amour, pour maîtriser l’immaîtrisable qu’est cette énergie, et « s’insensibiliser [20] » pour ne pas souffrir.

c) Évolution

Cette distinction est aussi l’occasion de multiplier les conseils à destination de ceux qui adoptent l’un ou l’autre rôle. Pour le chaser : non pas s’interroger sur ce que l’autre ressent, mais « avancer » ; se « mettre en retraiter pour laisser au runner la liberté d’être » ; si celui-ci continue à ne pas répondre, se séparer en sachant que « cette séparation agira comme un détonateur pour aller plus loin, plus haut [21] ». Pour le runner : « regarder les peurs pour ce qu’elles sont, un mécanisme de défense de votre ego » ; « passer au-delà de son mental et de son ego demande un travail en profondeur sur soi » ; s’« autoriser à lâcher prise » pour « entrer dans cet univers inconnu rempli de promesses [22] ».

Pascal Ide

[1] Daisy Bodin et Julie Bodin, Les flammes jumelles, p. 18.

[2] Ibid., p. 19.

[3] Ibid., p. 20.

[4] Cécile Cloulas, Amours et rencontres d’âmes, 2e partie, chap. 2 et 3, p. 51-76. Nous suivrons l’exposé de cet auteur qui est à la fois pédagogique et analytique.

[5] Ibid., p. 56.

[6] Ibid., p. 57.

[7] Ibid., p. 59.

[8] Ibid., p. 73.

[9] Ibid., p. 73.

[10] Ibid., p. 73-74.

[11] Ibid., p. 75-76.

[12] Ibid., p. 75.

[13] « Rôle » doit se prendre au sens que lui donnent les jeux psychologiques : il s’agit de posture psychologique fixe caractérisée par des actes dans un cadre systémique donné.

[14] Par exemple : Daisy Bodin et Julie Bodin, Les flammes jumelles, chap. 2 ; Cécile Cloulas, Amours et rencontres d’âmes, 3e partie, chap. 2 ; Marie Sahuguede, Les flammes jumelles, p. 26-34 ; Céline Tesnier, Flammes jumelles, p. 60-61. En revanche, Aurélie et Pascal d’Arcadie ne font pas appel à ces notions dans Réintégrer sa Flamme Jumelle.

[15] Certains auteurs proposent d’autres distinctions qu’ils recoupent avec les rôles. Par exemple, se fondant notamment sur les occurrences d’Alpha et Oméga dans le livre de l’Apocalypse, Céline Tesnier distinguent deux types de flammes : alpha, qui est « le premier fragment d’âme à s’incarner », et oméga, qui est donc la deuxième ; toutes deux sont appelées à fusionner (Flammes jumelles, p. 42-43). Puis, elle les applique bijectivement aux deux rôles associant flamme alpha à chaser et flamme oméga à runner (Ibid., p. 60-61). D’autres auteurs rapatrient la distinction taoïste du yin et du yang, réinterprétées respectivement comme féminin sacré et masculin sacré), pour les attribuer d’une part au runner et d’autre part au chaser (cf., par exemple, l’affirmation nette de Marie Sahuguede, Les flammes jumelles, p. 20 ; et les développements plus nuancés de Daisy Bodin et Julie Bodin, Les flammes jumelles, p. 21-24)

[16] Cf. Cécile Cloulas, Amours et rencontres d’âmes, p. 101.

[17] Céline Tesnier, Flammes jumelles, p. 61.

[18] Cécile Cloulas, Amours et rencontres d’âmes, p. 103.

[19] Ibid., p. 106.

[20] Ibid., p. 113.

[21] Ibid., p. 108-109.

[22] Ibid., p. 116.

15.3.2024
 

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