Aujourd’hui, de plus en plus d’études montrent que la fatigue n’est pas qu’une question de sommeil.
1) Le fait
Une étude menée aux Pays-Bas par des chercheurs de l’université Radboud de Nimègue, sur pas moins de 20 000 personnes montre que 30 % se plaignent de fatigue constante auprès de leur médecin. Le chiffre est de 20 % aux Etats-Unis.
Or, cette fatigue intense qui touche la vie quotidienne diminue l’efficacité au travail, donc la production. Les employés américains estiment que le coût est supérieur à 100 millards de dollars.
Pour autant le phénomène est peu étudié : d’abord, parce qu’on le reconduit au manque de sommeil, considéré comme sa cause supposée (35 % des Américains sont en déprivation de sommeil) ; ensuite, parce que la fatigue est un phénomène subjectif difficile à évaluer ; enfin, parce qu’elle accompagne de nombreuses maladies, voire la vieillesse.
2) Les causes
Serait-ce que « la vie quotidienne est toujours plus épuisante » ? En effet, « nous sommes piégés entre les exigences contradictoires de notre travail et de notre famille, sans parler des messages constants de nos smartphones [1] ». Mais l’histoire montre que l’humanité s’est toujours plaint du rythme stressé de sa vie, regrettant la tranquillité du « bon vieux temps ».
Serait-ce le manque de sommeil ? Pas si sûr. Le diagnostic différentiel est fait par « le teste itératif de latence à l’endormissement » utilisé par les cliniques du sommeil. Si, s’allongeant pendant la journée dans un environnement calme, la personne s’endort en quelques minutes, elle est en manque de sommeil ou souffre d’un trouble du sommeil. Si, dans les mêmes conditions, alors qu’elle se dit fatiguée, la personne ne s’endort pas, c’est que son épuisement a une autre origine.
Une autre raison est l’absence d’exercices physiques. Le remède, même s’il est désagréable à entendre, est bien sûr l’exercice.
Une autre cause est le surpoids. En effet, non seulement la graisse alourdit et donc fatigue, mais elle secrète la leptine. Or, cette hormone signale la présence de réserves d’énergie suffisante. Mais cete réserve permet de survivre. Donc, nulle énergie ne doit être mobilisée pour en chercher. Aussi, et c’est ce que l’on observe, sa présence s’accompagne d’une sensation accrue de fatigue.
Un autre processus pourrait être en cause : l’inflammation. De fait, les personnes en surpoids ont des niveaux d’inflammation supérieurs à la moyenne. Toutefois, même en absence de surpoids, l’inflammation engendre une sensation de fatigue intense. Une explication pourrait être la suivante. Robert Dantzer et ses collègues du Centre médical MD Anderson de l’université du Texas ont constaté que l’inflammation s’accompagne, voire cause une altération de l’activité des réseaux fronto-striataux et du cortex cingulaire. Or, les premiers sont impliqués dans les prises de décisions motivées par la récompense, alors que le second est lié à la sensation physique de fatigue. Donc, l’inflammation diminuerait la motivation, accroîtrait l’indécision, en même temps qu’elle s’accompagnerait d’un ressenti d’épuisement [2].
L’article évoque aussi d’autres facteurs biologiques comme le faible taux de dopamine.
3) Relecture
L’article n’évoque pas les facteurs psychiques, voire spirituels, pour ne considérer que tout ce qui touche au plus près l’organisme. Plus encore, ces facteurs ne soient évoqués qu’à la faveur de la cause physique, l’inflammation, comme si celle-ci était en cause. Cette perspective est typique de l’option résolument matérialiste de la revue (et des articles qu’elle traduit).
Pour ma part, je m’interroge sur la nature symbolique de l’inflammation. Celle-ci est la réaction physiologique de défense à la présence d’un corps étranger ; or, dans un monde où le narcissisme est roi, c’est l’autre ou tout autre qui est considéré comme étranger. Dès lors, l’un de remèdes à la fatigue ne serait-il pas l’accueil du don qu’est l’autre, voire le pardon, et la gratitude qui me donne de reconnaître combien les autres sont des dons ? Ainsi s’expliquerait, pourquoi ces actes (don, pardon, gratitude) conjurent des risques potentiels d’inflammation et de fatigue.
Pascal Ide
[1] Emma Young, « Pourquoi la fatigue n’est pas qu’une question de sommeil », New Scientist, 15 octobre 2016 : trad. Jean-Clément Nau, La Recherche, 518 (décembre 2016), p. 68-73, ici p. 78.
[2] Cf. Robert Dantzer, Cobi Johanna Heijnen, Annemieke Kavelaars, Sophie Laye & Lucile Capuron, « The neuroimmune basis of fatigue », Trends in Neuroscience, 37 (2014) n° 1, p. 39-46.