Barbara Cartland, une certaine négation de la temporalité

Oui, vous avez bien lu ! Ce qui nous a décidé à faire allusion à la prolixe romancière bientôt nonagénaire est un critère numérique, à savoir le phénomène de société que représente son incroyable succès – qui n’a d’égale que son étonnante fécondité. Il lui vaut d’être présente dans le Livre Guinness des Records. En effet, à l’époque où j’écris ce mot, c’est-à-dire en 1990, Barbara Cartland vient d’achever son 500ème roman et a vendu plus de 250 millions d’exemplaires de ses différentes œuvres, soit 5 % de l’édition mondiale ! Nous n’en citerons aucun et nous nous contentons de renvoyer à la collection J’ai lu qui, disposant de l’exclusivité de l’édition française, en est actuellement à sa 293ème traduction !

Outre le genre romantique, le succès de ces romans me semble s’expliquer par une conception particulière de la temporalité. Plus précisément, les deux ingrédients philosophiques à la base du succès de ses œuvres me paraissent être les suivants : d’une part, une réduction de l’homme à sa vie affective, entre la brutalité de la passion sauvage et l’exigence spirituelle et volontaire ; d’autre part, une sorte d’immobilisation d’autant plus imperceptible que le roman se déroule dans un cadre temporel bien scandé. Expliquons maintenant la recette : mettez une passion au maximum de sa tension [1] ; puis, faites croire que c’est « pour toujours » ou « à jamais ». La fréquence de ces mots magiques est frappante. Après cela tout l’art de la romancière va être de bien proportionner ces ingrédients en veillant à ne pas lasser le lecteur. Et Barbara Cartland est douée non pas de génie mais d’une imagination créatrice hors du commun pour trouver les combinaisons gagnantes. [2] Or, la réalité est tout l’inverse de cette tension continuelle. Le paroxysme passionnel ne dure que le temps de la lecture du roman.

Que l’on nous comprenne bien : nous ne faisons nullement le procès de ce genre de roman. Au contraire, il est nécessaire de détendre l’animal en nous et il existe un bon imaginaire. La fantasia n’est pas que la folle du logis. Mais nous voulons seulement dire que ce genre de roman donne une image erronée du temps et que la personne qui ne nourrirait (et là malheureusement, ce n’est pas une exception, comme les chiffres en témoignent) son imagination que de Barbara Cartland court fort le risque de blesser son intelligence et son sens du réel. C’est pour cela que cette blessure attente à la volonté et à l’insertion vitale.

Pascal Ide

[1] On peut encore préciser en termes d’anthropologie thomiste : pour créer une tension rien de tel qu’une grande et belle passion concupiscible comme un amour bien entendu passionnel, portée à incandescence par un obstacle qui stimule l’irascible ; or, celui-ci accroît le désir et donc la passion, car il donne du prix à l’objet aimé.

[2] On peut encore préciser en termes d’anthropologie thomiste : pour créer une tension rien de tel qu’une grande et belle passion concupiscible comme un amour bien entendu passionnel, portée à incandescence par un obstacle qui stimule l’irascible ; or, celui-ci accroît le désir et donc la passion, car il donne du prix à l’objet aimé.

12.1.2023
 

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