La guérison de la belle-mère de Pierre rapporté par saint Marc (cf. Mc 1,29-31, ici v. 31) est décrite à partir de cinq verbes qui sont autant d’action rythmés par la dynamique ternaire du don. En effet, ainsi que l’on sait, celle-ci engrène trois actes : réception (don 1), appropriation (don 2) et donation (don 3).
Or, saint Marc fait se succèder cinq verbes dont Jésus est le sujet : 1. il s’approche ; 2. il la touche ; 3. il la fait se lever ; 4. la fièvre quitte la malade ; 5. elle les sert. La différence avec les deux autres synoptiques est signifiante et enrichissante. Matthieu décrit la scène en quatre verbes : 1. Jésus touche la main ; 2. la fièvre quitte la malade ; 3. elle se lève ; 4. elle les sert. Enfin, en saint Luc, on rencontre aussi cinq verbes (cf. Lc 4,39) : 1. Jésus se penche ; 2. il menace la fièvre ; 3. celle-ci quitte la malade ; 4. elle se lève ; 5. elle les sert. On notera que Matthieu simplifie en n’indiquant pas que Jésus s’approche ; d’autre part, la malade ne se lève que lorsque la fièvre la quitte, ce qui est complémentaire, plus qu’opposé à ce que dit Marc, ainsi qu’on va le voir. De son côté, Luc fait disparaître le toucher, ce que l’on pourrait regretter; en revanche, il ajoute un « se pencher », ce qui précise heureusement le geste de s’approcher et une parole à la fièvre, ce qui précise le geste du « toucher ».
Si je mixe les deux versions, marcienne et lucanienne, ce qui fera frémir les exégètes, j’obtiens donc un mouvement en sept temps : 1. Jésus s’approche ; 2. il se penche ; 3. et 4. il la touche et menace la fièvre (ou l’ordre contraire) ; 5. et 6. il la fait se lever et la fièvre quitte la malade (ou l’ordre contraire) ; 7. elle les sert. Or, cette série s’inscrit sans difficulté dans la valse du don qu’elle précise.
Les quatre premiers verbes décrivent le don 1 : celui-ci est un mouvement qui va du plus près au plus loin, du plus haut au plus bas, engage tout l’être, pieds, tronc, main et enfin parole. Main et parole sont les deux manières complémentaires par lesquelles Dieu s’approche au plus près et au plus bas.
Les deux verbes suivants décrivent le don 2 : être debout, c’est être soi-même, en face à face, ni soumis ni dominateur. La priorité donnée au redressement ou à la fièvre dit le rôle joué par chacune des causes, première et seconde, dans la guérison : si, comme en saint Marc, Jésus redresse le malade avant qu’il ne guérisse, le discours valorise symboliquement l’autonomie de la cause humaine ; si, comme en saint Matthieu et en saint Luc, le départ de la fièvre précède l’acte de se lever, c’est que, symboliquement, le propos valorise l’efficace de la Cause première, par la médiation du Christ.
Le septième verbe, enfin, décrit le don 3 : le fruit de la guérison n’est pas seulement la paix intérieure, la capacité de se tenir debout, mais le service qui est la forme du don de soi. Au don 1 gratuit de la guérison répond le don 3 tout aussi gratuit du service, comme par reconnaissance et surabondance.
Pascal Ide