« Demeurez en moi » (5e dimanche de Pâques, dimanche 2 mai 2021)

Comment est-il possible que la sève puisse monter jusqu’en haut des arbres et d’arbres parfois très élevés (certains séquoias culminent à plus de cent mètres) ? Dénué de tout cœur pour le pousser, comment ce sang de l’arbre qu’est la sève peut-il vaincre la pesanteur ? Les botanistes ont émis différentes hypothèses : la capillarité, l’osmose, etc., qui se sont toutes avérées insuffisantes. Jusqu’au jour assez récent où ils ont trouvé. Les feuilles des arbres possèdent de minuscules ouvertures, les stomates. Lorsque la sève qui en majorité composée d’eau arrive au sommet, le soleil la fait s’évaporer. Ainsi, le centre de l’arbre n’est pas en lui, comme chez l’animal, mais hors de lui. L’arbre est tout centré sur le soleil. Et c’est pour cela que, alors que l’animal s’horizontalise et se courbe vers la Terre, le végétal, lui, se dresse et se redresse vers le ciel.

Est-ce pour cela que Jésus fait plus appel au monde végétal qu’au monde animal dans ses paraboles ? Est-ce pour cela que, afin de faire mémoire de son sacrifice dans l’Eucharistie, afin de représenter son corps et son sang, il emploie le pain et le vin, c’est-à-dire des oblats qui, paradoxalement, sont non pas animaux, mais végétaux ?

En tout cas, cette brève leçon de botanique peut éclairer la parabole d’aujourd’hui, en particulier le sens d’une parole mystérieuse de Jésus : « Demeurez-en moi » (Jn 15,4). Elle fait écho à une parole de la deuxième lecture : « Celui qui garde ses commandements demeure en Dieu, et Dieu en lui » (1 Jn 3,23). Que veut donc dire cette parole sur laquelle Jésus insiste ? Qu’est-ce donc que demeurer en Jésus ? Comme l’arbre, comme la vigne, nous sommes appelés à vivre en étant tout centrés sur le Soleil qu’est Dieu, « Soleil de justice qui apportera la guérison dans son rayonnement » (Ma 3,20). Non pas seulement tournés vers la Terre comme notre part animale nous y pousse, mais orientés vers notre Orient, « l’astre d’en haut qui vient nous visiter » (Lc 1,78).

Croyons-nous vraiment que, en nous tournant vers Jésus, qu’en cessant de nous regarder, nous avons tout ?

Le bienheureux Columba Marmion (1858-1923) a écrit, voici trois-quarts de siècle, un livre qui a connu un grand succès et n’a rien perdu de son actualité. Son titre est à lui seul un programme : Le Christ, vie de l’âme. « La pierre de fondation, personne ne peut en poser d’autre que celle qui s’y trouve : Jésus Christ » (1 Co 3,11). Commentant cette parole de saint Paul, l’accompagnateur expérimenté qu’il fut fait cette observation sur « le changement qui s’opère parfois en certaines âmes. Pendant des années, elles ont vécu comme à l’étroit, souvent déprimées, presque jamais contentes, trouvant sans cesse de nouvelles difficultés dans la vie spirituelle. Puis, un jour, Dieu leur a fait la grâce de comprendre que le Christ est tout pour nous, qu’il est ‘l’Alpha et l’Oméga’ [Ap 22,13], qu’en dehors de lui, nous n’avons rien, qu’en lui nous avons tout, qu’il résume tout en lui. À partir de ce moment, tout s’est trouvé, pour ainsi dire, changé pour ces âmes ; leurs difficultés se sont évanouies comme les ombres de la nuit devant le soleil levant [1] ».

Le moine de l’abbaye de Maredsous fait d’ailleurs écho à une autre parole de Jésus dans l’évangile de ce jour : « Hors de moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15,5). La parole est forte : « rien faire », c’est-à-dire « faire rien ». Rien, en tout cas, qui porte du fruit, « beaucoup de fruit » (v. 8), un fruit durable.

 

Soyons plus concrets. « Comment cela peut-il se faire ? » (Lc 1,34)

Jésus ne dit pas seulement « Demeurez en moi », mais il ajoute : « comme moi en vous ». Il n’est pas seulement venu habiter chez nous, « en plantant sa tente » (Jn 1,12) parmi nous, en s’incarnant (v. 14). Mais il est venu habiter en nous. Or, comment Jésus demeure-t-il en nous ? Avant tout, par sa grâce qui n’est rien moins que sa vie divine (cf. 2 P 1,4). Nous, les sarments, nous avons été greffés sur la vigne le jour du baptême. De même que c’est une sève identique qui coule dans la vigne et les sarments, de même c’est une unique et identique vie divine qui coule en Jésus et en nous, dans le Fils unique et dans les fils par adoption (cf. Jn 1,12) !

Dieu demeure en nous aussi par sa Parole. « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure » (Jn 14,23). Pour demeurer en Jésus, il nous faut donc garder sa Parole. Les Juifs pieux multiplient les moyens pour se souvenir de la Loi. Suivant le conseil de l’Écriture, ils l’écrivent sur les montants de leur porte, la portent à leur poignet, etc. Nous avons volontiers des photos de ceux que nous aimons sur nos bureaux ou accrochés aux murs. Avons-nous, dans chacune des pièces de nos maisons des signes ou des paroles de Dieu qui nous rappellent sa présence ?

Dieu demeure également en nous quand nous le prions. C’est-à-dire quand nous nous tournons souvent vers lui dans la journée. Et cela viendra par l’entraînement et la mise en place de petites routines. Je connais un médecin à l’hôpital qui, lorsqu’il pose la main sur la poignée de la porte d’une nouvelle chambre, a pris le réflexe de se tourner vers Dieu qu’il vient rencontrer dans chacun de ses patients. Le roi Baudouin portait à son poignet une montre qui émettait un léger tintement toutes les heures, afin de lui rappeler discrètement de se tourner vers Dieu tout en écoutant ses innombrables visiteurs. « Toute cette vie de prière imprégnait la vie sociale et politique du Roi », commente l’aumônier du roi des Belges [2]. Après son décès, Fabiola a glissé le bracelet à son poignet et ne l’a plus jamais quitté.

Enfin, Dieu demeure en nous si cette grâce, cette merveilleuse sève, cette vie divine, qui, de Jésus, s’écoule en nous, nous en faisons bénéficier les autres. Par exemple, en priant et en offrant pour eux. Un jour, Jésus a montré à sainte Catherine de Sienne une âme dont elle avait obtenu le salut par sa prière et sa patience. « Voici que par toi j’ai recouvré cette âme déjà perdue », lui dit Jésus. Or, « la beauté de cette âme – explique son saint confesseur et biographe – était telle que nulle parole ne saurait l’exprimer ». Et il ajoute : « Ne te semble-t-elle pas bien gracieuse et bien belle ? Qui donc n’accepterait pas n’importe quelle peine pour gagner une créature si admirable ? […] Si je t’ai montré cette âme, c’est pour te rendre plus ardente à procurer le salut de tous et pour que tu entraînes les autres à cette œuvre, selon la grâce qui te sera donnée [3] ».

Nous sommes revenus à la parabole de l’arbre qui tire sa vie de son soleil. La beauté de cette âme qui rayonne de la grâce, la nôtre, celle pour laquelle nous prions, c’est celle même du Soleil divin en nous. « Demeurez en moi comme moi en vous ».

Pascal Ide

[1] Dom Columba Marmion, Le Christ vie de l’âme. Conférences spirituelles, Namur, Abbay de Maredsous et Paris, DDB, 1941, p. 36-37.

[2] Philippe Verhaegen, Une vie au souffle de l’Esprit. Entretiens avec Charles Delhez, Namur, Fidélité et Bruxelles, Éd. Racine, 21995, p. 154.

[3] Bienheureux Raymond de Capoue, Vie de Sainte Catherine de Sienne [Legenda maior] trad. Étienne Hugueny, Paris, Lethielleux, 1904, p. 161-163.

2.5.2021
 

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