Le mois dernier (mardi 5 et mercredi 6 janvier), la liturgie nous a donné à deux reprises de méditer sur le cœur brûlant de la foi chrétienne : « Dieu est amour » (1 Jn 4,8.16). Encore faut-il bien le comprendre. Chez saint Jean, comme dans le reste du Nouveau Testament, « Dieu » désigne non pas l’essence divine dans son indistinction, mais le Père. Certes, il ne s’agit pas d’affirmer que le Fils et l’Esprit-Saint ne sont pas amour, mais ils aiment différemment, ils vivent et sont l’amour selon des modalités qui leur sont personnelles (et qu’il serait bon de méditer une autre fois).
En l’occurrence, qu’est-ce que le Père me révèle du mystère de l’amour ? Voici comment la première épître explicite la formule (unique dans toute l’Écriture : « Dieu est amour ») : « Dieu [donc le Père] a envoyé son Fils unique dans le monde » (v. 9) ; et encore : « Voici en quoi consiste l’amour ». L’on s’attend à une définition, et voici ce qui suit : « Ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés » (v. 10), et un peu plus loin, l’Apôtre précise : « Dieu lui-même nous a aimés le premier » (v. 19). Ainsi, pour le Père, aimer, c’est prendre l’initiative, ce n’est pas attendre que nous l’aimions, mais, quoi qu’il en soit, se donner sans retard, sans retour et sans restriction.
Regardons, par comparaison, nos pauvres amours que nous croyons parfois être charité : « Avec tout ce que j’ai fait pour lui, il pourrait au moins faire un effort » ; « Je ne lui pardonnerai que lorsqu’elle fera un geste » ; « Je ne lui demande pas grand’chose, juste de me montrer qu’il m’aime » ; « Cette semaine, j’ai fait trois fois la vaisselle pour l’aider, alors que c’est elle qui doit le faire, et pas un merci ! ». Ces comptes d’apothicaire, cette logique du donnant-donnant, cette fermeture en cas de non-reconnaissance sont des logiques bien humaines et bien compréhensibles. Mais, justement, elles ne sont pas divines. Elles caractérisent l’éros, pas l’agapè.
Père, vous exagérez, vous demandez l’impossible : aimer comme Dieu ! Continuons à lire l’aigle de Patmos : « Voici comment nous reconnaissons que nous demeurons en lui et lui en nous: il nous a donné part à son Esprit » (v. 13). Assurément, prendre l’iniative sans attendre l’autre, toujours aimer sans exiger de retour, rechoisir chaque matin d’aimer son adolescent rebelle, son époux grognon, son épouse boudeuse, son collègue désagréable, son patron indifférent, son voisin bruyant, ses parents dans le reproche, etc., etc., cela dépasse nos forces. C’est même épuisant ! Sauf à puiser dans le cœur du Père qui « donne l’Esprit sans mesure » (Jn 3,34). « Sans mesure », quelle promesse extraordinaire ! Or, « l’amour de Dieu qui a été répandu en nos cœurs par l’Esprit qui a été donné » (Rm 5,5).
Esprit du Fils, viens en nos cœurs nous apprendre à aimer comme le Père nous aime ! Esprit du Fils, viens en nos cœurs nous apprendre à aimer comme le Père nous aime !
Pascal Ide