Annexe 2. Comment un événement passé peut-il préfigurer un événement à venir ?
Comment un événement passé peut-il préfigurer un événement à venir ? En effet, autant un phénomène cosmologique régulier est nécessaire, donc prévisible, autant un événement humain est contingent, donc imprédictible. Il est donc impossible de le connaître d’avance ; a fortiori de le faire surgir. Il n’est que trop évident que, lorsque Moïse a fait traverser au peuple hébreu la Mer rouge, il ignorait que cette expérience, si fondatrice soit-elle, anticipait la mort et la résurrection du Christ. Il en est de même du rédacteur de cet épisode dans le livre de l’Exode (Ex 14). Pourtant, nous avons dit que cet autre sens qu’est le sens allégorique (le mystère pascal) est réellement fondé sur le premier, le sens littéral et historique, de la sortie victorieuse d’Égypte, et lui donne toute sa profondeur de sens. Si ce n’était pas le cas, la distinction des sens historique et allégorique ne serait qu’un moyen pédagogique découvert par l’homme, une astucieuse grille de lecture plaquée a posteriori sur le texte. Ce qui est vrai de l’Ancien Testament, l’est aussi du Nouveau Testament ou du temps actuel de l’Église, donc des deux autres sens, tropologique et analogique. Quand Jésus raconte l’histoire de ce débiteur impitoyable, il ne nous raconte pas une triste histoire d’ingratitude, mais nous enjoint à pardonner à notre « frère du fond du cœur » (Mt 18,35). Quand Jésus parle de ce filet ramené par les pêcheurs qui trient « ce qu’il y a de bon et rejettent ce qui ne vaut rien » (Mt 13,48, il annonce bien « la fin du monde » où « les anges sépareront les méchants des justes » (v. 49).
Les quatre sens de l’Écriture sont fondés dans l’histoire et non pas seulement dans l’esprit de celui qui l’écrit. Or, Dieu seul est le maître de l’histoire. En effet, la foi l’assure, la raison le confirme [1], Dieu est infiniment sage, bienveillant et puissant. Ainsi, ce que l’homme ignore, à savoir la survenue d’un événement aussi inattendu que la résurrection du Christ, Dieu le sait, le veut et le peut. C’est grâce à lui que, à « la première Alliance, celle du mont Sinaï » succède la nouvelle Alliance dans le Christ (Lc 22,20). Par conséquent, la pluralité des sens de l’Écriture n’est pas une ingénieuse invention des hommes, mais la traduction dans le récit de ce que Dieu opère dans la réalité. Ces quatre sens sont donc simultanément présents dans tel passage ou, mieux, dans toute l’Écriture, parce qu’ils le sont successivement dans cette histoire mystérieusement conduite et rythmée par Dieu : c’est Dieu qui a disposé que l’histoire du peuple élu prépare et préfigure la venue de son Fils, et donc que tout l’Ancien Testament ouvre au Nouveau Testament. Il en est de même du temps actuel de l’Église et des temps derniers. Ainsi, l’histoire est sainte non seulement parce qu’elle parle de Dieu et conduit l’homme à Dieu, mais aussi parce qu’elle est conduite par Dieu, qui est saint.
Ajoutons que Dieu n’est pas seulement l’auteur de cette histoire qu’il conduit providentiellement ; il est aussi l’auteur du récit qui la relate. En effet, l’auteur sacré est inspiré, c’est-à-dire éclairé et assisté par l’Esprit-Saint : « Il a parlé par les prophètes », affirme le Credo contre les gnostiques qui séparaient l’Ancien et le Nouveau Testament.
Pascal Ide
[1] Cf. Rm 1,19-20 ; Sg 13,1-9.