Les foils et les dons du Saint-Esprit

La distinction entre les vertus (morales et théologales) et les dons du Saint-Esprit est l’une des plus fondamentales de la vie spirituelle, puisque c’est leur juste articulation qui rythme notre progrès selon les trois âges (commençants ou voie purgative, progressants ou voie illuminative, « parfaits » ou voie unitive) ou selon les différentes demeures (sainte Thérèse d’Avila).

En général, on l’illustre cette différence à partir d’une image qui vient des Pères, selon laquelle les vertus sont aux rames ce que les dons sont aux voiles :

 

« On compare ceux qui se conduisent par les dons du Saint Esprit à un navire qui vogue à pleines voiles, le vent en poupe ; et ceux qui se conduisent par les vertus, et non encore par les dons, à une chaloupe qu’on fait aller à force de rames, avec bien plus de travail et de bruit, et plus lentement [1] ».

 

Je souhaiterais actualiser cette métaphore à partir d’une récente découverte technique qui a révolutionné les sports de glisse sur l’eau : les foils. Ainsi qu’on le sait, tout l’art de la navigation consiste à évoluer à l’interface entre ces deux quasi-infinités fluides que sont l’air et l’eau, demandant au premier la puissance motrice et au second l’appui. Et toute la difficulté réside dans le fait d’extraire cette énergie à l’aérodynamique sans la céder à l’hydrodynamique. En effet, plus le bateau va vite, plus sa coque produit des vagues ; or, les vagues transportent elles aussi une énergie qui résiste à l’avancement. Telle est la raison principale pour laquelle voiliers (mais aussi les planches à voile) sont limités en leur vélocité.

Et si l’on arrivait à diminuer le volume immergé, c’est-à-dire à extraire la coque de l’eau ? C’est ce que font les dériveurs et les planches grâce au planing (ce qui signifie « rendre plat », plane, en anglais, d’où la présence d’un seul n !). Et si, mieux encore, le bateau sortait presque complètement de l’eau ? C’est ce que permettent les foils, ces appendices inspirés de l’aéronautique, ressemblant à des feuilles rigides, dont sont équipés maintenant les multicoques et même les monocoques : agissant comme des surfaces portantes, c’est-à-dire comme des ailes d’avion, ils hissent le bateau ou la planche totalement hors de l’eau et cela, même en remontant au vent. La conséquence en est que l’esquif n’engendre plus de vagues et que sa vitesse s’en trouve multipliée de manière spectaculaire, dépassant même celle du vent. Un exemple. L’actuel record de vitesse avec ces nouvelles structures est détenu par le voilier Vesta Sailrocket 2 qui a dépassé les 120 km/h sur 500 mètres en 2012, alors que, dans des conditions équivalentes, un voilier de croisière classique aurait atteint les 20 km/h. Plus de six fois plus vite…

Puisque le Souffle ou le Vent est l’autre nom de l’Esprit (dans la langue grecque, pneuma, comme dans la langue hébraïque, ruah), on peut donc dire que le voilier classique est au voilier à foil ce que la vie selon les vertus est à la vie selon les dons. On pourrait même ajouter l’état antérieur : le bateau sans voile (ni rame) qui fait du sur place et est agité par tous les courants correspond à la vie en friche, c’est-à-dire au régime de celui qui est dénué de vertus. Bon Vent !

Pascal Ide

[1] Louis Lallemant, Doctrine spirituelle, IV, chap. 3, a. 2, 2, coll. « Christus. Textes » n° 3, Paris, DDB, 21959, p. 188.

6.11.2024
 

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