L’art de la créativité selon Julia Cameron

L’ouvrage de Julia Cameron sur l’art de la créativité [1], n’est ni bien écrit, ni bien pensé, ni bien structuré. Mais ce livre, qui a plus de 40 ans d’âge (la première édition remonte à 1982), a aidé beaucoup de personnes et continue à le faire. Des amis chrétiens m’ont dit combien les exercices qu’il propose les avaient stimulés. Je soulignerai brièvement trois points.

 

Le premier concerne l’objet du livre. Comme souvent, le titre et, plus encore, le sous-titre américains sont plus précis que la traduction française : The Artist’s way. A Spiritual Path to Higher Creativity. Le titre parle du contenu (objet matériel) : « La voie de l’artiste ». En effet, la créativité, que jamais Julia Cameron ne définit, se déploie de la manière la plus patente chez l’artiste. Toutefois, elle ne saurait se réduire à l’inventivité de l’artiste. En fait, l’on pourrait sans dommage établir une équivalence entre ce qu’elle appelle créativité et imagination (entendue comme imagination non pas reproductrice, mais productrice).

Le sous-titre donne l’objet formel (la perspective) : « Un chemin spirituel vers une créativité supérieure ». Même si elle a beaucoup lu dans le domaine, ainsi que l’attestent les multiples citations (non référencées !!) en bas de page, Julia Cameron ne nous propose en rien un exposé (ou même un présupposé) théorique sur l’imaginaire. Son point de vue est immédiatement pratique : comment accroître notre créativité ? De fait, elle propose surtout deux exercices précieux, simples, mais exigeants : le premier, extérieur, est « les pages du matin » (écrire simplement trois pages, tous les matins, pendant douze semaines) [2] ; le second, intérieur, est « le rendez-vous avec l’artiste en soi » (passer deux heures hebdomadaires pour nourrir son enfant créatif) [3]. Il faudrait ajouter un troisième exercice, mal nommé : « Remplir le puits, peupler la mare », sur lequel nous reviendrons au terme.

 

Le deuxième point concerne l’existence de la créativité. Dans le sous-titre, Julia Cameron ne parle pas de rendre créatif ou de libérer la créativité, mais de l’augmenter (« Higher Creativity »). Sa conviction est donc que cette imagination créative est universelle : elle est présente en chaque personne. La question est donc de la reconnaître, puis de la cultiver. La raison en est anthropologique : l’imagination fait partie de l’équipement commun à toute personne humaine. Et le rappeler est encore plus important à un Français qu’à un Anglo-saxon. En effet, autant celui-ci bénéficie d’une tradition qui valorise l’imagination (et l’imaginaire : à propos, quelle est la nationalité des auteurs de Utopie, Le paradis perdu, Alice au pays des merveilles, Le Seigneur des anneaux, Les chroniques de Narnia, Harry Potter ?), autant celui-là le dénigre et, pire, le suspecte, depuis le Grand Siècle (de Descartes à Pascal en passant par Malebranche) jusqu’à notre époque (Bachelard qui nous a offert la plus belle méditation sur la portée symbolique des quatre éléments fut aussi le premier à totalement la séparer de leur vérité cosmologique ; Lévi-Strauss qui a grandement défendu les mythes fut aussi le premier à en dévitaliser le contenu merveilleux pour le réduire à une combinatoire de signes et à son efficacité symbolique). Donc, le livre de Julia Cameron ne peut qu’être salutaire. Aux douze effets bénéfiques qu’il détaille avec force petits exercices, sous le titre « Retrouver un sentiment… » (de sécurité, d’identité, de puissance, d’intégrité, de compassion, etc.), ajoutons que l’imagination aide la décision (donc la prudence) et la confiance (donc, l’espérance), et cela, pour la même raison : en ouvrant de nouveaux possibles.

 

Le troisième point concerne la dynamique sous-tendant l’ouvrage et sans doute son intuition la plus profonde : la créativité ou l’imagination n’est pas d’abord une initiative, mais une réponse. Autrement dit, il ne s’agit pas d’abord d’émettre ou de créer, mais de recevoir. Et Julia Cameron n’hésite pas à appeler la source de cette créativité qui n’est pas nous-même, « Dieu ». Depuis la page initiale consacrée aux remerciements qui se termine par cette phrase : « Je crois que le Grand Créateur nous conduit tous [4] », jusqu’à la dernière, l’annexe II, qui se présente comme « la prière d’un artiste » et commence par ces mots :

 

« Ô Grand Créateur

Nous sommes rassemblés en ton nom

Que nous puissions t’être du plus grand service

À toi et à nos compagnons

Nous nous offrons à vous comme des instruments [5] ».

 

Bien évidemment, l’identité de ce Dieu n’est pas plus définie que la créativité ! Et l’auteur va même jusqu’à affirmer qu’« il n’est pas forcément nécessaire de nommer ce dieu [avec minuscule]. […] Vous pouvez rester à tout jamais athée, agnostique [6] ». En revanche, il est pour elle important de ne pas d’abord chercher à inventer, mais à « établir un contact spirituel [7] », à s’éveiller spirituellement à ce « dieu de la Créativité [8] ». Et ce point est si décisif qu’il est développé dès le début de l’introduction.

Il n’a sans doute pas échappé au lecteur attentif que j’ai spontanément convoqué les catégories de la dynamique du don : réception et émission, c’est-à-dire donation. En fait, et c’est le dernier point que je soulignerai, Julia Cameron développe les trois moments de la dynamique ternaire : réception, appropriation et donation. Ils sont bijectivement reliés, et dans l’ordre, aux trois exercices : « Les pages du matin » ; « Le rendez-vous avec l’artiste en soi » ; « Remplir le puits, peupler la marre ». En effet, le premier apprend à recueillir ses intuitions créatrices dont nous nous croyons souvent si démuni. Le deuxième, dont nous avons dit qu’il est intérieur, fait plus précisément passer de l’extérieur à l’intérieur ; or, l’appropriation est une intériorisation. Enfin, le troisième semble revenir à la réceptivité à partir de la double image du puits et de la marre. En réalité, ce remplissage n’a pas d’autre finalité que le débordement, c’est-à-dire la mise en œuvre de la créativité. Mais, en retour, si nous donnons beaucoup, il convient de veiller à notre « écosystème artistique. Si nous ne restons pas vigilants, notre puits peut se dépeupler, stagner ou s’obstruer [9] ».

Pascal Ide

[1] Julia Cameron, Libérez votre créativité. Osez dire oui à la vie !, éd. Aline Apostolska, trad. Chantal Duchêne-Gonzalez, coll. « Grand-angle : psycho-épanouissement », Saint-Jean-de-Braye, Dangles, 1994 : Paris, J’ai lu, 2021.

[2] Ibid., p. 31-46.

[3] Ibid., p. 46-51.

[4] Ibid., p. 7.

[5] Ibid., p. 334.

[6] Ibid., p. 11.

[7] Ibid., p. 12.

[8] Ibid., p. 15.

[9] Ibid., p. 52.

16.10.2024
 

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