Le bleu de l’eau, couleur de l’infini

« Le décalage vers le bleu peut bel et bien être infini lui aussi [1] ».

 

Une molécule d’eau, comme tout atome et toute molécule, effectue sans cesse des mouvements qui sont cadencés autour d’une position moyenne – autrement dit sont animés par des vibrations. Précisément, elle vibre en fonction du jeu des atomes O et H : disposés aux sommets d’un triangle isocèle, ils s’écartent rythmiquement l’un de l’autre et reviennent l’un vers l’autre. Or, ces deux mouvements peuvent avoir lieu en phase ou en consonance, c’est-à-dire ensemble, ou bien en opposition de phase ou en dissonance, c’est-à-dire alternativement. Donc double est la vibration de l’eau : symétrique et antisymétrique.

Cette vibration n’est pas spontanée. Elle naît d’une cause efficiente, donc extérieure, qui excite l’eau. Précisément, double est la cause de l’excitation : la chaleur et la lumière. La chaleur se diffuse à toute l’eau, d’où l’agitation rythmique. La lumière met les molécules de l’eau en résonance. Il y a résonance lorsque deux oscillateurs battent à la même fréquence et échangent de l’énergie ; or, c’est ce qui se passe pour l’eau.

L’explication de la couleur bleue de l’eau est particulière. Cette coloration est de prime abord problématique. En effet, la lumière est une vibration. Or, l’énergie apportée par la lumière ne peut se convertir en oscillation, faire entrer la molécule d’eau en résonance, que s’il y a un quadruple micropaquet (ou quantum). Mais quatre grains de lumière produisent une absorption dont la longueur d’onde est d’environ 700 nanomètres la seule structure de l’eau ne suffit pas à en rendre compte.

Pour résoudre la difficulté, il faut se rappeler que chaque molécule d’eau est constamment et toujours en corrélation avec les molécules de voisinage par la médiation des liaisons hydrogène. Or, celles-ci abaissent l’énergie des molécules d’eau. Or, une baisse d’énergie équivaut à une diminution de la fréquence, donc à une augmentation de la longueur d’onde. Par conséquent, l’énergie absorbée empruntée à la lumière donne une énergie de 760 nanomètres. En termes qualitatifs, le Soleil offre une lumière blanche ; l’eau absorbe la partie rouge ; or, ôter le rouge au blanc, il demeure le beau ; voilà pourquoi l’eau nous apparaît bleue. [2]

La chromie, selon l’intuition de Hans André, manifeste sinon l’essence, du moins une propriété essentielle du corps coloré [3]. Dans le vocabulaire de l’ontophanie, elle est l’apparition (Erscheinung) révélatrice de son fond (Grund) [4]. Ici, la couleur bleue révèle la structure essentiellement collective, sociale, grégaire, congrégationniste, de l’eau. Et puisque cette puissance d’interconnexion est sans limite, le bleu de l’eau est en quelque sorte révélateur de cet appel de l’infini.

Pascal Ide

[1] Roland Lehoucq, « Postface : vers Beta Virginis, sous tau zéro », Poul Anderson, Tau zéro, trad. Jean-Daniel Brèque, Paris, Le Bélial’, 2012, p. 341-343. Cf. Ibid., p. 81-82.

[2] Pour le détail de la démonstration, cf. l’exposé vulgarisé dans Pierre Laszlo, Pourquoi la mer est-elle bleue ?, coll. « Les Petites Pommes du Savoir », Paris, Le Pommier, 2003, notamment p. 44-54.

[3] Cf. Gustav Siewerth, La philosophie de la vie de Hans André, trad. Emmanuel Tourpe, introduction et commentaire de Pascal Ide, Paris, DDB, 2015, chap. 12.

[4] Cf. Pascal Ide, Être et mystère. La philosophie de Hans Urs von Balthasar, coll. « Présences » n° 13, Namur, Culture et vérité, 1995, chap. 1.

7.5.2024
 

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