Dans une précédente méditation, nous avons passé en revue « Les trois raisons de la détente ». Voyons maintenant les critères d’une détente digne de ce nom.
Une théorie psychologique dite de la restauration de l’attention (attention restoration theory) s’est penchée sur le coût lié aux efforts excessifs d’attention, la fatigue mentale engendrée par des focalisations trop intenses ou trop prolongées [1]. Et ce qu’elle dit de l’attention en particulier peut aisément s’étendre, sans jeu de mots, à toutes les difficultés engendrées par les trop grandes tensions, autrement dit les stress. Or, cette théorie s’est aussi intéressée aux critères de réparation de l’attention, donc de nos tensions en général. En l’occurrence, elle estime qu’un environnement restaure cette attention (et donc diminue le stress de la tension) s’il répond à quatre critères : being away, c’est-à-dire « évasion » (littéralement « être loin ») ; extent, c’est-à-dire « étendue » ; fascination, c’est-à-dire « fascination » ; compatibility, c’est-à-dire « compatibilité ». Passons-les brièvement en revue :
- L’évasion s’identifie à l’expérience d’être ailleurs, encore plus que d’être loin. Autrement dit, la première condition pour vivre une véritable détente est de s’écarter psychiquement de ce quotidien, privé ou professionnel, qui est source de tension. Puisque nous sommes un de corps et d’âme, il n’y a donc d’évasion psychique que s’il y a une prise de distance physique. Les études sur le burn-out des prêtres ne parlent-elles pas du « bed-in-church-syndrom» ?!
- Ce terme intriguant d’étendue correspond en fait à deux propriétés convergentes : l’envergure, c’est-à-dire une extension suffisante pour que l’espace soit accessible [2]; la cohérence, c’est-à-dire un environnement facile d’accès. En effet, nous avons vu que le stress, l’effort soutenu est source de tension. Or, tout au contraire, un milieu vaste et cohérent ne demande aucun effort.
- La fascination caractérise une attention sans nul effort de volonté. Elle est une des caractéristiques du flow que nous étudions par ailleurs. C’est ce dont nous faisons par exemple l’expérience quand nous sommes en présence d’un élément naturel (caresser un chat, écouter le bruit du vent, marcher en forêt, contempler un beau paysage). La raison est là encore l’absence de tension qui remédie à la fatigue psychique ou à la charge mentale qui appellent le besoin de détente. Mais, autant l’étendue caractérise l’environnement, autant la fascination concerne l’activité. En effet, la précédente méditation sur les besoins de détente nous avait donné un précieux critère : l’absence d’activité repose, mais c’est une autre activité qui détend. Cette nouvelle activité étant le cœur de la détente, des quatre critères, c’est la fascination qui est le facteur essentiel.
- La compatibilité est la proportion ou l’ajustement entre l’environnement et la détente, c’est-à-dire entre l’activité de détente et l’effet visé qu’est celle-ci. C’est ainsi que, même si la nature est un des moyens les plus efficaces pour restaurer le bien-être (donc réduire le stress) ou pour en instaurer un encore plus grand, cela n’est pas vrai pour un garde forestier ou toute personne travaillant dans un environnement naturel [3]. De même, certaines communautés religieuses ou autres imposent à leurs membres un moment hebdomadaire de sortie ensemble autoproclamé moment de détente. En réalité, certains se détendent dans le groupe (saint Jean-Paul II), d’autres en tête-à-tête (saint Paul VI, semble-t-il), d’autres enfin en solitaire (Benoît XVI).
Observant que ses apôtres « n’avaient pas même le temps de manger », autrement dit étaient débordés par l’urgence pastorale, Jésus leur dit : « Vous autres, venez à l’écart dans un lieu désert et reposez-vous un peu » (Mc 6,30-31). Être « à l’écart » correspond au premier critère, « dans un lieu désert » au deuxième, « reposez-vous » au troisième et « un peu » au quatrième.
L’on pourrait observer que ces quatre critères prennent en compte surtout la détente psychique et ne disent rien du troisième besoin, celui du sens. La prochaine méditation, relative aux fruits de la détente, le prendra en compte.
Pascal Ide
[1] Cf. Rachel Kaplan & Stephen Kaplan, The experience of nature: A psychological perspective, New York, Cambridge University Press, 1989 ; Stephen Kaplan, « The restorative benefits of nature. Toward an integrative framework », Journal of Environmental Psychology, 15 (1995) n° 3, p. 169-182.
[2] Cf. Stephen Kaplan, « A model of person-environment compatibility », Environment and Behavior, 15 (1993) n° 3, p. 311-332.
[3] Cf. Eike von Lindern, Nicole Bauer, Jacqueline Frick, Marcel Hunziker & Terry Hartig, « Occupational engagement as a constraint on restoration during leisure time in forest settings », Landscape and Urban Planning, 118 (2013), p. 90-97.