Puissance de la gratitude : analyse de film chapitre 1

Chapitre 1 : Les pépites

Les pépites, documentaire français de Xavier de Lauzanne, 2016. Avec Christian et Marie-France des Pallières.

Une fois n’est pas coutume, nous présentons non pas une fiction, mais un documentaire ; non pas une scène, mais un film entier.

  1. a) Résumé de l’histoire

Ce documentaire prenant comme une fiction s’ouvre sur une étonnante critique de La chèvre de monsieur Seguin que Christian des Pallières juge antipédagogique : elle enseigne aux enfants le conformisme au lieu de la liberté ou, plus encore, de l’écoute de leurs rêves. Cette parabole sur une parabole devient le symbole du film. Assez tôt, Christian (disparu le 24 septembre dernier) et son épouse Marie-France et leurs enfants quittent leur château familial en Normandie, pour visiter le monde dans un camping-car. Mais ce rêve n’a rien d’une fantaisie gentiment anarchiste. En réalité, il s’agit de se mettre à l’écoute plus que de leurs rêves, de leurs aspirations profondes. En effet, lorsqu’ils découvrent la décharge à ciel ouvert de Phnom Penh, où des milliers d’enfants survivent dans des conditions innommables, les deux Français comprennent qu’ils doivent intervenir. Ils se lancent alors dans une aventure et un combat dont ils ne savent pas qu’ils vont les conduire, 25 ans plus tard, à littéralement sauver 10.000 enfants. Ils créent l’ONG Pour un sourire d’enfant (PSE), qui requiert que, chaque année, une tournée en camping-car récolte dons et parrainages.

  1. b) Commentaire du film

Les pépites, ce sont d’abord les improbables et pauvres trésors que les regards éperdus de ces centaines d’enfants en loque, de 6 à 15 ans, guettent dans cet immense terrain d’ordures fumantes, nauséabondes et infestées de mouches. Au péril de leur santé (ils sont couverts de plaies infectées et s’enfoncent dans les ordures jusqu’aux genoux, parfois pieds nus), de leur intégrité (parfois, leur voisin leur transperce la main de leur pique pour leur voler un bout de plastique, de carton, de métal) et même de leur vie (les camions-bennes peuvent les ensevelir sous les tonnes de détritus), ils cherchent d’abord de quoi manger (ils se nourrissent à peine une fois par jour) et faire vivre leur famille.

Les pépites, beaucoup et même infiniment plus, ce sont les sourires de ces enfants qui ont retrouvé leur légèreté et sautent, virevoltants, sur l’affiche. Mais ces pépites sont autrement cachées : il a fallu les chercher derrière la crasse, les cicatrices mal refermées, la crainte, voire la méfiance et la violence. Surtout, il a fallu en découvrir et en comprendre l’histoire douloureuse, qui est celle de tout un pays crucifié. C’est très progressivement que Christian et Marie-France comprennent le non-dit terrifiant du peuple de chiffonniers : si les parents abandonnent ainsi leurs enfants dans cette décharge, c’est parce qu’ils ont eux-même été détruits par une des pires tyrannies du xxe siècle, le régime Khmer rouge qui avait assassiné 70 % de ses instituteurs. Leur seule solution fut de se réfugier dans l’alcool et la violence.

Mais ces pépites, nous ne les aurions pas découvertes, s’il n’y avait ces deux merveilles que sont Christian et Marie-France. Peut-être certains seront-ils tentés d’expliquer (ou plutôt de déconstruire) leur motivation à partir de leur histoire : après avoir vu le château de famille en flamme, Christian voit s’écrouler toute stabilité et s’acharnera à en donner une à ses jeunes. Mais la blessure n’est jamais féconde par elle-même, elle ne peut que révéler et stimuler l’amour, pas le créer. Or, le moteur des Pallières, c’est d’abord et avant tout l’amour et l’amour de compassion : les larmes qui coulent sur les visages d’enfants et, parfois plus encore, des adultes qui se souviennent de leurs souffrances, deviennent leurs propres pleurs. Mais osons le dire, plus que le film, le moteur enfoui comme une pépite, l’âme brûlante de leur action si éclairée, si humble et si efficace, c’est la charité du Christ : Marie-France porte une croix ; au moment du départ, leurs parents les bénissent en les signant ; tous deux faisaient partie des équipes Notre-Dame. « La charité de Christ nous presse », écrivait saint Paul aux Corinthiens (2 Co 5,14). De fait, Christian et Marie-France font preuve de cette charité dont le même Apôtre (1 Co 13,4) dit qu’elle rend service et prend patience : ils avancent pas à pas (être avec, puis nourrir, enfin éduquer).

Pourtant, les plus belles pépites ne sont peut-être pas là. Ne serait-ce pas les fruits portés par ceux que tous les enfants appellent « Papy » et « Mamy » avec affection et sans fusion (les Pallières ont refusé que les enfants les appellent « Papa » et « Maman », car ils en avaient) ? Leur but est de s’effacer pour que l’organisation vive pour et par les Cambodgiens. Aujourd’hui Leakhéna, 30 ans, qui affirme « Je suis née avec PSE », est à la tête de son équipe sociale. La leçon, pour moi, la plus belle de ce documentaire si émouvant, mais surtout si dynamisant, est que l’héroïsme le plus grand, c’est-à-dire le plus fécond, le plus durable et le plus transformant, est aussi, paradoxalement, le plus accessible, le plus universel. Le don le plus communicatif est le plus commun. Si tout le monde ne peut inventer la mécanique comme Newton ou composer le Don Juan de Mozart, par contre chacun peut aimer comme Christian et Marie-France, d’un amour aussi affectif qu’effectif.

 

L’importance du décalage évalué par Allociné est aussi rare que significatif : alors que 19 critiques de la presse notent le film à 3,4 (sur 5), 441 critiques des spectateurs affichent une note de 4,8 (toujours sur 5). Comme souvent, le jugement du public, ne serait-ce qu’à cause du nombre, présente une tendance anthropologique lourde. Ici, il reflète le poids que les Français accordent au don de soi.

Pascal Ide

5.10.2020
 

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