Le scaphandre et le papillon

Pascal Ide, « Le scaphandre et le papillon », Il est vivant ! (2007).

Brutalement victime d’une paralysie d’origine inexplicable, Jean-Dominique Bauby s’effondre à 42 ans, ne pouvant plus communiquer avec le monde extérieur que par les battements de sa paupière gauche. Il mourra quinze mois plus tard, le 9 mars 1997, dix jours après avoir achevé de dicter un ouvrage autobiographique, Le scaphandre et le papillon. On a salué le courage inouï de l’entreprise ; l’on a moins vu le courage d’être, le cheminement intérieur – que le film restitue, dépassant le livre tout en lui demeurant fidèle.

L’image du scaphandre (mieux que le terme médical locked-in syndrome qui signifie, de manière erronée, « enfermé en soi ») décrit assez bien l’état du patient : il ne peut recevoir que par deux sens, eux-mêmes amputés, la vue et l’ouïe ; sa communication est limitée à quelques mouvements ; enfin et surtout, sa voix, que lui seul entend, prend une place immense – et avec elle tout son univers intérieur. Et là est la première chance de la maladie : développer l’intériorité de cet homme, très people, rédacteur en chef de Elle, dont la vie fuyait – vers l’avant et tout court. Une chance lui est donnée de développer sa mémoire et son imagination – le papillon.

Mais cette seconde image, elle, manque l’essentiel. Car la véritable ouverture ne tourne ni vers le passé (faire mémoire) ni vers le futur (créer), mais vers le présent. Par la double apérité de l’œil et de l’oreille, le journaliste de l’apparence trompeuse accède enfin au présent (don) du présent (actualité). La pathologie entraîne la régression, une paralysie totale entraîne une régression maximale. Totalement dépendant, il redécouvre ses besoins les plus élémentaires. Et le premier d’entre eux est celui d’être aimé. Comment ne pas être touché par la douceur si patiente et si délicate des multiples femmes qui se dévouent à son service (sans oublier la maladresse touchante du neurologue) ? C’est seulement à partir de cet amour qui joint l’effectif à l’affectif que le papillon de l’imagination peut s’envoler et le rendre fécond. Les pleurs de l’orthophoniste quand il avoue vouloir mourir le rejoignent plus que la compassion trop distanciée du « Je prie pour toi », lui dont la foi se nourrit de la seule représentation caricaturale de Lourdes réduite à ses marchands.

Mais, plus encore, ce don gratuit lui octroie la force de relire son existence et d’enfin la comprendre. Une phrase résume sa prise de conscience, voire déchiffre la symbolique si éloquente de sa maladie : « Aujourd’hui, il me semble que mon existence a été un enchaînement de petits ratages : […] les instants de bonheur qu’on a laissé s’envoler. étais-je aveugle et sourd, ou fallait-il nécessaire la lumière d’un malheur pour m’éclairer sur ma vraie nature ? » Celui qui n’est plus qu’œil et oreille sort enfin de la cécité et de la surdité.

La maladie grave est une diminution, parfois tragique, des capacités ; traversée, elle fait entrer dans de nouveaux possibles. Dès lors, la vie de Jean-Do cesse de ressembler au Perito Moreno s’effondrant par pans entiers dans l’eau glacée pour se relever : le sens (signification) de l’histoire enfin reconnu ouvre à un sens (direction) plein de reconnaissance.

Pascal Ide

27.1.2018
 

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