Le corps humain en christianisme

Pascal Ide, « Christianisme », Dictionnaire du corps, sous la dir. de Michela Marzano, coll. « Quadrige », Paris, PUF, 2007, p. 197-200.

Art. « Corps »

Le corps (c.) humain est au centre de la révélation biblique (cf. art. « C. dans la Bible »), donc chrétienne. Le Christ est le Verbe de Dieu fait chair (Jn 1,14), Dieu qui se rend vi­sible, audible, touchable (1 Jn 1,1) car « en lui habite corporellement la Plénitude de la di­vinité » (Col 2,9). Le c. est omniprésent dans la foi chrétienne, depuis la création – Dieu « a fa­çonné l’homme de ses mains sacrées » (Clément de Rome, Ép. aux Cor., 33,4) – jusqu’à l’eschatologie – « nous attendons la résurrection des morts » (Symbole de Constantinople, 381) –, en passant par la venue de Dieu dans la chair – « L’Incarnation change tout » (Merleau-Ponty, Sens et non-sens, 1966, p. 310) – et l’Eucharistie, Corps du Christ qui fait croître le Corps de l’Église, comme l’atteste l’évolution du terme corpus mysticum (Lubac).

1. Histoire…

  1. Les Pères Apostoliques puis Apologètes (notamment Justin, Irénée et Tertullien) ont clairement affirmé contre la gnose, que le c. est bon et contre le panthéisme, que l’âme humaine n’était pas divine. Digne d’être sauvé, le c. est même, par l’Incarnation du Fils, porteur de salut : « Caro, salutis cardo » (Tertullien, De res. carnis, VIII, 2) –, cette valorisation du c. n’entraînant jamais une minimisation du principe spirituel.
  2. Très tôt, les Pères, puis les Docteurs médiévaux vont entrer dans un dialogue fécond avec diverses conceptions philosophiques de l’homme, donc du c., et d’abord, pendant de longs siècles, avec celles du platonisme et du néoplatonisme. Si l’on excepte le cas d’Ori­gène qui identifie presque l’homme à l’âme, les Pères grecs (Clément d’Alexandrie, les Cappadociens) ou latins (Ambroise, Augustin) accordent une dignité plus grande à l’âme sans pourtant mépriser le c. En particulier, Augustin affirme que « l’homme n’est ni le c. ni l’âme seuls, mais le composé » dont l’âme est la « partie la meilleure » (De Civ. Dei, XIII, 24, 1) ; aussi seule est-elle à l’image de Dieu, alors que le c. n’en est qu’un vestigium, une trace (De Trin., XII, 4, 4).
  3. Grâce à la troisième entrée d’Aristote au Moyen-Âge et de la traduction latine de son œuvre de maturité, le De anima, la grande scolastique, notamment en la personne de Thomas d’Aquin, trouve les instruments conceptuels pour penser une réponse équilibrée au monopsychisme averroïste, aux apories dualistes et à l’hypothèse d’une pluralité des formes, réponse que, malgré les correctifs de la foi, le platonisme ne pouvait totalement offrir. En effet, pour l’Aquinate, l’homme est duel – c. et âme –, mais un – bien que spiri­tuelle, l’âme est à la fois cause formelle ou acte du c. versus la seule cause efficiente et partie substan­tielle de la personne avec le c. versus la substance complète. Cinq consé­quences signa­lent cette unité et la dignité du c. : sa configuration, notamment verticale et complexe (la multiplicité des organes s’adapte aux multiples puissances de l’âme) ; la nécessaire conversio ad phantasmata et l’impossible transparence de l’âme à elle-même ; l’imperfec­tion de la connaissance que l’âme séparée a des créatures ; l’impossibilité pour l’âme d’agir sans son c. (absurdité de la télépathie au sens propre) ; l’âme seule n’est pas per­sonne.
  4. Il faut attendre le xxesiècle pour qu’apparaisse une réflexion théologique véritablement neuve. Deux exemples. Dans un important article, le théologien jésuite allemand Karl Rahner (1904-1985) essaie de penser de manière nou­velle l’unité c.-âme à partir du sym­bole : « Le c. est le symbole de l’âme pour autant qu’il est formé comme l’auto-actuation de l’âme […] et que l’âme […] se « manifeste » dans le c. différent d’elle ». Par ailleurs, Rahner précise que les parties du c., singulièrement le cœur, sont symboliques, de la totalité du c. et donc de la personne, ce qui permet de fonder une théologie du Sacré-Cœur du Christ (« Zur Theologie des Symbols », Schriften IV, p. 51-91).

Pour le théologien suisse Hans Urs von Balthasar (1905-1988), l’évidence subjective de la foi qui est vision et expérience s’éveille face à l’évidence objective de la figure visible du Christ crucifié, par laquelle le fond de l’amour trinitaire se révèle (Herrlichkeit, I, ch. 2-5). Dans son « anthropologie dramatique », l’homme est esprit et c. (Theodramatik, II.1, p. 325-334), mais cette tension ne trouve son unité que dans le Christ (Ibid., p. 376-380). Or, à l’heure des ténèbres qui est aussi celle de la gloire de l’amour, le c. du Christ est livré ; celui-ci révèle donc la pleine signification de la corporéité qui est « le don de soi » (Theodramatik, IV, p. 437-442). Et l’Esprit que le Christ exhale à sa mort universalise et intériorise cette œuvre dans le cœur de tout croyant, de sorte que, si spirituelle soit-elle, l’Église exige toujours une corporéité parfaite (Theologik, III, p. 269-273).

C’est peut-être plus encore chez des auteurs chrétiens comme Charles Péguy ou Paul Claudel que se rencontre une théologie du c. qui, raciné et inséré dans le cosmos, lui re­donne toute sa dignité et renoue avec l’origine (Irénée).

2. … et dogme

Le Magistère de l’Église catholique qui stabilise la foi en des dogmes épouse le mouve­ment historique que l’on vient d’esquisser.

En un premier temps, les affirmations anthropologiques contenues dans le dogme sont liées à l’identité du Christ : il est « vraiment Dieu et vraiment homme, composé d’une âme rationnelle et d’un c. » (DS, 301), affirme le concile de Chalcédoine (451), après le concile d’Éphèse de 431 et l’Acte d’union de 433. Le concile de Constantinople IV (870) reprend la distinction tripartite esprit, âme, c. (cf. 1 Th 5,23), pour préciser qu’elle n’introduit pas de dualité dans l’âme (DS 657).

Au Moyen-Âge, le concile de Vienne (1311-1312) adopte aussi la perspective christolo­gique (DS, 900) mais pour l’appliquer à tout homme ; il ajoute une précision d’importance sur la relation entre le c. et l’âme (DS, 902) qui est reprise en forme positive, contre l’aver­roïsme de Pierre Pomponazzi, au concile de Latran V (1513) : « l’âme est vraiment par elle-même et essentiellement (per se et essentialiter) la forme du c. humain » (DS, 1440).

Le concile Vatican II, dans la Constitution Gaudium et spes (1965), conjugue les formula­tions à saveur plus philosophique – l’homme est « un de c. et d’âme » (14 ; DS, 4507) – avec la veine patristique qui envisage l’homme total à partir du Christ. Citant ce dernier pas­sage, le Catéchisme de l’Église catholique [CEC] (1992) ose même cette affirmation : « le c. de l’homme participe à la dignité de l’‘image de Dieu’ ». Et cette dignité tient à la fois à sa réa­lité créée – « il est c. précisément parce qu’il est animé par l’âme spirituelle » – et au don de la grâce – « c’est la personne humaine toute entière qui est destinée à devenir, dans le Corps du Christ, le Temple de l’Esprit » (364).

Alors que les propositions précédentes demeurent brèves et conjoncturelles, Jean-Paul II a laissé un vaste exposé de 129 catéchèses sur le c. Elles entrelacent analyses bibliques, théologiques et philosophiques, approches métaphysique (le c. informé par l’âme), her­méneutique-narrative (le c. approprié dans une histoire à travers la parole proférée sur lui et par lui) et phénoménologique (le c. expression de la personne), perspectives statique (nature du c.) et historique (devenir du c. dans l’histoire du salut : c. créé, après la chute, racheté et glorifié), points de vue anthropologique, éthique (notamment en proposant une nouvelle approche de la sexualité) et même esthétique. Ces enseignements, prononcés entre 1979 et 1984, vrillent autour d’une intuition centrale (Ide, 2004) : la corporéité hu­maine présente une « signification sponsale » : « la conscience de la signification […] « spon­sale » [du c.] constitue l’élément fondamental de l’existence humaine. » (16-I-1980, 5). Cette proposi­tion se subdivise en deux : 1. le c. se comprend comme signe – témoin, expres­sion, voire « sacrement » – et signe de l’intériorité, de l’âme et, partant, de la personne ; 2. comme celle-ci ne se trouve qu’en se donnant (Gaudium et spes, 24, § 3), le c. est, dans sa vocation la plus profonde, appelé à exprimer l’amour de don : c’est ce que signifie l’adjectif « spon­sal » qui, dans le vocabulaire de Jean-Paul II, ne se réduit pas à « conjugal » ou à « nuptial », mais désigne le don de soi et sa visée, la communion des personnes.

3. Détermination

La sponsalité, c’est-à-dire le don, constitue désormais le centre d’une théologie biblique et chrétienne du c. Elle se déchiffre, de manière imagée, dans le récit de « l’origine » (Mt 19,4) car celle-ci « appartient […] à une anthropologie adéquate » (9-I-1980, 3).

  1. Le récit de la création invite d’abord à comprendre le c. comme un don reçu. En effet, l’homme est créé par Dieu (Gn 1,27) ; or, la création est un don gratuit par lequel Dieu ap­pelle l’être du néant, librement et par amour ; l’homme n’est (naît) donc que d’être aimé. Puisque le c. exprime la personne, « voici ce qu’est le c. : un témoin de la création » (9-I-1980, 4). Par conséquent, le c. exprime le don originaire, il dit que tout homme naît d’un amour qui le précède. Le c. de l’homme fut « modelé » par Dieu même (Gn 2,7) : « Quant à l’homme, c’est de ses propres mains que Dieu le modela en pre­nant, de la terre, ce qu’elle avait de plus pur et de plus fin et en mélangeant, dans la me­sure qui convenait, sa puis­sance avec la terre » (Irénée, Dém., 11). Dans le toucher s’exprime, de manière symbo­lique, l’amour divin qui se donne avec « mesure ».

D’autre part, le c. de l’homme se reçoit de la rencontre avec autrui, précisément de la per­sonne de l’autre sexe : « Elle est os de mes os et chair de ma chair », s’exclame Adam à la vue (qui est venue) d’Ève (Gn 2,23). Dans un langage là encore poétique est expri­mée une vérité décisive sur le c. : c’est à travers la parole émerveillée de l’autre que le c. dé­couvre sa valeur propre.

  1. Le récit originel considère aussi le c. à partir de sa finalité : le don de soi. En effet, la nudité génésiaque présente une signification no­tamment interpersonnelle. Le premier homme et la première femme sont « l’un devant l’autre » (Gn 2,25) ; ce qui suppose une re­lation qui passe par le regard. Or ce regard voit la nudité physique, mais, plus profondé­ment, participe au regard de Dieu qui affirme que tout ce qu’il fait est « bon » et même « très bon » (Gn 1,31). Dans ce regard intérieur, l’homme et la femme découvrent leur valeur mu­tuelle, expérimentent leur complémentarité masculin-féminin ; dès lors, leur apparaît la si­gnification profonde de leur c., se donner : « du fait de la féminité et de la masculinité, ils deviennent mutuellement don de l’un à l’autre » (2-I-1980, 1) ; et ce don réciproque est communion. Ainsi, « la signification originaire, fonda­mentale du fait d’être c. et, de même du fait d’être, quant au c., homme et femme – c’est-à-dire précisément cette signification sponsale – est unie au fait que l’homme se trouve créé comme personne et appelé à la vie in communione personarum » (13-I-1982, 4).
  2. Enfin le c. dit le don car il est donné à, car l’homme s’approprie la signification sponsale en conscience et liberté. Par la nudité sans honte (Gn 2,25), le c. révèle sa vérité et l’ab­sence de contrainte : dans cette innocence originelle, l’homme et la femme « avaient réci­proquement conscience de la signification sponsale de leurs c. qui exprime la liberté du don et manifeste toute la richesse intérieure de la personne en tant que sujet » (20-II-1980, 1).

Les trois moments de la signification sponsale du c. – reçu, approprié, offert – que l’ana­lyse distingue sont unis dans l’existence concrète, singulièrement dans l’expé­rience de la communion interpersonnelle : le don réciproque des c. est tout autant révé­lation et enri­chissement mutuels (6-II-1980, 6). De même, la vie, avant d’être offerte (ou de sortir de soi dans l’intentionnalité), est éprouvée, de manière immanente, dans l’auto-affection – source originelle de toute phénoménalité qui renvoie à la chair – et s’enracine dans l’Ar­chi-vie (Henry).

  1. La théologique du c. de don fait appel aux catégories phénoménologiques d’expres­sion, de manifestation ; elle rejoint la perspective biblique pour qui le c. (notamment le vi­sage et les mains) tout à la fois exprime et réalise les pensées et les dé­sirs du cœur (Géradon) ; elle est reprise dans divers courants spirituels, dont le chef de file est le pseudo-Macaire d’Égypte : « Par lui [le cœur], la grâce passe dans tous les membres du c. » (Homélies, 15, PG 34, 589). Elle se conjugue avec l’anthropologie non dualiste du c. et de l’âme, elle aussi biblique, patristique et tradition­nelle. Ainsi, que Dieu crée l’homme en lui insufflant la vie (Gn 2,7), signifie : « ce «c.» ré­vèle l’«âme vivante» » (9-I-1980, 4).
  2. Si la vision théologique du c. donne à lire sa « grandeur » du c., elle n’en ignore pas la « misère » qui appelle la « rédemption » (cf. Mouroux, « Valeurs charnelles », p. 43-102). Le pé­ché n’est pas une chute gnostique dans la matéria­lité mais, tout au contraire, une occulta­tion de sa signification : après le péché des ori­gines, la sponsalité du c. s’obscurcit, cela dans ses trois dimensions. « Vous se­rez comme Dieu » (Gn 3,5) suggère à l’homme de se couper de Dieu, donc de la donation originaire. Dès lors, le c. n’est plus reçu : « le don est mis en doute dans le cœur de l’homme » (30-IV-1980, 4) et le c. « perd » non l’image de Dieu inscrite en lui mais « la certitude originelle » de cette image (14-V-1980, 4). Ne recevant plus son c. comme don, la personne peine aussi à discerner celui-ci dans le c. d’autrui et ainsi à se donner. Le désir (l’éros), non pas comme tel mais en tant qu’il objective et instrumen­talise autrui (cf. Mt 5,27-28), substitue à la communion des per­sonnes la domination de l’une par l’autre (cf. Gn 3,16 ; 30-VII-1980, 4). Enfin, la division entre les personnes n’est que la conséquence de la déchirure intérieure ressentie et signi­fiée dans la honte de la nudité (cf. Gn 3,16), pudeur qui atteste l’intime suture du c. et de l’âme (Fessard).

Mais la Bible n’accuse ni le c. ni la personne ; elle l’appelle à la rédemption. L’Incarnation du Verbe redonne au c. sa vocation d’ouverture à Dieu : « le c. a des yeux pour contempler la création et pour connaître le Créateur grâce à cet ordre d’une harmonie admirable ; il a des oreilles pour écouter la parole de Dieu et la loi de Dieu ; il a des mains pour accomplir les tâches nécessaires, et pour s’élever dans la prière vers Dieu » (Saint Athanase, De l’inc. du Verbe, PG 25, 9d). Dans sa vie publique, le Christ ne cesse de se dépenser, trou­vant « plus de bonheur à donner qu’à recevoir » (Ac 10,35) – tout en prenant soin de son c. fatigué (Jn 4,6 ; Chrétien, 1996). Au don actif du c. succède la livraison et la mort sur la croix. La veille, en célébrant la Cène, le Christ exprime le sens de ce qu’il va subir : « Ceci est mon c. donné pour vous » (Lc 22,19). En révélant l’achèvement de la signification spon­sale du c., il invite aussi à faire cela « en mémoire de moi ». Le sacrifice du Corps du Christ est l’acte de naissance du Corps de l’Église, comme Augustin l’a souligné avec insistance : « Hoc est sacrificium christianorum : multi unum corpus in Christo » (De Civ. Dei, X, 6). C’est en participant au Corps li­vré du Christ, par l’Eucharistie, que les chrétiens forment un Corps et découvre le sens de leur c. : « Le c. a particulièrement besoin d’être désapproprié (Enteignung), parce qu’il tend à se faire dieu (Ph 3,19), alors qu’il est destiné à devenir une hostie offerte à Dieu (Rm 12,1) » (Balthasar, Herrlichkeit, III.2. ii, p. 380).

  1. De même que la rupture de la chute opère sur fond de continuité avec l’état prélapsaire – « même si cette signification [sponsale] subit et subira de nombreuses déformations, elle demeurera toujours le niveau le plus profond » (16-I-1980, 5) –, de même la résurrection des c. s’inscrit dans le temps historique comme attente (Braire). Seule, elle résorbe le pa­radoxe vécu comme une déchirure d’une âme spirituelle, donc subsistante et immortelle, intimement uni à un c. corruptible. Plus encore, elle est requise par le baptême (Irénée, AH, III, 17, 2) et l’Eucharistie : « Nos c. qui participent à l’Eucharistie ne sont plus corrup­tibles, puisqu’ils ont l’espérance de la résurrection » (AH, IV, 18, 5). Ainsi la conception gnostique se trouve définitivement congédiée : le c. est « en état d’être immortel » (AH, V, 12, 4). Et comme le c. de « gloire » (1 Co 15,42), qui diffère de la chair actuelle par ses « proprié­tés nouvelles », mais non par sa nature (cf. CEC, 645), est lumière (Mt 17,2), Bonaventure accordait au c. humain la plus grande « clarté » (luminositas) et subtilité (2 Sent., d. 17, 2, 2, c.).

4. Prolongements

Le c. contemplé dans sa vérité théologique est appelé à vivre en conformité avec son bien et être célébré dans sa beauté.

  1. L’éthique chrétienne du c. peut se relire à partir de la signification sponsale. Reçu comme un don, donc provenant d’un acte d’amour (divin et, le plus souvent, humain) et destiné à l’immortalité, le c. demande à être interprété avant d’être inventé. Donné à soi, le c. appelle un soin, une éthique responsable et la mise en œuvre de la vertu de chasteté (Wojtyla, chap. 3 ; Chapelle, 2epartie). Et, de même que le don à soi s’inscrit dans le pro­longement du don originaire, de même, sa prise en charge dans les multiples pratiques du c., notamment médicales, suppose que la vie humaine non seulement soit respectée de­puis l’origine jusqu’à son terme (Jean-Paul II, Enc. Evangelium vitæ, 1995), mais ne soit pas dissociée de l’acte d’amour qui l’engendre (Paul VI, Enc. Humanæ Vitæ, 1968 ; Instruction Donum vitæ, 1987 ; Mattheeuws, 4epartie). Enfin, s’achevant dans le don de soi, le c. trouve pleinement son sens dans l’alliance (Lacroix, 4e partie), voire à être livré dans une passion d’amour (Jean-Paul II, Exhort. ap. Salvifici doloris, 198). De plus, la double relation du c. à Dieu comme origine et comme achèvement, loin de nier l’autono­mie, conjure l’aliénation‡ née de l’adoration de la nature ou de l’esprit qui sous-tend par exemple une pratique médicale lorsqu’elle est absolutisée, selon le double modèle mé­caniste ou holiste.
  2. La Bible, singulièrement le Ct, chante la beauté du c. humain, jusque dans le détail concret de chacun de ses membres, qui trouvent leur signification dans une relation d’amour (Chrétien, 2005), où l’éros est assumé, purifié et anobli par l’agapè (Benoît XVI, Enc. Deus caritas est, 2005, 10). La liturgie fait appel à la beauté du c. et à ses multiples ressources signi­fiantes, elle parle aux cinq sens pour célébrer la splendeur du « plus beau des enfants des hommes » (Ps 44,3) ; en retour, dans la communion, l’Eucharistie « saisit » et « renouvelle nos esprits et nos c. » (Prière après la communion, T.O., XXIV et XXVI).

Pascal Ide

Bibliographie :

– Claude Bruaire, Philosophie du corps, Paris, Seuil, 1968.

– Albert Chapelle, Sexualité et sainteté, Bruxelles, Institut d’Études Théologiques Éd., 1977.

– Jean-Louis Chrétien, De la fatigue, coll. « Philosophie », Paris, Minuit, 1996. Symbolique du corps. La tradi­tion chré­tienne du Cantique des Cantiques, coll. « Épiméthée », Paris, PUF, 2005.

– Gaston Fessard, « Le rôle de la Vergüenza dans les Exercices », in La dialectique des Exercices Spirituels de Saint Ignace de Loyola. II. Fondement, péché, orthodoxie, coll. « Théologie » n° 66, Paris, Aubier, 1966, p. 127 à 253.

– Bernard de Géradon, Le cœur, la langue, les mains. Une vision de l’homme, Paris, DDB, 1974.

– Denys Gorce, art. « Corps », Dictionnaire de spiritualité, Paris, Beauchesne, tome II, 1953, col. 2338-2378.

– Michel Henry, Incarnation. Une philosophie de la chair, Paris, Seuil, 2000.

– Pascal Ide, Le corps à cœur, Versailles, Saint-Paul, 1996. « Don et théologie du corps dans les catéchèses de Jean-Paul II sur l’amour dans le plan divin », in Jean-Paul II face à la question de l’homme, Zurich, Guilé Foundation Press, 2004, p. 159-209.

– Jean-Paul II, Uomo et donna lo creo, Roma, Città Nuova Editrice, Libreria Editrice Vaticana, 1995 (cette ver­sion ita­lienne que la trad. française de la rééd. du Cerf ne suit pas fait autorité). Les dates entre parenthèses dans le texte correspon­dent aux catéchèses.

– Xavier Lacroix, Le corps de chair. Les dimensions éthique, esthétique et spirituelle de l’amour, coll. « Recherches mo­rales. Synthèses », Paris, Le Cerf, 1992.

– Luis F. Ladaria, Antropologia teologica, Casale Monferrato, éd. Piemme, 2005.

– Henri de Lubac, Corpus mysticum. L’Eucharistie et l’Église au Moyen-Age. Étude historique, coll. « Théologie » n° 3, Paris, Aubier, 21949.

– Alain Mattheeuws, Les «dons» du mariage. Recherche de théologie morale et sacramentelle, coll. « Ouvertures » n° 19, Bruxelles, Culture et vérité, 1996.

– Jean Mouroux, Sens chrétien de l’homme, Paris, Aubier, 1945.

– Karol Wojtyla, Amour et responsabilité. Étude de morale sexuelle, trad. Thérèse Sas revue par Marie-Andrée Bouchaud-Kalinowska, Paris, Éd. du dialogue, Stock, 1978.

 

30.8.2019
 

Les commentaires sont fermés.