Une approche neuroscientifique des expériences de mort imminente. La position faussement mesurée de Steven Laureys

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, rares sont les neuroscientifiques à écrire sur les EMI [1]. Pour se limiter aux exemples parmi les plus fameux, Raymond Moody est psychiatre ou Pim Van Lommel cardiologue.

Le professeur Steven Laureys est un neurologue et neuroscientifique belge, fondateur d’un des groupes de recherche les plus avancés sur les EMI, le Coma Science Group, à l’Université de Liège, qui regroupe pas moins d’une cinquantaine de spécialistes, dont la moitié de cliniciens. Il s’est fait connaître par ses ouvrages de vulgarisation sur la méditation [2], le cerveau [3], le sommeil [4] et  autres états de conscience [5]. Dans son tout dernier et tout récent livre (sorti fin avril 2025) [6], il fait le point sur les EMI. Sa principale originalité est de conjuguer les derniers résultats sur le sujet et son cheminement propre, caractérisé par de multiples expérimentations disposant son cerveau à vivre cette expérience – sans toutefois, selon son propre aveu, y parvenir !

Les 18 brefs chapitres de l’ouvrage abordent, sans ordre particulier, différentes questions posées par les EMI, écartent clairement les approches immatérialistes selon lesquelles elles pourraient être vécues avec un cerveau mort, et passent en revue un certain nombre d’hypothèses explicatives sans s’arrêter à l’une d’elle. Si Steven Laureys s’oppose très fermement aux approches dualistes qui refusent de faire de la conscience un acte du cerveau (chap. 5), il suspecte aussi les approches sceptiques qui réduisent les EMI à un dysfonctionnement psychique ou encéphalique et prétendent détenir la clé interprétative des EMI. De même, s’il égrène au fil des chapitres un certain nombre de convictions – par exemple, la mort n’est pas un événement momentané, mais un processus (p. 67-68) ; la nécessité d’ouvrir les EMI aux animaux (chap. 17) –, s’il se dit « athée » (p. 20) et est matérialiste, il se dit « convaincu que la science et la connaissance ne sont pas tout » (p. 290. Cf. p. 20-22), il s’intéresse à ce qu’il appelle la « spiritualité » (qu’il ne définit pas : p. 45) ainsi que le signale le sous-titre lui-même et demeure fasciné (adjectif qui revient souvent sous sa plume) par ce phénomène encore largement inexpliqué que sont les EMI.

Les mises au point, abreuvées aux sources les plus récentes, les plus sérieuses et les mieux documentées, sont précieuses. Elles permettent, d’un côté, de ne pas se laisser impressionner par les déconstructions et, de l’autre, de prendre du recul vis-à-vis des convictions fortes mais infondées des spiritualistes.

Passons l’écriture bâclée du livre (sans ordre réflexivement et sans note ; presque exclusivement centrée sur les travaux, de fait, nombreux, de l’auteur, la bibliographie est inutilisable ; ) et de l’écriture (qui, trop autobiographique, présuppose connues des notions et ne les présente pas systématiquement). Le propos ouvert et modéré séduira certains. Mais il masque deux limites fondamentales.

La première est le silence sur de nombreux aspects et parmi les plus importants des EMI comme les rencontres faites par les expérienceurs, les faits documentés d’expériences sensorielles avérées loin du corps, ou tout simplement le détail de ce qu’il appelle de manière vague et indéfinie le « contenu mystique », alors que c’est lui qui les transforme durablement. Derrière cette cécité se cache une question méthodologique dont Steven Laureys n’a pas non plus conscience (sic !) : le privilège systématiquement accordé aux études dites scientifiques, parce qu’elles sont mesurables, comme si l’EMI ne reposait pas sur une expérience (il est hautement révélateur que jamais il n’emploie le terme consacré expérienceur) et un témoignage, donc ne demandait pas à être évalué aussi selon une approche différente, en l’occurrence, phénoménologique et herméneutique.

La seconde est le préjugé scientiste qui est un préjugé empiriste. Comme tant de ses collègues neuroscientifiques, Steven Laureys qui se croit ingénument « sans parti pris » (p. 26) semble ignorer que, entre le matérialisme qu’il professe (méthodologiquement et bientôt ontologiquement) et le spiritualisme qu’il abhore, il existe des positions complexes, uni-duelles qui distinguent sans les séparer les phénomènes cérébraux et les phénomènes mentaux (Henri Bergson, Paul Ricœur, Michel Bitbol, etc.).

Pascal Ide

[1] Un autre est le professeur américain Kevin Nelson, The Spiritual Doorway in the Brain. A Neurologist’s Search for the God Experience, London, Penguin Publishing, 2012.

[2] Steven Laureys, La méditation, c’est bon pour le cerveau, Paris, Odile Jacob, 2019 ; Méditer avec le Dr Steven Laureys. Carnet d’exercices de méditation, Paris, Odile Jacob, 2021.

[3] Id., Cerveaugraphie. Comprendre le cerveau en 100 dessins et schémas, Paris, Hachette Pratique, 2022.

[4] Id., Le sommeil, c’est bon pour le cerveau, Paris, Odile Jacob, 2023.

[5] Id., Un si brillant cerveau. Les états limites de conscience, Paris, Odile Jacob, 2013.

[6] Id., L’expérience de mort imminente. Science et spiritualité, Paris, Odile Jacob, 2025.

30.4.2025
 

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