Un retour (partiel) au cœur

Dans un petit livre sur le cœur, le théologien dominicain Édouard Divry offre un itinéraire pour vivre un Cœur à cœur avec Jésus [1]. Il divise son propos en deux parties inégales : la première, qui s’intitule « théologie fondamentale du cœur », rappelle quelques données bienvenues sur la signification biblique et traditionnelle du cœur ; la seconde, trois fois plus développée, en théologie spirituelle, décrit un itinéraire en cinq étapes toutes centrées sur Jésus (1. Le chercher ; 2. S’approcher de lui ; 3. L’accueilir ; 4. Le suivre ; 5. Reposer sur son Cœur) ; s’y joint un épilogue commentant les sept occurrences du terme « cœur » dans la première encyclique du pape Benoît XVI à qui l’ouvrage est dédié.

Ne demandons pas à un livre de théologie spirituelle un exposé ex professo sur le cœur dans l’anthropologie ou dans la Bible ou dans la Tradition – dont pourtant l’érudit polyglotte, spécialiste du dialogue avec le judaïsme et l’islam, serait capable. Ne demandons pas non plus à un ouvrage pratique qui cherche avant tout à susciter la ferveur un exposé systématique qui organise son propos dans le détail. Ne demandons pas enfin à un auteur d’être à ce point détaché de lui qu’il ne nous partage indirectement ses allergies (en l’occurrence à l’égard des moyens plus humains de connaissance et de transformation du cœur).

L’apport le plus original réside dans la structuration en cinq étapes, alors que la Bible [2] et la Tradition [3] nous ont plus habitués aux répartitions ternaires [4]. Elle remonte à l’immense théologien alexandrin Origène dont les spécialistes systématisent les thèmes spirituels en cinq moments : la recherche, l’approche, l’accueil, la sequela et le contact [5]. Or, il n’est pas impossible d’interpréter cette répartition à l’aune de la dynamique du don. En effet, celle-ci est rythmée par trois temps : la réception, l’appropriation et la donation. Et ces trois moments conjuguent deux perspectives : l’une plus extérieure et comportementale, avec les deux actes tournées vers le dehors, la réception (du dehors vers le dedans) et la donation (du dedans vers le dehors) ; l’autre, intérieure, avec l’acte qui va du dedans au-dedans, l’appropriation. Or, les cinq moments correspondent aux deux actes extrêmes, c’est-à-dire au battement de la réception et de la donation. En l’occurrence, les trois premières étapes sont autant d’actes composant la réception : la quête ou le désir, l’approche et l’accueil ou la réception proprement dite. Les deux derniers moment, eux, sont autant d’actes composant la donation à Jésus, c’est-à-dire la réponse de celui qui, ayant reçu, donne en retour : la suite du Christ ; le repos qui, plus précisément, est la présence au Christ dans l’action : « Comment ne pas quitter Jésus en partant prêcher [6] ? », ce qui, pour un frère précheur, représente l’action par excellence…

Ainsi, le propos du père Divry précise heureusement les actes plus élémentaires permettant de vivre la vie spirituelle en régime d’amour-don. Par exemple, le dernier temps (« Reposer sur le cœur de Jésus »), qui s’interprète classiquement comme la vie mixte qui synthétise action et contemplation, peut aussi être relu, à l’aune de la dynamique dative, comme synthèse de la sortie linéaire et du retour circulaire (ce que la métaphysique de l’amour appelle : « Intégrer la cascade dans la boucle »). La grille de l’amour-don atteste aussi ce qui, dans cet itinéraire, devrait le compléter, notamment : dans la quête (la réception), l’obéissance du cœur qui, au-delà et pourtant au sein du désir, seule dilate le récepteur à la mesure du don offert ; entre réception et donation, l’appropriation qui est transformation, c’est-à-dire greffe du cœur ; dans la donation, son achèvement en direction de la communion, c’est-à-dire le Cœur à cœur.

Pascal Ide

[1] Édouard Divry, Le retour au cœur, Paris, Le Cerf, 2023. L’on regrettera l’imperfection de l’édition qui multiplie les liserets verticaux sur de nombreuses pages.

[2] Cf. Lv 25,18 ; Dt 6,3.5 ; 8,6 ; 1 R 2,2b-3 ; Ez 20,16 ; So 2,3 ; Mi 6,8.

[3] L’on se souvient par exemple de la systématisation de la vie intérieure en trois moments (cf. la synthèse fameuse de Réginald Garrigou-Lagrange, Les trois âges de la vie intérieure, prélude de celle du ciel. Traité de théologie ascétique et mystique, Paris, Le Cerf, 1938, 2 tomes).

[4] Mais la Bible n’ignore pas les taxonomies quinaires (cf., par exemple, Dt 10,12-13 ; Jos 22,5).

[5] Cf. Frédéric Bertrand, Mystique de Jésus chez Origène, coll. « Théologie » n° 23, Paris, Aubier, 1951, p. 50-140 ; Ysabel de Andia, La voie et le voyageur. Essai d’anthropologie spirituelle, Paris, Le Cerf, 2012, p. 25-263.

[6] Édouard Divry, Le retour au cœur, p. 135.

1.7.2023
 

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