Puissance de la gratitude : analyse de film chapitre 12

Chapitre 12 : Miracles du Ciel

Miracles du Ciel (Miracles from Heaven: A little Girl, Her Journey to Heaven and Her Amazing Story of Healing), biopic dramatique américain de Patricia Riggen, 2016, tiré du roman éponyme de l’héroïne, Christy Beam, 2015. Avec Kylie Rogers, Jennifer Garner, Martin Henderson, Queen Latifah.

La scène (chap. 11) se déroule de 1 h. 30 mn. 32 sec. à 1 h. 36 mn. 43 sec.

  1. a) Histoire

Dans la ville de Burleson, au centre du Texas, Anna Beam (Kylie Rogers), 10 ans, vit heureuse, au milieu de sa mère, Christy (Jennifer Garner), de son père, vétérinaire, Kevin (Martin Henderson) et de ses deux sœurs, l’aînée, Abbie (Brighton Sharbino), et la benjamine, Adelynn (Courtney Fansler), et aussi très entourée par la communauté croyante de leur ville, conduite avec dynamisme, par son pasteur, le Révérend Scott (John Carroll Lynch). Un jour, la jeune fille tombe malade d’une pathologie que les médecins peinent à comprendre, jusqu’au moment où ils l’identifient : il s’agit d’une pseudo-obstruction intestinale chronique (POIC), une maladie très rare de la motilité gastro-intestinale qui rend le patient incapable de manger. Christy décide d’emmener Anna consulter le meilleur spécialiste américain, le Dr. Nurko (Eugenio Derbez), qui se trouve à l’hôpital pédiatrique de Boston. Toutefois, malgré toute sa compétence, celui-ci ne peut rien pour la petite fille qui souffre toujours davantage. En perdant de plus en plus l’espoir que sa fille retrouve la santé, Christy, qui l’accompagne héroïquement dans la grande ville, perd aussi la foi, plonge dans la tristesse, tout en étant toujours plus éloignée des membres de sa famille. La situation est de plus en plus tragique…

  1. b) Commentaire

Ce film très émouvant et admirablement interprété, d’autant plus attachant qu’il raconte fidèlement une histoire vraie, donne à voir la gratitude, précisément combien la conscience détaillée des dons est nécessaire à la gratitude.

 

Au point de départ, Christy est une femme heureuse, goûtant pleinement sa vie d’épouse, de mère et de croyante. Pleinement ? Comment ne pas noter sa tendance à tout contrôler et donc à craindre tout ce qu’elle ne maîtrise pas ? Or, une crainte aussi permanente coexiste difficilement avec la sérénité imprenable de l’espérance.

Sa foi va être très sérieusement éprouvée (« J’ai perdu la foi »). Avant tout, bien entendu, son cœur de mère est de plus en plus broyé par la douleur sans cesse croissante de sa courageuse petite fille ; et il sera définitivement brisé lorsqu’elle entendra sa chère Anna lui déclarer qu’elle préfère mourir et aller au paradis plutôt que continuer à souffrir ainsi (« Quand Anna est tombée malade, je n’ai pas compris. Pourquoi cette petite fille dévouée et aimant Dieu subit ça ? J’étais désespérée. Je me sentais seule. J’étais fâchée que nos prières restent sans réponse »). Mais elle est aussi ébranlée par le corps médical : femme très droite, Christy ne supporte pas les discours faussement rassurants ou prétendument compétents. Enfin, une autre grande cause de sa révolte provient du discours maladroitement culpabilisant du pasteur, relayé par la communauté, selon la logique suivante : Dieu est tout-puissant autant qu’aimant ; si, malgré la prière, Anna continue à être malade, quelqu’un doit être responsable, Christy, Kevin ou Anna elle-même. Refuser cette interprétation, n’est-ce pas récuser la foi qui la sous-tend ? Kevin, avec plus de recul, se dérobe à cette corrélation erronée, qui noue nécessairement le mal de la peine et mal de la faute, et subordonne Dieu à nos humaines logiques de réussite. Quoi qu’il en soit, Christy vit dans une tristesse grandissante qui l’assombrit, l’affaiblit et surtout l’isole (« Je me croyais seule »).

Jusqu’au jour où Dieu se révèle à elle de la manière la plus bouleversante : non seulement en sauvant sa petite fille de la mort, mais en la guérissant définitivement de sa maladie. Il fallait un signe indubitable pour qu’un esprit aussi contrôlant et révolté reconnaisse avec évidence l’action divine. Dieu lui parle donc le langage que Christy peut entendre : la guérison d’une maladie incurable – au point que, même les personnes non concernées, dont rien ne dit qu’elles sont croyantes, reconnaissent  elles-mêmes le miracle.

Mais le plus grand miracle ne réside pas ici, mais dans le retour de Christy à la foi – ce qu’atteste sa gratitude. En effet, les yeux de la jeune femme s’ouvrent et elle reconnaît (aux deux sens du terme) les multiples miracles qui l’ont conduite jusqu’à sa conversion qui est une nouvelle naissance. Voilà pourquoi le titre parle de « miracles » au pluriel.

 

« J’ai perdu la foi. À cause de ça, je n’ai pas vu ce qui m’entourait. D’après Einstein, il y a deux manières de vivre. L’une est de voir un miracle en rien, et l’autre est de voir un miracle en tout. J’ai manqué tant de choses. Les miracles sont partout ». Prenons Christy au pied de la lettre et reparcourons son histoire à cette lumière rétrospective – une histoire de grâces en attente de gratitude –. « Si l’on est attentif, on peut en voir tout au long du film », explique la productrice – une fois n’est pas coutume, je vais citer les bonus…

Commençons par le don le plus patent, du moins pour le croyant, l’intervention directe de Dieu : non pas dans l’expérience de mort imminente – dont l’on sait de plus en plus aujourd’hui qu’elle accompagne souvent, donc naturellement, des pertes de conscience traumatiques graves –, ni peut-être même dans la rencontre qu’Anna vit avec Celui qu’elle identifie clairement comme Dieu, mais dans la guérison de sa maladie – qui, quoiqu’en dise le Dr. Nurko, n’est en rien un effet secondaire, type réinitialisation du cerveau, puisque la motilité de l’intestin, notre second cerveau, est un phénomène autonome.

Continuons par les multiples aides gratuites offertes à Anna et Christy explicitement nommées par le film et ses protagonistes : depuis celle de la toute récente réceptionniste à l’hôpital de Boston (Suehyla El-Attar) qui risque sa place en demandant de déroger à l’intouchable planning bloqué neuf mois à l’avance, jusqu’à la serveuse de Boston, l’épatante et pétulante Angela (Queen Latifah), qui pose exprès un jour de repos pour distraire cette mère et sa fille accablées, afin de les enchanter de sa bonne humeur contagieuse (superbe scène dans l’aquarium où l’émerveillement de la petite fille est d’autant plus réaliste qu’elle l’a découvert en même temps qu’elle jouait la scène), en passant par la délicatesse de Billy Snyder (Brandon Spink), l’ami d’Anna, qui la protège des réflexions et des attitudes excluantes des autres écolières, les multiples délicatesses de l’employé de la compagnie aérienne qui éteint son écran ou d’Emmy, l’amie fidèle, qui ne fait en rien peser la présence de sa toute petite fille, sans parler de la discrète générosité de Kevin se séparant de sa moto et de la compassion patiente autant qu’humoristique du Dr. Nurko qui, du fait de son équanimité quotidienne, pourrait trop aisément être reconduite à un simple trait de caractère, etc., etc.

Peut-être le spectateur sera-t-il gêné du trop grand didactisme par lequel le film revient sur ces multiples actes altruistes. Mais ce serait oublier d’abord que cette évidence ne vaut que pour nous, non pour les héros qui n’ont pas eu immédiatement accès à l’envers du décor ici montré, ensuite qu’une grande leçon évangélique nous est rappelée : le secret du don est le don secret que seul voit notre Père (cf. Mt 6,1-16).

Une autre raison d’action de grâces, aussi visible, mais moins spontanément évoquée, consiste dans la fécondité mystérieuse de la maladie d’Anna – donc antérieurement à la guérison qui, relayée par les médias, portera témoignage – : par sa foi simple (spontanément, elle rassure ) et sa générosité spontanée (sans hésiter, elle donne la croix à laquelle elle tient), Anna convertit Haley (Hannah Alligood), sa voisine et compagne dans la souffrance à l’hôpital de Boston. Haley pourra ainsi achever sa vie dans cette sérénité que seule offre la confiance en Dieu : « Elle se sentait en sécurité – témoigne son père, Ben (Wayne Pere) –. Elle se sentait aimée. Elle sentait Dieu. Elle ressentait ça parce qu’Anna lui a donné sa foi. Elle lui a donné la paix ». Et, plus encore, par contagion, elle touchera son père, qui se disait non-croyant.

Mais, au-delà ou plutôt à côté des multiples actes d’amour-don et des fruits, se cache une autre raison, aussi réelle que secrète, de gratitude : c’est la belle vertu de Christy. Je parle bien sûr de son cœur de guerrière (« Je dois me battre pour ma fille, car personne ne le fera à ma place »), de sa persévérance jamais démentie, de sa compassion autant affective qu’effective. Or, toutes ces ressources qui ne seraient rien sans elle (sa liberté) ne viennent pas que d’elle (sa liberté, encore). En effet, quand l’épreuve ultime (la chute de 9 mètres de haut dans le peuplier centenaire) la frappe de plein fouet, Christy se met spontanément à genoux, dans un superbe acte de foi qui aimante son mari, ses filles, les membres de la communauté chrétienne. Or, cette foi qui surgit au moment le plus inattendu, cette foi vive et efficace qui obtient du Ciel la réponse, cette confiance qui émeut si grandement le cœur de Dieu qu’il la loue (cf.Mt 8,10 ; Mt 16,28), est elle-même un don de Dieu. Un autre don n’est-il pas suggéré ? Lorsque Christy parle du Dieu pardon, nous voyons la paroissienne qui l’avait culpabilisée en lui suggérant de s’interroger sur son péché ou celui de sa famille, pleurer et hocher la tête, la remerciant de ce geste de réconciliation : don du pardon offert ; mais tout autant don de la transformation de Christy qui est passée de la dureté solitaire à la douce dépendance de celle qui consent à s’accorder au tempo de Dieu.

C’est ce que confirme l’attitude de l’actrice : bouleversée d’abord par le script qui a induit son adhésion comme une évidence, puis par les multiples rencontres avec son personnage réel, Jennifer Garner a elle-même improvisé ce « Notre Père », signe de ce qu’il était un don jaillissant du don : « C’était l’addition de toutes mes prières rassemblées en un seul cri du cœur ».

 

Mais n’est-il pas trop facile, voire trop sécularisant, donc dans l’air du temps, d’affirmer que le miracle est celui de l’amour et du pardon quotidien (« Un miracle, c’est quand quelqu’un comme Angela devient votre amie ») ? Voire, n’est-ce pas nier la définition même du miracle qui est un fait extraordinaire, donc rare, et nier sa cause qui est exclusivement divine (« Pour moi, la bénédiction de ce film est qu’il nous appelle à rechercher des miracles partout où il y en a, à chaque instant ») ?

D’abord, le film, par la voix de Christine, et dès la toute première scène, confesse de la manière la plus limpide la foi de la théologie classique dans le miracle : « Un miracle est inexplicable par des lois naturelles ou scientifiques. Alors, comment l’expliquer ? Qui ou quoi y a-t-il derrière lui ? » – ce qui est d’autant plus crédible qu’elle est précédée par cet aveu : « Quand j’étais petite, on ne parlait pas des miracles. Je ne comprenais pas ce que c’était, ni si j’y croyais ». D’ailleurs, depuis le titre du film dénué de toute ambiguïté jusqu’à la dernière image (qui est celle d’un benedicite en famille), Dieu n’est jamais réduit aux belles valeurs anonymes d’un humanisme horizontal (que l’on songe à l’hommage rendu par l’agnostique Luc Ferry à l’amour évangélique), mais toujours célébré en Jésus comme le Créateur et le Rédempteur. Non seulement la famille Beam est souvent montrée en train d’activement participer au culte, mais le pasteur est un conseiller qui intervient dans la vie et l’évolution des personnages – sans parler de la bande son qui participe à cette attestation décomplexée et joyeuse de la foi chrétienne. En outre, la différence entre le miracle proprement dit et les merveilles du quotidien est évoquée dans la toute dernière parole du film : « Comme vous le voyez, on vit chaque jour comme un miracle ».

Ensuite, en corrélant le miracle à l’amour, le film nous rappelle ce qu’une certaine apologétique a longtemps trop minimisé. Assurément, « les miracles du Christ et des saints (cf. Mc 16,20 ; He 2,4), les prophéties, la propagation et la sainteté de l’Église, sa fécondité et sa stabilité ‘sont des signes certains de la Révélation, adaptés à l’intelligence de tous’, des ‘motifs de crédibilité’ qui montrent que l’assentiment de la foi n’est ‘nullement un mouvement aveugle de l’esprit’ » (Catéchisme de l’Église catholique, n. 156. Citant le Concile Vatican I). Mais, en son contenu, en sa cause et en sa finalité ultime, le miracle est un signe de l’amour divin. En effet, « l’amour seul est digne de foi » (Balthasar). D’ailleurs, si Christy affirme : « Les miracles sont l’amour », elle ajoute : « Les miracles sont Dieu et Dieu est pardon ».

Enfin, si Dieu intervient avec une telle force, ce n’est pas pour forcer, mais pour toucher. Le récit des miracles de l’Évangile et ceux qui jalonnent l’histoire de l’Église (par exemple ceux de Lourdes) le montrent : Dieu ne déploie sa puissance avec une telle évidence que pour conduire à son cœur, donc à son infinie bonté, qui est la source et de la puissance et de la lumière. Le Père ne suscite des adorateurs que pour qu’ils deviennent des amateurs (au sens étymologique). Alors, l’événement ponctuel du miracle conduit à la gratitude habituelle. « C’est par les miracles que Dieu nous dit qu’il est là », témoigne Christy au terme.

 

Cette superbe histoire de miracles (grâces) du Ciel mène donc à ce Ciel sur Terre qu’est l’action de grâces. Voilà pourquoi Ben termine son témoignage en s’écriant : « Alors, je suis venu de Boston pour remercier Annabel. Et pour vous remercier d’avoir partagé votre histoire ». Reprenons les paroles du benedicite prononcé par celle qui, dans la tradition juive, joue un rôle sacerdotal au sein de sa famille, la mère : « Cher Dieu, merci pour ce repas. Nous sommes heureux d’être ensemble. Nous te remercions pour Toi et tout ce que Tu es ». Ces paroles simples concrétisent un acte complet de gratitude : la reconnaissance concrète des dons (« ce repas », le bonheur « d’être ensemble ») ; l’interpellation personnelle du Donateur (« Dieu » et, plus encore : « Toi », « Tu ») ; le sentiment d’amour (« Cher ») ; et le chemin qui va de l’action de grâces (le remerciement pour les bienfaits) en louange pour l’auteur lui-même (« pour Toi et tout ce que Tu es »). À ces mots aussi simples que justes, se joint une double symbolique : la suave lumière du soir (qui entre en résonance avec celle matutinale ouvrant le film), symbole de Celui qui est lumière (cf. 1 Jn 1,5) ; la ronde des mains qui en évoque une autre, celle qui s’est spontanément constituée pour intercéder et sauver Anna autour d’un autre bois, celui de l’arbre sauveur.

Ce n’est pas un hasard si le film montre en inclusion (c’est-à-dire fait correspondre le tout début et la toute fin) l’arbre qui fut l’instrument paradoxal du miracle – cet arbre qui, dans sa fière élévation, est tout élan vers le ciel. Citons une dernière fois les bonus. Alors que, commémorant l’événement miraculeux, Anna, définitivement guérie depuis plus de trois ans, ses deux sœurs, ses parents, leurs multiples amis, se retrouvent autour de l’arbre et se donnent la main, le pasteur Scott improvise une prière d’action de grâces et de louange : « Seigneur, nous savons ce que tu as fait dans sa vie. Pas que dans la sienne, dans celle de toute la famille qui a souffert si longtemps. Ils ont vécu Ton intervention de façon miraculeuse. Père, nous te remercions de l’avoir utilisée pour nous informer de qui Tu es, et de Ton très grand amour pour nous. Nous avons une grande confiance en Toi au sujet de son avenir. Encore une fois, merci. Au nom de Jésus. Amen ».

Pascal Ide

31.10.2020
 

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