« Prier sans se décourager » (Lc 18,1). Ici, plus que jamais, laissons-nous enseigner par l’exemple.
- Dans le désert, il y a deux dangers mortels : l’absence totale de nourriture, solide et plus encore liquide ; les pillards qui surgissent à l’improviste et dépouillent les voyageurs [1].
Une fois sorti d’Égypte, le peuple élu a dû s’affronter à ces deux périls et découvrir combien Dieu prenait soin très concrètement de lui. Nous connaissons l’épisode de la manne et des cailles, par lequel le Dieu de l’Alliance donne à son peuple le pain et la viande dont il a besoin (cf. Ex 16), et celui de l’eau que Moïse fait jaillir du rocher (cf. Ex 17,1-7). Aujourd’hui, nous voyons comment il sauve Israël de la main des pillards que sont les Amalécites (cf. Ex 17,8-16). L’on ne sait pas grand-chose d’Amaleq, le chef de cette tribu nomade, sauf sa lâcheté – il attaque l’arrière-garde du peuple hébreu qui se traîne, « alors que tu étais épuisé et fourbu » – et surtout son impiété : « il n’a pas craint Dieu » (Dt 25,17-18). L’on ne sait pas non plus grand-chose sur la bataille (qui est pourtant la toute première qu’Israël doit livrer) et par quelle stratégie Josué a vaincu son ennemi.
En revanche, nous en savons beaucoup plus long sur la manière dont il a obtenu la victoire. Toujours, dans la Bible, ce qui intéresse l’auteur sacré est la manière dont Dieu aime son peuple, surtout face à ce peuple qui, n’aimant pas Dieu, est l’ennemi par excellence qu’Israël doit combattre (cf. Nb 14,20 ; Gn 36,12 ; etc.) : c’est ainsi que le roi Saül sera destitué parce qu’il n’a pas voulu exterminer le roi des Amalécites que pourtant il avait vaincu (cf. 1 S 15,3), risquant la compromission avec les divinités idolâtres.
Que fait Dieu ? Nous interprétons souvent le geste de Moïse comme un geste de prière, celle-ci étant plus efficace qu’une armée puissante ou qu’une savante tactique. En fait, plusieurs indices invitent à en douter : il n’est pas parlé de prière ; nulle supplication orale n’accompagne le langage non-verbal ; le texte insiste sur le geste des mains et « le bâton de Dieu » que l’une d’entre elles tient ; lorsque l’orant élève les mains, d’autres verbes hébreux sont employés (cf., par exemple, Ps 28,2. 63,5 ; 119,48 ; 134,2. 141,2 ; etc.). En regard, le verbe ici employé en Ex 17,11 pour l’élévation de la main est un geste d’autorité ou de pouvoir, fait au nom de Dieu afin que celui-ci agisse. Par exemple, quand Israël doit combattre contre la ville d’Aï, Dieu lui demande d’étendre la main contre la ville avec une arme comme un sabre ou un javelot : « Tends vers Aï le javelot que tu as en main, car je vais te la livrer » (Jos 8,18). De fait, la victoire a rapidement suivi. Ce geste d’autorité, fait au nom de Dieu, anticipe et obtient l’issue favorable.
La leçon est claire. Dieu commande à la nature et celle-ci lui obéit, ce qui lui permet d’assurer la survie de son peuple dans un lieu hostile. Mais Dieu commande aussi à l’homme (que l’on songe par exemple à ses dix commandements) et celui-ci vaincra ses ennemis même les plus cruels, s’il consent à obéir à son Seigneur. Par la grâce de Dieu, l’homme a le pouvoir non seulement de prier, donc de recevoir, mais aussi de participer activement au triomphe de Dieu. S’il persévère. Ici pendant un long temps.
- Nous sommes maintenant à même de comprendre l’évangile. Mais, là encore, illustrons-le à partir d’un exemple qui l’actualise. Je l’emprunte au livre que j’ai cité dans de précédentes homélies, celui du père Grenet, Dieu agit, dans le riche chapitre qu’il consacre à la persévérance dans la foi [2]. « Il y a quelques années, j’avais dans mon entourage une personne vivant en concubinage, au sujet de laquelle je commençais à être préoccupé, car son partenaire n’avait manifestement pas d’intention de mariage ». Intercédant pour cette situation, le responsable du pôle Mission reçoit une référence biblique : Gn 24,6. Il s’agit du passage où Abraham envoie un serviteur chercher une femme pour son fils Isaac. Le serviteur lui demande : « Et si cette femme ne consent pas à me suivre pour venir ici ? Devrai-je ramener ton fils dans le pays d’où tu es sorti ? » (v. 5), c’est-à-dire le pays de la promesse divine. Abraham répond par la négative. Avec grande clarté, le texte montre donc que « le refus de la femme de venir vers la terre de la Promesse est un motif pour ne pas s’engager dans une union avec elle ».
Le père Étienne s’émerveille de la précision de la réponse divine. Pourtant, que devait-il en faire : éclairer la personne en lui parlant ? Mais il risquait de la blesser. Prenant conseil, il comprend : « ma relation à cette personne ne me permettait pas d’envisager l’initiative d’une parole sur ce sujet ». Il prend alors la décision de ne parler que si l’intéressé prend l’initiative de lui demander conseil. « Cela ne se produisit jamais et, un an plus tard, j’appris qu’ils avaient décidé de se marier ! »
Le prêtre parisien tire la leçon suivante de cette motion qui paraît si clairement inspirée par l’Esprit-Saint :
« Il me semble avoir compris, tardivement, qu’une lumière m’avait été donnée sur cette situation afin que j’intercède pour ces deux personnes, en demandant à Dieu devenir la débloquer. Je dois confesser, bien humblement, que je l’ai très peu fait. J’étais trop déstabilisé par le fait d’avoir une lumière si claire et de discerner, en même temps, un ‘feu rouge’ du Saint-Esprit, me faisant comprendre que je n’avais pas à la communiquer pour le moment. Bien souvent, quand nous recevons une lumière ‘non communicable’, l’enjeu est de nous permettre d’intercéder pour une personne » avec « une plus grande intensité dans la prière, mais également une plus grande précision ».
Quand j’ai lu ce superbe témoignage, j’ai aussitôt pensé à quelqu’un et ai converti cette pensée en une décision : prier une neuvaine pour cette personne. Autrement dit, persévérer dans la prière.
- « Ces événements sont arrivés pour nous servir d’exemples » (1 Co 10,6). Comment persévérer ?
La persévérance est d’abord une attitude humaine bonne que les Anciens ont saluée comme un des deux actes de la vertu de force ou de courage : le premier consiste à affronter l’obstacle ou plutôt la peur de l’obstacle ; le second à soutenir l’effort, c’est-à-dire à persévérer dans le bien malgré la difficulté. Ajoutons avec Jules Renard : « Il est plus difficile d’être un honnête homme huit jours qu’un héros un quart d’heure [3] ».
Les sciences humaines ont confirmé cet enseignement éthique. Par exemple, un spécialiste du marketing, à l’Université Notre-Dame, a montré que 44 % des vendeurs abandonnent après le premier appel, 24 % après le deuxième, 14 % après le troisième et 12 % après le quatrième. Bref, 94 % des démarcheurs renoncent après 4 essais. Pourtant, il est aussi démontré que 72 % des ventes sont conclues après la quatrième tentative. Donc, 94 % des représentants ne s’accordent pas la chance d’entrer en contact avec 60 % des acheteurs [4].
Nous pouvons aussi nous aider de nombreux exemples profanes édifiants. L’amiral Robert Peary a atteint le Pôle Nord à la huitième tentative, après sept essais infructueux. La Nasa a connu 20 échecs lors de ses 28 premiers essais pour envoyer une fusée dans l’espace [5]. John Creasey, populaire romancier britannique de romans à énigmes, a reçu 743 refus avant de vendre un premier livre. Mais, après, sur 40 ans, il a écrit 572 ouvrages sous 28 pseudonymes différents [6]. En 1997, Chad Pregrack, alors âge de 21 ans, s’est donné pour mission de nettoyer à lui seul le fleuve Mississippi. Il a commencé seul avec, à sa disposition, ses deux mains et une embarcation de 7 mètres. Depuis 8 ans, en 2005, il a nettoyé plus de 1 700 km de berges et débarrasser ce superbe fleuve de plus d’un million de tonnes de débris. Et, par persuasion, il a recueilli plus de 2,5 millions de dollars de dons et entraîné 4 000 personnes dans sa croisade [7].
Enfin, nous avons parlé de la pratique de la neuvaine. Cette durée est traditionnelle, s’enracinant dans le temps matriciel de la prière d’intercession par excellence, celle des Apôtres à qui Jésus a demandé d’intercéder pour « recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous » (Ac 1,8). Elle permet de conjurer les deux risques extrêmes, du « trop peu » précipité et du « trop » méfiant. Pour qui allons-nous « Prier sans [nous] décourager » (Lc 18,1) ?
Pascal Ide
[1] Notre interprétation se fonde sur Jean-Louis Ska, Le livre de l’Exode, coll. « Mon ABC de la Bible », Paris, Le Cerf, 2021, chap. 9.
[2] Étienne Grenet, Dieu agit. 35 histoires vraies, Paris, Éd. Emmanuel, 2025, p. 95-100.
[3] Jules Renard, Journal 1887-1910, 17 juillet 1907, coll. « Bouquins », Paris, Robert Laffont, 1990.
[4] Jack Canfield avec la coll. de Janet Switzer, Le succès selon Jack. Pour vous rendre là où vous souhaiteriez être !, trad. Patrice Nadeau, Greenfield Park (Québec), Les éditions un monde différent, 2005, p. 202-203.
[5] Ibid., p. 241.
[6] Ibid., p. 215.
[7] Ibid., p. 205.