Miséricorde et péché. Une harmonie divine (Vendredi Saint, 7 avril 2023)

« Seul le Christ, Fils de Dieu fait homme, peut nous dire la gravité immense du péché, nous révéler la souffrance atroce des pécheurs [1] ».

La manière de vivre le Vendredi Saint semble être un juste dosage de contrition humaine pour nos péchés et d’espérance en la miséricorde divine. Trop peu de sens du pardon divin, et nous sommes écrasés par une culpabilité qui nous angoisse, nous durcit et bientôt nous désespère. Mais trop peu de sens de notre péché, et nous nous installons dans une fausse sécurité qui anesthésie notre perception du divin et nous fait vivre à la surface de nos cœurs.

Si l’excès de culpabilité fut la tentation d’hier, l’excès de déculpabilisation est la tentation d’aujourd’hui. En fait, ces deux attitudes extrêmes conduisent paradoxalement au même résultat. D’une part, nous annulons la Croix du Christ, dans le premier cas, en la rendant inefficace, dans le second, en la rendant inutile. D’autre part, nous annulons son admirable effet dans nos cœurs qu’est la joie du salut – « Rends moi la joie d’être sauvé » (Ps 50,14) –, dans le premier cas, en ajournant indéfiniment notre réconciliation et en pérennisant la détresse du péché, dans le second cas, en ne goûtant pas la transformation profonde du chagrin sincère en une joie reconnaissante.

Quel homme trouvera le juste équilibre entre ces deux extrêmes de l’auto-accusation et de l’auto-victimisation ? Ne sommes-nous pas voués à une oscillation indéfinie entre le faux apitoiement sur nos fautes et le faux rassurement de notre innocence ? En fait, dans les deux cas, l’homme, dont le cœur est blessé et pécheur, cherche en lui sa propre harmonie. Qu’il dise « je m’accuse » ou « je m’excuse », c’est son « je » qui est au centre. Mais nous ne trouvons notre centre de gravité (au double sens du terme « gravité ») que dans celui qui est Vrai homme, son Sauveur. Comment ?

D’abord et avant tout, en confessant avec saint Paul : « Il m’a aimé et s’est livré pour moi » (Ga 2,20). Moi, Pascal. J’eus été l’unique homme pécheur, Jésus serait monté sur la Croix pour me sauver. Est-ce que je crois que « pour moi, Tu l’as fait », comme le répète un chant inspiré du groupe Glorious ? En effet, des deux pôles entre lesquels nous oscillons et vacillons, le pire oubli est celui du « trop grand amour du Père » (Ép 2,4) pour moi. Mieux vaut abuser de la miséricorde que de n’en pas user. Et s’il est si difficile de reconnaître humblement ses péchés, c’est souvent parce que nous n’avons pas d’abord reconnu longuement combien nous sommes follement, inconditionnellement et éternellement aimés. L’enfant prodigue que le Père serre longuement sur son cœur, c’est moi.

Ensuite en reprenant les paroles mêmes que Jésus a priées pendant sa Passion d’amour. La liturgie nous donne de les entendre à travers les psaumes de l’Office des ténèbres que nous pouvons trouver dans leur version liturgique, sur le site de l’Aelf. Par exemple, l’office des lectures nous donne de méditer successivement la victoire de Dieu contre tous ses ennemis (Ps 2) – cela fait du bien ! –, la détresse inouïe de Jésus (Ps 21) que le Père « a fait péché pour nous » (2 Co 5,21) et, seulement alors, sur mes péchés (Ps 37) : je ne puis confesser « Je m’effraie de ma faute » (v. 19) que parce que je supplie « Viens vite à mon aide, Seigneur, mon salut » (v. 23).

Enfin, en méditant sur les plaies de mon Jésus. Le site Aleteia propose en cette Semaine Sainte de bouleversantes contemplations des sept blessures qui lui furent infligées ce Saint Vendredi. En chacune, je reconnaîs symboliquement et concrètement combien mon péché, s’il blesse moi-même et mon prochain, blesse d’abord de manière infiniment douloureuse Celui qui m’a vu Le blesser lors de son agonie. En chacune, je trouve la guérison totale et le pardon transformant de Celui qui me réconcilie avec lui à travers les sacrements de son Église : « Par ses blessures, nous sommes guéris » (Is 53,5. Cf. 1 P 2,24).

André Frossard disait dans une heureuse formule que l’homme ne peut vivre qu’au-dessus de ses moyens. De ses pauvres moyens humains. Fait pour Dieu, il ne peut l’atteindre que par Lui, l’attendre de Lui et l’étreindre en Lui. L’atteindre par le Père, l’attendre de l’Esprit-Saint et l’étreindre en Jésus. L’Ami incomparable qui nous est tout.

Pascal Ide

[1] Louis Lochet, Jésus descendu aux enfers, coll. « Épiphanie », Paris, Le Cerf, 1979, p. 145.

7.4.2023
 

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