L’Eucharistie, sacrement de la communion

Le premier Congrès eucharistique de Bénévent, en Italie, qui s’est tenu du 25 mai au 2 juin 2002, a porté sur le thème « Eucharistie, communion et solidarité ». Dans l’intervention finale (la Lectio magistralis), le cardinal Joseph Ratzinger constate que « lors de la crise des années soixante et soixante-dix, de nombreux missionnaires parvinrent à la conviction que la mission, c’est-à-dire l’annonce de l’Évangile en Jésus-Christ, ne serait plus nécessaire aujourd’hui : la seule chose qui aurait encore un sens serait d’offrir un service de développement social [1] ». Il ajoute que cet analphabétisme religieux s’accompagne souvent d’un discours de tolérance : chaque peuple doit conserver sa propre religieux et qu’il ne faut pas les importuner avec la nôtre. Mais allons plus loin : s’agit-il véritablement d’un respect de la religion de chacun ? « Il s’agit au fond ici – souvent sans le savoir – d’un mépris du fait religieux en général et pas du tout d’estime pour les autres religions, comme il pourrait sembler : la religion est considérée chez la personne comme un résidu archaïque, qu’on doit lui laisser, mais qui en dernière analyse n’a rien à voir avec la véritable grandeur du développement ».

La communion, concept à la mode, est souvent prise dans un sens seulement horizontal (la communion entre les hommes). Or, il n’est que trop clair que, dans l’Écriture, sa signification est à la fois horizontale et verticale, ou plutôt d’abord verticale, d’où découle la dimension horizontale. Tel est le cas du grand texte johannique (1 Jn 1,1-7).

Mais, plus encore, cette communion verticale, pour saint Paul et la tradition de l’Église à sa suite, prend la forme singulière de la communion eucharistique. « Le concept de communio est tout d’abord ancré dans le Très Saint Sacrement de l’Eucharistie ». C’est ce qu’exprime le grand texte paulinien sur la communio (1 Co 10,16 s). D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si, dans le langage de l’Église, on a voulu appeler communion la réception du Corps et du Sang du Christ.

Enfin, l’Écriture articule très précisément cette double communion à partir de la donation et, au fond, à partir de la dynamique des trois dons. Par la communion verticale, eucharistique, nous recevons le corps et le sang du Christ. Or, le sang, dans la tradition juive, signifie la vie. C’est donc la vie même de Jésus. Or, le sang est versé. Donc, la vie même que l’on reçoit dans l’Eucharistie est une vie livrée, donnée. Donc, « la communion de sang est […] une insertion dans la dynamique de cette vie » et « la dynamisation de notre existence » est que « celle-ci peut devenir un être pour les autres ». On le voit, le cardinal Ratzinger n’explicite le passage entre la vie donnée de Jésus se donnant en communion à notre vie donnée que par un bref mot : « insertion ». Il demanderait à être précisé : inscription ontologique, avant tout ; mais aussi imitation opérative.

Ce qui est vrai du sang l’est plus encore du corps. Repartons, là encore, des paroles de saint Paul, que le cardinal Ratzinger qualifie d’« impressionnantes » : « c’est un seul et même pain, que nous recevons ici ». En effet, celui auquel nous communions n’est pas une chose, mais la Personne même du Christ. Or, le Christ n’est pas multiplié comme le seraient des morceaux de pain, il est unique. Par conséquent, quand nous communions, « nous ‘mangeons’ tous la même personne ». Or, selon l’intuition si forte de saint Augustin dont Ratzinger dit qu’il l’a perçue « dans une sorte de vision » : quand nous mangeons le pain des forts, le Christ, nous ne le transformons pas en notre corps, mais nous transformons notre corps en lui. Donc, par la communion, nous devenons tous une réalité unique, le Christ. D’où une double unité : avec le Christ et entre nous, horizontale et verticale. Il se produit donc une transformation : nous sommes « arrachés à noter individualité circonscrite et insérés dans une individualité plus grande ».

Telle était l’intuition du père de Lubac dans Catholicisme : la communion sociale possède une profondeur christologique et eucharistique. « Dans l’Église antique, note le cardinal Ratzinger au début de la conférence suscitée, l’Eucharistie s’appelait souvent simplement Agape-amour, c’est-à-dire Pax-paix ; les chrétiens de l’époque ont ainsi exprimé de façon incisive le lien incomparable entre le mystère de la présence cachée de Dieu te la pratique du service de la paix, de la façon des chrétiens d’être la paix [2] ».

Pascal Ide

[1] Cardinal Joseph Ratzinger, « Eucharistie, communion et solidarité », Lectio magistralis du premier Congrès eucharistique de Bénévent, en Italie (25 mai-2 juin), le 2 juin 2002, texte dans ORf, n° 29, 16 juillet 2002, p. 8 et 9 et n° 30, 23 juillet 2002, p. 9 et 10. Le texte de la conclusion dont il est ici question se trouve à la page 10.

[2] Ibid., p. 8.

25.2.2021
 

Comments are closed.