L’être comme amour. Premières propositions autour de l’acte et de la puissanc

Pascal Ide, « L’être comme amour. Premières propositions autour de l’acte et de la puissance », Blandine Lagrut et Étienne Vetö (éds.), La vérité dans ses éclats. Foi et raison, Colloque de la Communauté du Chemin Neuf, Tigery, du 8 au 11 décembre 2011, Paris, Parole et Silence, 2014, p. 297-323.

à Emmanuel Tourpe

« Dès le principe, cette métaphysique [de l’acte et de la puissance] saisit l’être comme surabondant [1] ».

Le propos de cette intervention est de relire le couple catégoriel de l’acte et de la puissance à partir de l’amour. Cette intervention s’inscrit dans le prolongement d’autres analyses qui cherchent à ébaucher une métaphysique de l’être comme amour [2]. Ne pouvant ici en résumer les acquis, je dérogerai à la règle du « De nobis ipsis silemus » et ferai mémoire de deux moments notables de ma trajectoire intellectuelle : ma prime formation, notamment philosophique, à l’école de saint Thomas, m’a enseigné la centralité de l’être ; depuis une vingtaine d’années, la patiente étude de Hans Urs von Balthasar m’a enseigné la centralité de l’amour ; ayant appris, parfois à mes dépens, que l’exclusion est toujours stérile, mais que l’intégration, donc le croisement des pensées, est plus difficile, plus risquée, mais autrement féconde, je tente, depuis quelques années, avec les ressources qui sont miennes, de contempler l’amour au cœur de l’être. C’est dire que la perspective adoptée est résolument métaphysique. C’est dire aussi que mon propos ne se contentera pas de répéter ce que la tradition aristotélicienne et thomasienne nous a transmis sur le binôme énergéia-dunamis, mais tentera de montrer que l’introduction de l’amour permet d’en approfondir la problématique, voire d’en éclairer certaines apories.

Traiter de l’acte et de la puissance, c’est s’affronter à un certain nombre de difficultés. Certaines apories touchent la paire acte-puissance elle-même : sa légitimité, son ordre (primauté de l’effectivité ou de la possibilité), etc. Le paragraphe suivant, par exemple, s’interrogera par exemple sur l’illimitation de l’acte. À ceux qui jugeraient d’emblée obsolètes les catégories d’acte et de puissance, je rappellerai seulement – sans ignorer que argumentum auctoritatis debilissimum en philosophie – que Paul Ricœur n’a pas dédaigné les convoquer pour prolonger sa phénoménologie de l’ipséité qui elle-même concrétisait sa philosophie linguistique [3] – ce qui, soit dit en passant, montre que ces trois perspectives, analytique, phénoménologique et métaphysique [4], auxquelles on pourrait ajouter l’herméneutique, loin de s’exclure, peuvent s’enrichir mutuellement [5].

D’autres objections concernent l’amour, et le paragraphe qui lui est consacré s’ouvrira sur la plus centrale. Enfin, certaines intéressent la connexion entre le dipôle acte-puissance et l’amour. Nous ne considérerons que ces dernières. Même alors, il nous faut encore beaucoup trier et n’en retenir que trois.

  1. L’amour se distingue adéquatement en amor concupiscentiæ et amor amicitiæ. Or, Thomas d’Aquin rend compte de ce couple à partir de la différence acte-puissance [6]. Par conséquent, c’est la distinction acte-puissance qui doit rendre compte de ce qu’est l’amour et non l’inverse.
  2. L’amour unifie des individus, donc des substances ou des ipséités différentes, alors que l’acte et la puissance unit les co-principes internes à une même substance. Deux unum hétérogènes sont donc en jeu : l’unio et l’unitas. Or, l’union (unio) est plus lâche que l’unité (unitas) : « unitas potior est quam unio [7]». L’amour exprime donc inadéquatement la relation actus-potentia.
  3. Si les deux premières difficultés proviennent des Anciens, cette dernière sonne moderne. Pris dans son sens plénier, l’amour est un acte humain qui se dit de l’être doué de liberté. Or, l’acte et la puissance est une distinction première de l’être qui s’étend à toutes choses. Par conséquent, alors que certains estiment que les catégories métaphysiques sont impropres à signifier le proprium d’un acte spirituel, l’amour [8], la conclusion est ici inverse, mais aboutit à la même incompétence : les notions comparées ne présentent pas la même extension [9].

L’exposé traitera successivement les catégories qui composent l’énoncé – le couple acte-puissance (1) et l’amour (2) –, leur cherchant un dénominateur commun ; puis il les nouera (3), avant de conclure en répondant brièvement aux objections soulevées (4).

1) L’acte et la puissance

Pour approcher le cœur de l’acte, je procéderai en trois étapes qui conduiront à quelques apories ouvrant à la réflexion sur l’amour.

a) Perfection

Ainsi qu’on le sait, la doctrine de l’acte et de la puissance fut élaborée par Aristote en réponse aux difficultés posées par les présocratiques, singulièrement dans la querelle reconstruite entre Héraclite et les Eléates (Parménide, Mégariques, etc.) relative à l’existence et la nature du devenir, mais aussi à celles du multiple. Dans la lignée des « grands genres » distingués par le Sophiste de Platon, le Stagirite propose à son tour une catégorisation ultime : l’être, qui se dit de multiples manières, se dit aussi de la puissance et de l’acte. Loin d’être déduites, ces notions sont patiemment induites de l’observation du réel qui, notamment, aboutit à deux définitions dont la célébrité atteste la génialité : celle du mouvement comme « entéléchie de ce qui est puissance en tant que telle » et celle de l’âme comme « entéléchie première d’un corps naturel ayant la vie en puissance [10] ». L’acte – entéléchéia que, par commodité, nous identifierons à énergéia [11] – dit détermination, achèvement, perfection, face à la dunamis qui est principe d’inachèvement mais aussi de continuité dans le devenir. Ces affirmations sont trop connues pour qu’il vaille la peine d’insister.

b) Communication

Acte dit plus que perfection, il dit perfection qui se communique à la puissance. Pour le comprendre, il faut maintenant les joindre à un autre couple catégoriel, la finitude et l’infini. Or, leur relation a connu un stupéfiant renversement dans l’histoire de la pensée.

Pour un Grec – en tout cas pendant plus de huit siècles –, la clôture est synonyme de perfection et l’infinité (ou plutôt l’indéfinité) d’imperfection. Cette équivalence fut thématisée par les Pythagoriciens pour qui la distinction première et décisive est celle du péras et de l’apéiron. Dès lors, l’acte se trouve du côté de la finitude et la puissance de l’illimité – même si les notions qui se recouvrent extensivement ne coïncident pas conceptuellement. Là encore, ces conclusions sont sérieusement documentées. Pourtant, il n’est pas inutile de le rappeler, tant une relecture rétrospective du Stagirite à la lumière de saint Thomas a fait croire que le principe « l’acte n’est pas limité sinon par la puissance [actus non limitatur nisi per potentiam] [12] » était sinon d’Aristote ou au moins aristotélicien. Non seulement une lecture attentive du Philosophe ne le rencontre jamais, non seulement ses premiers commentateurs ne mentionnent nulle limitation de l’acte par la puissance, mais ce principe est contraire à la mens aristotelica. « Perfection s’égalise avec la finitude – dit l’aristotélicien Joseph Owens –, l’acte coïncide avec la forme. Cette philosophie de l’acte ne conduit pas dans la direction du Dieu tout-puissant chrétien [13] ». Il est d’ailleurs significatif que nulle part, en argumentant sur l’infinité divine, Thomas ne fasse appel à l’autorité d’Aristote sur ce sujet [14]. On pourrait le montrer aussi pour Platon, même si sa théorie des relations entre fini et infini a évolué : « Dans toute idée, il y a du défini relatif à l’être et un infini relatif au non-être [15] ».

Toutefois, à partir de Plotin, s’opère une véritable révolution dans la saisie de l’infini : pour la première fois dans l’histoire d’Occident, le terme d’apéiron est employé pour exprimer la perfection [16]. À la suite du maître alexandrin, l’école néoplatonicienne inverse le chiffre de l’infinité pour la qualifier positivement – prédiquant l’imperfection de la limite [17]. Certes, il existe encore un infini d’imperfection dans l’ordre la matière ; mais de l’Un est prédiqué un infini de perfection, dénué de tout inachèvement. La raison ultime ne s’enracine pas seulement dans l’ontologie de l’esprit et de la matière, mais dans la métaphysique de la participation : le Principe est conçu comme source dont tout participe ; or, le sujet participé limite la forme participante à la mesure de ce qu’il reçoit. Ce renversement ne pouvait pas ne pas retentir sur la manière de comprendre l’acte. De principe de limitation, il devient principe d’illimitation sans cesser de dire la perfection ; plus encore, l’acte – ici le Bien qui est aussi l’Un – devient fécond, de sorte que la causalité tient à la plénitude d’être et non à son défaut. Dès lors, toute l’imperfection est renvoyée à la finitude et à la puissance – jusqu’à suspecter la matière de malice. Cette doctrine passera dans le christianisme et se condensera dans l’axiome dionysien du bonum diffusivum sui [18]. Les grands docteurs médiévaux convoqueront volontiers le principe de la diffusivité du bien (et de l’acte) pour rendre compte théologiquement ce qui demeure un mystère révélé : la fécondité divine – ad intra ou immanente (les processions trinitaires) et ad extra ou économique (la libre création, voire l’Incarnation) [19].

Cette révolution historique, encore largement énigmatique, met en lumière les termes d’un débat métaphysique décisif : l’acte est-il par nature fini ou infini ? Frère Thomas l’a résolu dans le sens de l’infinité. On a habituellement tendance à le montrer en convoquant la grande nouveauté thomasienne : la doctrine de l’esse qui, justement, est actus essendi, « acte d’être ». C’est vrai, mais c’est aller trop vite en besogne. En effet, pour l’aristotélicien qu’est Thomas, l’acte se dit d’abord de la forme [20] et la forme est communicable. Il demeure que l’acte se dit, par excellence, de l’esse : « acte de tous les actes [actualitas omnium actum] [21] », il est à l’essentia qui est déjà principe de détermination et donc d’actuation, ce que l’acte est à la puissance qu’elle détermine. En effet, l’être est au-delà de tout genre et donc de tout concept : inaccessible à la première opération de l’esprit qui le réduit à une notion, il n’est connaissable que par un jugement d’existence [22]. Or, la définition dit la finitude. Voilà pourquoi, plus clairement que de l’essence ou de la forme, l’illimitation se prédique de l’acte d’être. L’esse est infini au second degré, comme il est perfection redoublée, perfection de la perfection qu’est l’essentia.

Or, en étant corrélé non plus à la finitude, mais à l’illimitation, l’acte ne change pas seulement quant à la propriété, mais quant à l’essence. Désormais la perfection actuelle ne se comprend plus seulement comme relation à soi – ce qu’elle demeure – mais comme expansion ; corrélativement, l’inachèvement sera synonyme de carence en générosité.  Autrement dit, la forme, l’essence, l’esse ne diffusent pas pour trouver en autre qu’eux la perfection qui manquerait en eux, mais par surabondance, par plénitude débordante. L’infinité de la perfection qu’est l’actus n’est pas à entendre au seul sens intensif, tournée vers soi, comme une perfection dans l’auto-possession de soi, comme une capacité à durer toujours, à demeurer sans nul principe interne de corruption – le conatus spinoziste. Elle doit se comprendre au sens en quelque sorte expansif, extatique, tournée vers l’autre que soi, comme diffusion de soi, communication de soi. Finance distingue clairement ces deux aspects de la perfection caractéristique de l’acte : « La perfection est, selon saint Thomas, naturellement expansive. Non seulement elle tend à se réaliser elle-même intégralement, si nulle puissance ne la limite : par delà son propre accomplissement elle vise au don de soi [23] ».

C’est ce que les sciences de la matière et de la vie nous enseignent massivement aujourd’hui – retournant, de manière aristotélicienne, à l’humble induction de ce qui s’appelle au sens étymologique méta-physique (qui est autant méta-cosmologique que méta-anthropologique), tout en enrichissant l’antique Physique non seulement d’une connaissance beaucoup plus intime de la structure et du dynamisme des êtres naturels, mais d’une perception systémique et diachronique : depuis l’association d’un rayonnement à tout corpuscule (Louis de Broglie) et l’auto-expansion radiative et isotrope qui est constitutive de l’étoile, jusqu’à la communication de la vie, aussi interne (les cellules se multiplient tant que n’intervient pas l’inhibition de contact) qu’externe (une espèce se propage avec endurance et inventivité tant que n’intervient pas la présence autrement conflictuelle d’une autre espèce vivante occupant le même biotope [24]), s’élargissant magnifiquement dans l’élan évolutif qui ne cesse d’inventer de nouvelles configurations, jusqu’à « faire des dieux » [25].

c) Communication le plus possible

Mais l’acte n’a pas révélé son alcyonienne culminance de perfection. Non seulement il est autodiffusif, mais il se communique le plus possible. Un passage du De Potentia, qui introduit un développement sur la génération éternelle du Fils, en offre l’énoncé le plus limpide : « La nature d’un acte est qu’il se communique lui-même autant que possible [26] ». L’on peut donc distinguer deux aspects dans le principe de fécondité : le « principe de communication par nature » lui-même (« Natura cuiuslibet actus est, quod seipsum communicet ») et sa modalité qui est le « principe d’intensité » [27] ou de maximalité (« quantum possibile est »).

Par exemple, la forme est non seulement communicable, mais communicable le plus possible. En effet, seule la matière en limite l’expansivité naturelle. « La communication suit la raison d’acte [communicatio consequitur rationem actus] ; donc toute forme, autant que cela dépend d’elle [quantum est de se], est communicable [28] ». Il en est de même de l’esse : non subsistens [29], il tend à communiquer la perfection de son actualité (actus essendi) à toute essence réceptrice.

d) Communication encore mystérieuse

Si enrichie soit la doctrine de l’acte, deux interrogations demeurent ouvertes qui introduiront la nécessité d’un nouveau concept pour penser adéquatement la relation acte-puissance.

La première vient de l’axiome lui-même. Pourquoi l’acte ne se limite-t-il pas, ainsi qu’on le disait, à l’auto-conservation, à la perfection de sa vie propre ? De fait, le Dieu d’Aristote apparaît tourné vers sa propre félicité ; toute donation ad extra appauvrirait ou menacerait cette perfection. Certes, le principe d’auto-communication de l’acte est le fruit d’une patiente induction, notamment auprès des vivants, que les sciences actuelles confirment ou enrichissent. Mais, d’abord, dans les passages où Thomas (et cela vaut aussi pour les autres auteurs médiévaux) emploie le principe de l’actus diffusivus suipsius, ces échaufaudages ont disparu. Ensuite, demeure la question dans toute sa légitimité : l’auto-diffusion de l’acte est-elle un principe dernier ou renvoie-t-elle à une explication encore plus ultime ?

Une seconde difficulté naît d’une exégèse fine des textes de saint Thomas. Le principe de maximalité qualifie-t-il l’acte lui-même ou la proportion de l’acte à la puissance ? [30] Autrement dit, l’acte s’épanche-t-il autant qu’il le peut, simpliciter, ou bien autant que le peut la puissance réceptrice, donc secundum quid ? Certains textes de l’Aquinate penchent vers la première hypothèse [31], d’autres vers la seconde [32]. Or, derrière les questions herméneutiques surgissent des interrogations métaphysique (« expliquer plus pour comprendre mieux »). D’un côté, l’auto-communication simpliciter fait intervenir la liberté : autant elle est concevable pour les êtres dénués de raison, autant elle pose problème pour les êtres libres, a fortiori en Dieu. La question ne concerne pas le fait de l’auto-détermination, supposé acquis, mais celui de sa modalité : toute communication se doit-elle d’atteindre son maximum ? Le donateur (Dieu, l’homme, etc.) doit-il se communiquer le plus intensément possible ? De l’autre côté, un acte qui ne diffuserait pas le plus possible ferait migrer la finitude du côté de la cause elle-même ; de plus, elle placerait paradoxalement la générosité toujours expansive de la nature au-dessus de la parcimonie possible et parfois réalisée de la liberté.

Avec cette deuxième interrogation, nous avons quitté la seule considération de l’acte pour introduire, à nouveau, son vis-à-vis qu’est la puissance. De fait, on n’aura pas manqué de remarquer la pauvreté de la réflexion sur la puissance qui n’est apparue qu’au titre de l’autre de l’acte et comme principe de limitation. Nous avons aussi introduit un élément qui demeure l’un des grands non-dits de l’élaboration aristotélico-thomasienne de la doctrine de l’acte et de la puissance, et qui a fait l’objet d’une difficulté : la place de la liberté renouvelle-t-elle cette différence, non pas de l’extérieur, comme l’est par exemple la différence entre puissances rationnelles et irrationnelles déjà traitées par Aristote [33], mais de l’intérieur, c’est-à-dire au ras même de la distinction dunamis-énergéia, qui en recevrait une structuration différente ?

2) L’amour

C’est à ce point qu’intervient un troisième terme, non pas tant médiateur qu’illuminateur : l’amour [34]. Mais aussitôt se pose à nous une aporie, et non des moindres : la coexistence de deux conceptions incompatibles de l’amour humain [35].

a) Aporie

Au sens le plus courant, l’amour est un sentiment qui naît de l’attrait d’un bien – celui-ci devant s’entendre au sens ontologique et non moral comme ce qui plaît, suscite une inclination. Ce bien peut non seulement être éprouvé comme aimable, mais choisi. Dès lors, l’amour apparaît non plus comme une passion, mais comme un acte de la volonté. C’est ainsi que, en italien, « ti voglio bene » est presque synonyme de « ti amo ». Par conséquent, aimer, c’est vouloir le bien de l’être aimé – telle sera la première définition de l’amour [36]. L’amour est une bienveillance, au sens étymologique du terme.

Toutefois une telle approche ne dit pas tout. D’abord, Aristote, et S. Thomas à sa suite, répètent souvent que le sommet de l’amour (par exemple de l’amitié) consiste à aimer son ami comme un autre soi-même. Mais cette continuité honore-t-elle suffisamment l’altérité d’autrui et l’expérience d’arrachement qu’implique l’amour dans sa radicalité ? Ensuite, l’amour s’inscrit-il seulement dans le prolongement du bien qu’est l’autre ? N’est-il pas une réponse inédite et irréductible à ce seul bien ? Ainsi, face au bien d’une même personne, l’un réagira par la gratitude ou l’admiration, alors que l’autre répondra, de manière totale, par l’amour.

Aussi une seconde approche semble-t-elle nécessaire qui souligne d’une part l’irruption de l’altérité, d’autre part l’originalité de la réponse. Celle-ci réside par conséquent en un don de soi incommensurable au bien qui a suscité l’amour. Dès lors, l’amour se définit comme un don de soi [37]. Mais, à son tour, cette seconde définition ne dit pas tout : elle n’exprime plus l’appel premier du bien et manque l’enracinement de l’amour de l’autre dans le moi.

Si ces deux approches ont en commun d’être structurées à partir d’une même tripolarité – d’un côté, l’aimant, l’aimé, le bien à communiquer ; de l’autre, le donateur, le récepteur et le don (cadeau) –, elles s’opposent donc sur de multiples points, notamment deux qui sont essentiels : l’amour-bienveillance valorise la tension vers un terme tandis que l’amour-don, valorise l’origine ou le jaillissement ; l’amour-bienveillance souligne la continuité ou le même entre le je aimant et le tu aimé, l’amour-don la rupture ou l’altérité. « La communication suit la raison d’acte [communicatio consequitur rationem actus] ; donc toute forme, autant que cela dépend d’elle [quantum est de se], est communicable [38] ».

Doit-on se résigner à une bipolarité irréductible, comme le demande Romano Guardini [39] ? Saint Thomas lit l’Écriture trop attentivement pour ignorer que l’amour est extase de soi [40], don de soi [41] et autocommunication [42]. Toutefois, il ne définit jamais l’amour comme une auto-communication ; encore moins explicite-t-il l’auto-communication dans le lexique de la donation. Il ne propose donc pas de synthèse des deux définitions de l’amour. Ou bien peut-on réconcilier ces deux pôles ? L’expérience montre qu’une même personne peut vivre des deux formes d’amour (vouloir le bien et se donner). Se complétant, elles se compensent mutuellement. Comme si l’amour-bienveillance et l’amour-don rendaient compte des deux aspects constitutifs du mystère de l’amour, entrelaçant finalité et efficience, achèvement de soi et sortie de soi, même et autre, continuité et nouveauté, etc. Comment penser de manière réconciliée ce que la vie de l’amour, qui nous précède, se charge d’unir ?

b) Réponse insuffisante

L’expérience dévoile aussi une évolution chronologique et plus encore ontologique, d’une forme d’amour à l’autre. C’est elle que décrit avec minutie et profondeur Karol Wojtyla, dans la section intitulée « Analyse générale de l’amour » – analyse qui « a un caractère surtout métaphysique », versus les analyses psychologique et morale – de son livre Amour et responsabilité [43]. Cette métaphysique de l’amour s’avère être le passage progressif de l’attrait à « l’amour sponsal », autrement dit l’amour de don, en passant par la concupiscence, la bienveillance et l’amitié (qui implique réciprocité). Nous observons donc un progrès depuis ce que j’ai appelé l’amour-bienveillance – inclination passive vers le bien ou les valeurs qui, passant de la sphère sensible à la sphère spirituelle, devient volonté active de bien – à l’amour-don : « ‘Se donner’, c’est plus que ‘vouloir du bien’ [44] ».

Cette fine analyse – la plus fine que j’ai trouvée sur l’entrelacement des deux formes d’amour – les réconcilie-t-elle ? Il ne me semble pas. D’un côté, le futur pape fait de l’amour sponsal l’achèvement de l’amour-bienveillance et donc le « perfectionnement » de soi. De l’autre, il souligne la rupture : le don fait « sortir de son propre ‘moi’ ». En proposant une vision évolutive, Wojtyla a, en réalité, et quoi qu’il s’en défende, opté pour la perspective continuiste de l’amour-bienveillance, contre la perspective discontinuiste de l’amour-don. Il ne peut donc dépasser le « profond paradoxe […] de l’amour sponsal ». [45]

c) Autre proposition

Si la démarche – en quelque sorte ascendante – qui passe de l’amour-bienveillance à l’amour-don ne tient pas ses promesses, pourquoi ne pas tenter la démarche inverse – en quelque sorte descendante – : passer de l’amour-don à l’amour-bienveillance ?

Une telle proposition paraît redoubler le paradoxe en invitant à comprendre le plus imparfait à partir du plus parfait. Elle me semble pourtant détenir la clé. En voici le cœur : l’amour doit se comprendre avant tout comme donation de soi ; en aimant, non seulement celui qui aime sort de lui, mais il veut se communiquer le plus possible. Il se heurte alors aussitôt au paradoxe du don de soi : en suivant sa propre logique datrice, le moi qui se donne ne peut que se perdre. Comment le « soi » qui est le sujet, c’est-à-dire la source du don peut-il en être aussi l’objet, c’est-à-dire ce qui est aban-donné ? Faut-il renoncer au principe d’identité pour penser le phénomène érotique ? Le sacrifice me semble trop grand et contient en germe toutes les tentations mortifères d’abolition sacrificielle du moi, dont l’histoire propose un échantillon parfois édifiant, souvent inquiétant – depuis la dissolution des « je » dans l’amour-passion narré par la littérature, jusqu’aux spiritualités victimales qui pullulent de la seconde moitié du dix-neuvième siècle à la moitié du siècle suivant, en passant par les multiples variantes de la thématique toujours renaissante de l’amour pur [46]. La seule solution est la suivante : à défaut de pouvoir donner son ipséité, de se donner, l’aimant donnera de multiples dons qui sont autant de biens. Ce faisant, l’amour de don devient amour comme volonté de bien. Mais tout hiatus, a fortiori toute tension dialectique, a disparu. En effet, l’amour authentique ne consiste pas à donner des biens ou à pouvoir le bien de l’autre, mais à se donner dans ces biens, à travers la médiation de ces biens. L’amour de bienveillance n’est pas une forme amoindrie de l’amour de don, une solution de remplacement – opposée à la vision évolutive et ascendante où le premier prépare le second, l’appelle et le promet –, mais il en est l’expression, la manifestation efficace. Le néoplatonisme pourrait subtilement investir la relation processuelle entre les conceptions de l’amour en la comprenant comme une chute (à la chute ontologique dans la matière et à la chute noétique dans la représentation s’ajouterait donc une chute éthique dans l’amour de bienveillance ou de complaisance). Je lui oppose une conception néguentropique, sans dénivelation, mais non sans asymétrie, de type ontophanique, faisant de l’amour de bienveillance l’expression nécessaire mais toujours en-deçà, de l’amour sponsal. Aussi, pour se dire et même pour exister, la richesse de l’amour ne possède-t-elle que la pauvreté des signes.

Une confirmation peut se tirer d’une observation passionnante que l’on doit à saint Thomas : « Les autres opérations de l’âme ne portent que sur un seul objet [unum solum obiectum], l’amour seul semble se porter vers deux objets [solus amor ad duo obiecta ferri videtur] ». En effet, « l’amour, lui, veut quelque chose pour quelqu’un, car nous disons que nous aimons celui à qui nous voulons du bien ». En revanche, « en pensant ou en nous réjouissant, il faut que nous nous portions d’une certaine manière vers un objet [47] ». Notre auteur donne d’ailleurs un nom différent à chacun de ces amours : amor concupiscentiæ et amor amicitiæ. Toutefois il en demeure à ce fait très remarquable, sans en donner nulle explication [48]. Pourquoi l’amour constitue-t-il un hapax parmi les sentiments ? Et si la réponse était justement celle-ci : l’amour ne constitue pas un sentiment à part ? Source des différentes passions, il ne peut que partager leur commune essence. Or, les dix autres affects sont spécifiés par un unique objet. Ainsi, don de soi et don des biens doivent s’unifier dans un unique dynamisme affectif hiérarchisé. Précisément, pour éviter toute juxtaposition, le don de soi enveloppe et engendre la circulation des dons qui, en retour, l’incarne et le révèle.

Quoi qu’il en soit du détail qui requerrait des développements beaucoup plus amples et argumentés, concluons que l’amour est, en son essence, communication de soi et que cet amour contient, de manière non déductive, l’amour de bienveillance comme son expression effective.

L’on objectera que, au moins pour la créature, l’amour présuppose toujours le bien aimé. En effet, si performative soit la parole de l’aimant (« Je t’aime »), jamais elle ne crée son ‘objet’ – à moins de sombrer dans l’illusion romantique [49]. Loin de précéder l’amour comme bienveillance (et l’attrait vis-à-vis du bien), le don de soi le suit.

Il est impossible de répondre en détail à cette difficulté qui renoue avec la démarche ascendante décrite par Karol Wojtyla. Je renverrai aux études lumineuses de Dietrich von Hildebrand qui montre que si l’amour présuppose toujours l’appel né de la valeur (le bien) de l’être aimé, il est aussi une réponse et, à ce titre, est un don sans proportion avec cet appel ou attrait : le signe en est que certains sentiments comme l’admiration ou la vénération sont proportionnés à ce bien, alors que l’amour inclut un don que rien, dans cette valeur, ne peut nécessiter [50].

Enfin, la loi du don d’amour n’est pas seulement celle de la générosité, mais de la générosité maximale. En effet, compris en sa logique fontale, l’amour est avant tout don de soi ; or, l’aimant n’a pas plus grand à donner que lui-même ; par conséquent, en se donnant, il donne le plus possible. S. Thomas l’affirme en commentant cette autobiographie spirituelle de saint Paul qu’est le passage de Ga 2,20 « Ce n’est plus moi qui vis, pour moi vivre, c’est le Christ ») : « L’amour induit l’union aux choses, autant qu’il est possible [quantum possibile est] ; voilà pourquoi l’amour divin fait que l’homme, autant qu’il est possible [secundum quod possibile est], vit non pas de sa propre vie, mais de celle de Dieu [51] ». L’on pourrait aussi convoquer les développements de Maurice Blondel qui trouve leur aboutissement dans une formule décisive de son dernier opus : « L’amour est par excellence ce qui se répand, ce qui fait être, ce qui élève en donnant le plus possible de soi [52] ».

Une confirmation de cette loi d’intensité pourrait venir d’une hypothèse historique. L’affirmation si nette de l’illimitation de l’acte n’a-t-elle pas bénéficié de la révélation biblique et chrétienne [53] – même si on peut trouver des pierres d’attente, notamment dans le démiurge « exempt de jalousie » du Timée [54] ? « Le cours de l’histoire se transforme – écrit Léon Brunschvicg – lorsque, dès les premiers siècles du christianisme, l’infini cesse décidément d’être l’imparfait et l’inachevé, principe de désordre et de mal qu’il faut dompter et limiter pour le soumettre à la loi de la mesure et de l’harmonie. Le Divin change de camp : il passe du fini à l’infini [55] ». Or, l’on sait combien centrale est la révélation de l’amour de Jésus « jusqu’au bout [éis télos] » (Jn 13,1), cet amour filial manifestant lui-même « la trop grande charité [nimiam caritatem] » du Père (Ép 2,4. Trad. de la Vulgate). Ainsi, la modalité maximale serait, une nouvelle fois, corrélée à l’amour : la mesure d’aimer (Dieu, mais aussi toute créature, voire à l’intime de celle-ci) est d’aimer sans mesure.

3) L’union amative de l’acte et de la puissance

a) L’acte

Résumons le chemin parcouru. Nous avons d’abord établi que, en son essence, l’acte n’est pas d’abord une perfection close reposant en elle-même, mais se communique et que cette générosité obéit à une loi du maximum. Nous avons ensuite montré que, là encore en son noyau brûlant, l’amour n’est pas d’abord un attrait (passif) du bien ou un vouloir (actif) du bien de l’aimé, mais auto-donation et auto-donation régie par la plus haute générosité possible.

Puisque l’amour, comme l’acte, non seulement se communique, mais se communique « quantum est possibile », nous pouvons maintenant affirmer que l’amour est la raison ultime de la loi d’illimitation de l’acte autant que de sa modalité intensive. Autrement dit, l’union si étroite de l’acte et de la puissance s’éclaire à la lumière de l’amour, est un lien de nature amative. Dit encore autrement, par amour, l’énergéia se communique – et se communique le plus possible – à la dunamis.

Le logicien objectera que les deux prémisses ont même prédicat et donc que, sans proposition négative, le syllogisme ne conclut pas. Répondre qu’il s’agit de deux définitions, donc d’énoncés permutables, ne suffit pas : la symétrie demeure. Qu’est-ce qui nous assure de la précédence de l’amour sur l’acte ?

D’abord, l’amour qui unit l’acte à la puissance est un amour de don et le don est corrélatif à la réception ; la puissance est donc à l’acte comme son récepteur. De fait, s. Thomas identifie parfois puissance à réceptivité : « Nul acte n’est fini que par la puissance qui est une aptitude réceptive [potentiam, quæ est vis receptiva] [56] ». Or, les notions de donation et réception expliquent d’autres couples métaphysiques, comme la substance et l’accident, le participant et le participé [57], voire les transcendantaux comme le vrai, le bien ou le beau [58]. Plus universels que l’acte et la puissance, ils sont donc antérieurs. Claude Bruaire, dans son ontodologie, accordait au don la même extension que l’être.

Ensuite, les commentateurs de l’Aquinate emploient volontiers le vocabulaire du don pour interpréter les relations entre acte et puissance. Nous avons noté ci-dessus que le père de Finance parle de la diffusion de l’acte en terme de donation (« La perfection […] par delà son propre accomplissement vise au don de soi »). De même, le père Dewan relit le rôle respectif de la forme et de l’être dans les termes de la dynamique du don : « La forme est une potentialité réceptive de l’esse [59] ». On se souvient du texte justement célèbre d’Aristote traitant de la matière, principe potentiel : « Mais le sujet du désir, c’est la matière, comme une femelle désire un mâle, et le laid le beau [60] ».

Enfin, nous avons noté ci-dessus la tension entre deux séries d’affirmations relatives à l’illimitation de l’acte : les premières renvoient au seul acte (la puissance active), c’est-à-dire au donateur, les secondes à la puissance passive, c’est-à-dire au récepteur. Or, la réception, plus que la puissance, exprime une logique propre que la logique d’épanchement généreux se doit d’honorer. Cette patience respectueuse se retrouve dans l’adage scolastique qui convoque, avec une insistance qui est plus que pédagogique, la catégorie amative de réception et non celle de potentialité : « Omne quod recipitur ad modum recipientis recipitur ». Dès lors, la puissance (potentia passiva) se comprend comme le principe limitatif de cette expansion de soi infinie [61] ; mais cette determinatio, loin d’être seulement une negatio, un interdit à l’épanchement (qui, repris au plan anthropologique, la psychanalyse aidant, sera suspecté de toute-puissance), doit être réinterprétée positivement comme une réception, donc relue dans le cadre d’une métaphysique du don, c’est-à-dire de l’être comme amour.

Concluons donc que la propension la plus intime et la plus radicale de l’acte est – comme l’amour et surtout par amour – de se donner « quantum possibile est », c’est-à-dire autant que lui permet son actualité.

b) La puissance

La véhémence ontologique pour laquelle plaide Paul Ricœur est d’abord une véhémence de l’acte. Pour autant, elle n’est pas absente du deuxième pôle, c’est-à-dire la puissance. Celle-ci est liée à l’acte comme ce qui la reçoit. Si l’acte est ce qui, par amour, se communique le plus possible, la même loi d’intensification vaut du côté de la puissance. Il faut donc comprendre, en vis-à-vis, la dunamis comme ce qui reçoit le plus possible. De fait, saint Thomas n’hésite pas à contempler un infini (certes, d’imperfection, mais bien réel) du côté de la puissance, de la matière et de la réceptivité [62].

Cette dynamique, voire cette méta-loi de réceptivité et de potentialité maximale se déploie en au moins quatre lois que je me contenterai d’énoncer :

  1. La loi d’étalement maximal : l’acte se donne d’autant plus qu’il est reçu dans des sujets potentiels qui le multiplient et remplissent ainsi le milieu disponible, non sans une réelle diversification et inventivité qui, à la mesure de la perfection, résorbe toute altérité individuelle dans une différence spécifique.
  2. La loi de stratification maximale : l’acte se communique le plus possible s’il suscite aussi une hiérarchie non plus seulement individuelle, mais spécifique et générique, selon une combinatoire qui, si elle ne saurait épuiser le double infini de l’acte et de la puissance, tend à la plus haute créativité. Cette loi se manifeste aussi dans une richesse plurale et ordonnée de configuration qui joint à la sagesse de l’harmonie et de la finalité orientatrice, le jeu léger et gratuit, confinant parfois au grotesque.
  3. La loi d’attente maximale : le don s’offre d’autant plus qu’il est davantage désiré et qu’il désire davantage. La nature aspire à l’homme et même à Dieu (omnia appetunt a Deo) [63]. La largeur qui est buissonnement horizontal se double d’une hauteur qui est élévation scalaire et se triple d’une profondeur d’attente qui introduit, sans nulle rupture, le don jusque dans l’intimité. Si saint Thomas contemple cet universel appetitus dans son paisible mouvement ascendant, la Naturphilosophie fut aussi fascinée par les ténèbres de l’abîme qui résiste à cette ascension, leur accordant un poids qui peut aller jusqu’à la chute, comme une attirance négative à laquelle il faut s’arracher pour conquérir l’acte comme une victoire. Cet agonie (au sens étymologique) radicale se retrouve a minima dans la lutte horizontale plus encore que verticale entre espèces ou individus, pour peu que son interprétation la circonscrive dans le cadre enveloppant et bénéfique de la généreuse fécondité.
  4. La loi de progressivité maximale. Les trois premières lois, synchroniques, épousaient la tridimensionnalité de l’espace ; la quatrième les historicise dans l’épaisseur de la diachronie. L’acte se donne d’autant plus qu’il se déploie dans la patience du temps, à la fois continue et saltatoire. L’évolution progressive et créatrice couvre désormais l’entièreté des êtres cosmiques.

4) Conclusion

Je répondrai d’abord très succinctement aux trois objections soulevées dans l’introduction, avant de proposer une ouverture en direction de la foi, selon la perspective de ce colloque.

À la première difficulté, le corps du texte a déjà répondu, montrant que désormais l’union d’amour et la distinction don-réception sont les notions premières à partir desquelles toute autre concept, différence doit être pensé – ce qui ne signifie pas déduit, surtout en régime amatif.

À la deuxième difficulté, je réponds que, de prime abord, l’amour ou le couple donation-réception semble desserrer l’unité entre les co-principes essentiels ; il reviendra à une métaphysique de l’unum compris à partir de la centralité de l’être comme amour de conjurer le risque d’une unité seulement terminale face à une multiplicité principielle [64].

À la troisième difficulté, je réponds que cette extension de l’amour à tout l’être embarrasse ni le grec ni le médiéval [65], mais le moderne pour qui l’esprit s’arrache à la nature. L’idéalisme allemand ne manque pas de ressource en ce sens. Ne faudrait-il pas opérer pour l’amour ce que Hegel a fait pour la pensée qui, partant du sens courant l’identifiant à une « activité subjective » [66], l’a étendu à l’ensemble de l’être – mais la dialectique en moins ? S’il convient d’honorer l’inédit introduit par la liberté, la relecture de la différence acte-puissance en clé de donation-réception permet de mieux percevoir la continuité. Il demeure que le travail est encore à faire pour montrer, de l’intérieur, combien la liberté configure de manière nouvelle l’autocommunication propre à l’être d’esprit. Citons à ce sujet le raisonnement d’un philosophe québecois qui était aussi un observateur attentif du cosmos : « l’amour » est « l’aptitude ou la proportion d’une chose à l’égard d’une autre chose » ; or, « la puissance » est « aptitude à l’acte » ; par conséquent, non seulement l’amour lie l’acte à la puissance, mais il s’étend à tout le cosmos : « il y a de l’amour dans l’inanimé et le végétal aussi bien dans le connaissant [67] ».

Les deux méta-lois de communication maximale et de réception maximale en appellent une troisième, l’unité – une unité sponsale analogiquement graduée – elle aussi de plus haute intensité, voire elles se dépassent toutes en un excès qui n’est pas hubris, dans une dernière méta-loi, de fécondité maximale.

Comment, dans un regard de foi, ne pas lire ici une trace, un vestigium – qui ne sera jamais un signe propre et un effet nécessaire [68] – du mystère tripersonnel du Dieu unique, mais aussi de sa manifestation économique dans l’Incarnation ? En ces jours d’Avent où notre méditation va vers une femme dont le sein caché – qui prolonge et révèle la profondeur d’attente de tout le peuple élu [69] et l’espace d’obéissance offert par une âme qui n’est que Fiat (prius concepit in mente) – accueille le Désiré des nations qui est le don le plus sublime offert par le Père des lumières (cf. Jc 1,17) à la création tout entière (cf. Rm 8,19 s), je propose de laisser la parole à un penseur allemand malheureusement presque inconnu en France, Hans André – précisément en citant la fin d’un opuscule de Gustav Siewerth qui lui est dédié. Croisant le plus ajusté et stimulant de la Naturphilosophie avec le plus actualisable de la cosmologie aristotélico-thomiste, le botaniste-philosophe propose une vision du cosmos centrée sur l’union sponsale de l’acte et de la puissance relue dans leur concrétude comme les noces de la terre et du ciel, de la hauteur généreuse de la donation céleste venant à la rencontre de la profondeur d’attente surgissant de la pauvreté réceptive de la terre.

« Un tel accueil [André parle de l’Incarnation] ne lui est donné que sur la Terre, au ‘lieu du pain’ ou au ‘Bethléem de ce monde’, comme Schelling l’a appelé. C’est que tout étant est fondé en lui de manière substantielle, intime, enracinée par le cœur et la terre – ne s’ouvant ainsi au mystère divin que dans la mesure où il est conduit à un ébranlement qui force à l’accueil du fondement radical, ai­mant et générateur, de la nature. C’est pourquoi la Terre est pour André ‘vraiment et ef­fectivement le lieu de la grandeur comme par petitesse, de la richesse comme par pau­vreté, de l’accomplissement comme par manque, du retour comme par exil, de la montée comme par déclin, de la fruition comme par enracinement’ [autant de manières de dire le nœud intime de l’acte et de la puissance]. C’est pourquoi l’enfant dans la crèche est la marque par excellence de l’impuissance de la créature, revenu de soi-même au commencement dont la fin est la fin sans fin dans la jeunesse sans vieillesse – dans ‘le maintenant verdissant et fleurissant éternellement de la vie triuni-tripersonnelle de Dieu’ [70] ».

Pascal Ide, 20 décembre 2011

[1] Jacques Maritain, Court traité de l’existence et de l’existant, Paris, Paul Hartmann et Flammarion, 21964, p. 73.

[2] Cf., notamment : P. Ide, « Une métaphysique de l’être comme amour : relation ou substance ? », II Journées internationales Philosophie et culture. Fenomenologia i ontologia, avui: Esser, amor, do, Barcelone, Université Ramon Llull, Faculté de philosophie, 9 mars 2011, Comprendre. Revista catalana de filosofia, 13/2 (2011), p. 19-54 ; « ‘Velut magnum carmen ineffabilis modulatoris’. Bellezza, splendore dell’amore », « Attirami dietro a te » (Ct 1,4). La bellezza luce della verità, Roma, Pontificio Istituto di Spiritualità del Teresianum, Ed. OCD, 2012, p. 71-127 ; Une théo-logique du don. Le don dans la Trilogie de Hans Urs von Balthasar, coll. « Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum Lovaniensium » n° 256, Leuven, Peeters, 2013, p. 600-618 et 700-704 ; La triple apparition de la beauté, à paraître.

[3] Cf. Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, coll. « L’ordre philosophique », Paris, Seuil, 1990, dixième étude, p. 351-367 ; cf. la synthèse dans Id., « L’attestation : entre phénoménologie et ontologie », Paul Ricœur. Les métamorphoses de la raison herméneutique. Actes du colloque de Cerisy-la-Salle, Jean Greisch et Richard Kearney (éd.), coll. « Passages », Paris, Le Cerf, 1991, p. 381-403.

[4] Pour une première confrontation entre phénoménologie et métaphysique à propos de ce thème, cf. Edith Stein, Potenz und Akt. Studien zu einer Philosophie des Seins, Werke, Hans Rainer Sepp (éd.), Freiburg im Breisgau-Basel-Wien, Herder, tome 18, 1998.

[5] J’ajouterai seulement qu’il ne me semble pas nécessaire d’écarter la substance pour lui préférer l’acte, ainsi que le fait Ricœur au nom de la supériorité de l’ipséité sur la mêmeté (cf. Pascal Ide, « Une métaphysique de l’être comme amour : relation ou substance ? », art. cité).

[6] Cf. ST, Ia-IIæ, q. 27, a. 3.

[7] ST, IIa-IIæ, q. 26, a. 4.

[8] Cf. les critiques de Josef Seifert, Essere e persona. Verso una fondazione fenomenologica di una metafisica classica e personalistica, trad. Rocco Buttiglione, Milano, Vita e Pensiero, 1989, chap. 9 ; Jean-Luc Marion, Le phénomène érotique, Paris, Grasset, 2003.

[9] Dans un registre plus noétique et plus formel, on pourrait dire que, dans l’ordo determinandi autant que dans l’ordo demonstrandi, l’universel précède le moins universel ; or, les catégories acte-puissance qui font partie des primes notions indéductibles en métaphysique sont plus universelles que la notion d’amour ; donc, là encore, le dipôle acte-puissance explique l’amour au lieu d’être expliqué par lui.

[10] Aristote, Physiques, Gamma, 1, 201 a 10-11 De l’âme, B, 1, 412 a 28-29.

[11] Aristote, qui est l’inventeur du terme énergéia, l’autorise en posant une équivalence entre « kata entéléchéian » et « kata to ergon » (Métaphysique, Théta, 1, 1045 b 33-34), même s’il introduit une différence en d’autres passages (par exemple, Ibid., 8, 1050 a 21-23). Cf. George Alfred Blair, Energeia and Entelecheia. « Act » in Aristotle, Ottawa, University of Ottawa Press, 1992.

[12] Cf., par exemple, Iohannes Gredt, « Doctrina thomistica de actu et potentia contra recentes impugnationes vindicatur », Acta Pontificiæ Academiæ Romanæ S. Thomæ Aquinatis, I, 1934, p. 35 ; Id., Doctrina thomistica de potentia et actu contra recentes impugnationes vindicatur, Torino-Roma, Marietti, 1935 ; Lorenz Fuetscher, Akt und Potenz, Innsbrück, Rauch, 1933, p. 68 ; Réginald Garrigou-Lagrange, Reality : A Synthesis of Thomistic Thought, St. Louis (Mo.), Herder, 1950, p. 43-44 ; Carlo Giacon, Atto e Potenza, Brescia, La Scuola, 1947, p. 46.

[13] The Doctrine of Being in the Aristotelian Metaphysics, Toronto, Pontifical Institute of Medieval Studies, 1951, p. 297.

[14] Cf. particulièrement Contra Gentiles, L. I, ch. 43, n. 17.

[15] Sophiste, 256 e. Sur la théorie plus ancienne, cf. Philèbe, 16-18 ; 23 c-30 ; 61-67 ; Politique, 283 c-285 a ; Lois, L. IV, 716 c. L’un des meilleurs exposés demeure celui de Léon Robin, Platon, coll. « Grands Philosophes », Paris, Alcan, 1934, ch. 4.

[16] Cf. Plotin, Ennéades, V, 3, 12 ; V, 5, 6 et 10-11 ; VI, 7, 18 et 32 etc. ; En fait, l’Un-Bien plotinien ne se donne pas comme le Dieu biblique (cf. l’article éclairant de Jean-Louis Chrétien, « Le Bien donne ce qu’il n’a pas », La voix nue. Phénoménologie de la promesse, coll. « Philosophie », Paris, Minuit, 1990, p. 259-274 ; cf. aussi Agnès Pigler, Plotin une métaphysique de l’amour. L’amour comme structure du monde intelligible, coll. « Tradition de la pensée classique », Paris, Vrin, 2002, 1ère partie).

[17] Cf. Proclus, Institution théologique, XXV, etc. ; De Causis, Prop. iv, xix, etc.

[18] Sur l’évolution qui part de Platon, passe par le moyen platonisme et l’école néoplatonicienne d’Alexandrie, pour aboutir au néo-platonisme chrétien, cf. Ambroise Gardeil, art. « Bien », Dictionnaire de Théologie Catholique, Paris, Letouzey & Ané, tome 2/1, 1905, col. 825-843, ici col. 827 s.

[19] Cela est bien connu pour saint Bonaventure et l’école franciscaine ; cela est plus ignoré pour saint Thomas d’Aquin qui a évolué, ainsi que le montre la différence d’exposé du mystère trinitaire entre le De potentia et la Summa theologiæ, mais n’a jamais renié la portée du principe de diffusivité de l’acte et du bien dans l’intelligence du mystère trinitaire (cf., notamment, Emmanuel Perrier, La fécondité en Dieu. La puissance notionnelle dans la Trinité selon saint Thomas d’Aquin, coll. « Bibliothèque de la Revue thomiste », Paris, Parole et Silence, 2009).

[20] D’où l’importance d’expressions comme « forma dat esse » sur laquelle Cornelio Fabro a justement attiré l’attention. Cf. aussi les travaux de Lawrence Dewan, notamment Form and Being. Studies in Thomistic Metaphysics, coll. « Studies in Philosophy and the History of Philosophy » n° 45, Washington DC, The Catholic University of America Press, 2006.

[21] ST, Ia, q. 4, a. 3, ad 3um. Cf. De pot., q. 7, a. 2, ad 9um.

[22] Cf. Pascal Ide, Introduction à la métaphysique. I. Vers les sommets, coll. « Les cahiers de l’École cathédrale » 8, Paris, Mame, 1994, chap. 1.

[23] Joseph de Finance, Être et agir dans la philosophie de saint Thomas, coll. « Bibliothèque des Archives de philosophie », Paris, Beauchesne, 1955, p. 67. Cf. chap. 2, notamment « L’illimitation de l’acte », p. 54-59 et « La fécondité de l’acte », p. 63-77.

[24] Cf. la suggestive illustration fournie par Philippe Jamet, La quatrième feuille. Trois études naturelles sur le développement durable, Paris, Presses de l’Ecole des Mines, 2004.

[25] L’on pourrait poursuivre l’induction au plan anthropologique et faire observer que Freud et, plus encore, Lacan, ont trop identifié la toute-puissance infantile, donc régressive, à l’indéfini, et l’accès au symbolique, au consentement à la finitude, voire à la mort. Sans nier d’autres influences comme celle de Hegel (relu anthropologiquement) via Kojève, nous trouvons ici une trace du débat grec et une problématique qui n’a pas bénéficié des progrès dus au néoplatonisme grec puis médiéval. Les actuels débats sur la vulnérabilité sont aussi sigillés par cette ambiguïté (cf. Pascal Ide, « L’homme vulnérable et capable. Une alternative au dilemme puissance-fragilité », Bernard Ars (éd.), Fragilité, dis-nous ta grandeur ! Un maillon clé au sein d’une anthropologie postmoderne, coll. « Recherches morales », Paris, Le Cerf, 2013, p. 31-88).

[26] De pot., q. 2, a. 1. L’ajout « quantum possibile est » semble provenir de la traduction latine du texte dionysien sur la Hiérarchie céleste, ch. 4 : « Hierarchia est divinus ordo et scientia et actio, deiforme, quantum possibile est, similans, ad inditas ei divinitus illuminationes proportionabiliter in Dei similitudinem conscendens » (Hypothèse communiquée par Emmanuel Perrier que je remercie).

[27] Sur la distinction de ces « deux éléments indissociables », mais « non réductibles l’un à l’autre », cf. le précieux commentaire d’Emmanuel Perrier, La fécondité en Dieu. La puissance notionnelle dans la Trinité selon saint Thomas d’Aquin, coll. « Bibliothèque de la Revue thomiste », Paris, Parole et Silence, 2009, p. 90-93. Je remercie aussi l’auteur pour certaines références ci-dessous.

[28] In I Sent., d. 4, q. 1, a. 1. Cf. ST, Ia, q. 7, a. 1.

[29] « Esse significat aliquid completum et simplex, sed non subsistens » (De pot., q. 1, a. 1).

[30] Joseph de Finance a déjà noté cette difficulté d’interprétation (cf. Être et agir…, p. 57 s).

[31] Cf., par exemple : In III Sent., d. 22, q. 3, a. 3, qc. 2, resp. ; In IV Sent., d. 24, q. 1, a. 1, qc. 1, resp.

[32] Cf., par exemple : ST, Ia, q. 19, a. 2

[33] Cf. Métaphysique, Théta, 2.

[34] Un des rares ouvrages contemporains traitant de l’amour au sens métaphysique est celui de Frederick D. Wilhelmsen, La metafisica del amor, Madrid, Rialp, 1964.

[35] La distinction qui va être élaborée de l’amour-attrait et de l’amour-don se rapproche du binome de l’amour « extatique » et de l’amour « physique » élaboré par Pierre Rousselot, voire du couple agapè-éros tel qu’il est dialectisé par Anders Nygren. Pour la bibliographie et certains développements, je renvoie à Pascal Ide, « Le corps et l’âme humains sont-ils unis par amour ? », Pedro Barrajón (éd.), La teologia del corpo di Giovanni Paolo II. Atti del Convegno internazionale, 9-11 novembre 2011, Roma, Ateneo Pontificio Regina Apostolorum, 2012, p. 143-184.

[36] Cf. Aristote, Rhétorique, B, 3, 1380 b 35-37. Repris dans Summa contra gentiles, L. III, ch. 90, n. 6 ; etc.

[37] Cette conception est par exemple développée en détail par le théologien suisse von Balthasar. Sur la comparaison avec la conception thomasienne, cf. Pascal Ide, Une théologie de l’amour. L’amour, centre de la Trilogie de Hans Urs von Balthasar, Bruxelles, Lessius, 2012, 2012, p. 219-242 ; Id., Une théo-logique du don, p. 681-704.

[38] In I Sent., d. 4, q. 1, a. 1. Cf. ST, Ia, q. 7, a. 1.

[39] Cf. Romano Guardini, La polarité. Essai d’une philosophie du vivant concret, trad. Jean Greisch et Françoise Todorovitch, coll. « La nuit surveillée », Paris, Le Cerf, 2010.

[40] Cf. ST, Ia-IIæ, q. 28, a. 3.

[41] Cf. Super Ioannem, ch. 3, l. 3, n. 480.

[42] Cf. Ibid., ch. 15, l. 2, n. 2036.

[43] Cf. Karol Wojtyla, Amour et responsabilité. Étude de morale sexuelle, trad. Thérèse Sas revue par Marie-Andrée Bouchaud-Kalinowska, Paris, Éd. du Dialogue et Stock, 1978, p. 63-91, ici p. 86.

[44] Ibid., p. 87.

[45] Ibid., p. 88.

[46] Cf. Jacques Le Brun, Le Pur Amour de Platon à Lacan, coll. « La librairie du xxie siècle », Paris, Seuil, 2002.

[47] Summa contra gentiles, L. III, ch. 91, n. 10. Cf. Alphonse Wohlman, « Amour du bien propre et amour de soi dans la doctrine thomiste de l’amour », Revue thomiste, 81 (1981), p. 205-234.

[48] Citant ce constat, Livio Melina, José Noriega et Juan José Perez-Soba, l’enrôlent dans une compréhension intersubjective de l’amour par la médiation objective du bien, mais n’interrogent pas plus la situation unique de l’amour parmi les passions et les actes de l’homme (Camminare nella luce dell’amore. I fondamenti della morale cristiana, Siena, Cantagalli, 2008, p. 130).

[49] Cf. Josef Pieper, De l’amour, trad. Jean Granier, coll. « Josef Pieper », Genève, Ad Solem, 2010, chap. 2, § 6.

[50] Cf. Dietrich von Hildebrand, Das Wesen der Liebe, Ratisbonne, Josef Habbel, 1971, notamment le chap. 4.

[51] In III Sent., d. 29, q. 1, a. 3, ad 1um.

[52] Exigences philosophiques du christianisme, coll. « Bibliothèque de philosophie contemporaine », Paris, p.u.f., 1950, p. 241. C’est moi qui souligne.

[53] Norris W. Clarke (« The Limitation of Act by Potency Aristotelianism or Neoplatonism », The New Scholasticism, XXVI [1952], p. 167-194) estime que le renversement spectaculaire de la relation entre acte et infini n’est pas lié à une évolution interne de la philosophie, mais à l’impact des religions : d’abord, les religions à mystère venues de l’Est ; mais aussi la Bible : Philon, en effet, semble être le premier penseur à avoir appliqué à Dieu l’attribut d’infini (cf. De opificio mundi, VI, 23 ; cf. aussi De sacrificiis Abelis et Caini, XV, 59).

[54] Platon, Timée, 29 e ; cf. aussi Lois, 715 e – 716 a.

[55] Le rôle du pythagorisme dans l’évolution des idées, Paris, Hermann, 1937, p. 23.

[56] Compendium Theologiæ, I, ch. 18. Cf. aussi Contra Gentiles, I, ch. 43.

[57] Cf., à ce sujet, Quodl. III, q. 8, a. 20.

[58] Cf. la relecture de Hans Urs von Balthasar, dans Epilog, Einsiedeln, Johannes, 1987, II, 5-7.

[59] Liliana Beatriz Irizar, « Form and Being in Thomas Aquinas. A Study of Lawrence Dewan’s Metaphysical Proposal », Science et Esprit, 62/1 (2010), p. 39-59, ici p. 51. Souligné dans le texte.

[60] Physiques, A, 9, 192 a 22 ; cf. Plotin, Ennéades, II, 4, 16, 13-15

[61] Ce n’est pas un hasard si S. Thomas énonce ce principe dans le cadre d’un article tentant de rendre compte théologiquement de la génération intratrinitaire.

[62] « La puissance a l’infinité de par son essence [quamvis potentia habeat infinitatem ex essentia] » (De Pot., q. 1, a. 2) ; « La matière première est infinie dans sa potentialité [materia prima sit infinita in sua potentialitate] » (Contra Gentiles, L. I, ch. 43, n. 6) ; « La matière première a une vertu infinie pour recevoir [virtutem infinitam ad recipiendum] » (Compendium Theologiæ, I, ch. 19).

[63] « Non seulement l’homme ou l’ange, mais toute créature aime Dieu plus qu’elle-même [quælibet creatura plus amat Deum quam seipsam] » (Quodl. I, q. 4, a. 3). Cf. Luis-Beltrán Gillon, « Primacía del apetito universal de Dios según Santo Tomás », La ciencia Tomista, 63 (1942), p. 329-342.

[64] Pour un premier essai en ce sens, mais appliqué à la seule unité à la relation entre le corps et l’âme, cf. Pascal Ide, « Le corps et l’âme humains sont-ils unis par amour ? », art. cité.

[65] Sur l’amour au sens métaphysique qui embrasse tout le cosmos, cf. Julio Raúl Méndez, El amor fundamento de la participatión metafisica. Hermenéutica de la « Summa contra Gentiles », Buenos Aires, Ed. Sudamericana, 1990.

[66] Encyclopédie des sciences philosophiques. I. Science de la logique, Add., § 20.

[67] Le cosmos, in Œuvres de Charles De Koninck. Tome 1. Philosophie de la nature et des sciences, éd. Yves Larochelle, Laval, Presses de l’Université Laval, 2 vol., vol. 1, 2009, p. 98. L’ancien recteur de l’Université Laval en tire aussi une conséquence heureuse : comme « il y a de l’amour dans la plante, mais il n’y a point de connaissance » (p. 100), donc « l’amour précède la connaissance dans l’évolution de la nature » (p. 101). Cf. Pascal Ide, « La philosophie de la nature de Charles de Koninck », Laval théologique et philosophique, 66 (2010), p. 459-601, 3e partie.

[68] Cf. ST, Ia, q. 32, a. 1, ad 2um.

[69] Pour Thomas, les catégories explicatives ultimes de la relation entre Ancienne et Nouvelle Alliance sont celles d’acte et de puissance, car elles incluent toutes les autres (cf. ST, Ia-IIæ, q. 91, a. 5, c. ; q. 107, a. 1, ad 2um).

[70] Gustav Siewerth, André’s Philosophie des Lebens (mit einem General-Register zu dem dreibändigen Hauptwerk Vom Sinnreich des Lebens – Wunderbare Wirklichkeit – Majestät des Seins -Annäherung durch Abstand), coll. « Wort und Antwort » n° 22, Salzburg, Otto Müller, 1959, p. 64. Une traduction d’Emmanuel Tourpe et un commentaire détaillé de Pascal Ide paraîtra chez Ad Solem, 2014.

17.3.2017
 

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