Les Apparitions de Lourdes, une catéchèse (6e dimanche du temps ordinaire, 11 février 2024)

Bien que nous soyons un dimanche, nous avons trois bonnes raisons de parler des Apparitions de Lourdes : nous sommes le 11 février ; depuis 1992, l’Église universelle célèbre à cette date la Journée Mondiale des Malades, en résonance avec l’évangile de la guérison d’un lépreux ; le message de la Dame de la Grotte est « Pénitence » et donc nous prépare au Carême qui débute la semaine prochaine.

Les Apparitions ne sont pas seulement un témoignage de la compassion de Dieu « riche en miséricorde » (Ep 2,4) pour nos misères ; elles sont aussi une catéchèse remarquablement pédagogique et complète de notre foi et de notre pratique chrétiennes. Parcourons-les brièvement.

 

  1. Les cinq premières Apparitions sont marquées par le silence de la Dame de la Grotte. Attardons-nous sur la première qui, à elle seule, résume toute l’attitude chrétienne.

Voici trois petites filles affamées, entre 12 et 14 ans, Bernadette Soubirous, Toinette, sa sœur, et une amie, Jeanne Abadie. Elles sont très pauvres, il fait froid et ont besoin de trouver du bois. En arrivant près de la Grotte de Massabielle, ce jeudi 11 février 1858, Bernadette entend un coup de vent qui, étrangement, ne fait pas frissonner les arbres. Nous savons que c’est une des missions sensibles de l’Esprit-Saint. Que fait-elle ? N’allons pas nous imaginer qu’elle prenne son chapelet ou qu’elle tombe à genoux. Stupéfaite et craintive, elle se frotte les yeux. « J’ai eu peur », confiera-t-elle. Comme Marie à l’Annonciation, elle est bouleversée. Elle veut aussi faire son signe de croix. Mais elle n’y arrive pas, comme si son bras était paralysé. En fait, il s’agit d’un geste superstitieux et fétichiste de protection. Elle ne pourra se signer que lorsqu’elle aura vu la Dame de la Grotte le faire. Superbe enseignement : le signe de croix est une prière ; totalement décentrée d’elle, Marie place aussitôt la Croix, c’est-à-dire son Fils, entre elle et Bernadette ; comme à l’Île-Bouchard, c’est Marie qui nous apprend non seulement à prier, mais à entrer dans le mystère de la Passion, car c’est elle qui l’a vécu de manière totalement conforme.

Plus tard, en retournant de la Grotte, Bernadette demandera aussitôt à ses compagnes : « Est-ce que vous avez vu quelque chose ? » Et, à leur demande « Qu’est-ce que tu as vu ? », elle ne gardera pas pour elle ce dont elle fut témoin, elle l’attestera, au péril de sa réputation et de sa tranquillité. Et quand elle dira le chapelet, elle se mettre à pleurer, par nostalgie de ce qu’elle a vécu, par nostalgie de Dieu. Le samedi suivant, la jeune fille ressent le besoin de rencontrer le prêtre. En l’occurrence, pour la première fois de sa vie, elle se confessera au jeune vicaire de la paroisse – ce qui fut un moment décisif pour elle.

Enfin, elle qui est asthmatique, elle qui craint de traverser l’eau du Gave qui est froide, ose pourtant le faire pour aller aider Toinette et Jeanne à ramasser des fagots et les rapporter en ville. Elle découvrira alors que l’eau du torrent est tiède « comme de l’eau de vaisselle », selon ses propres mots !

 

Ainsi, Bernadette adopte les trois attitudes fondamentales du chrétien : elle est prêtre, c’est-à-dire médiatrice entre Dieu et les hommes, en priant et recevant les sacrements ; elle est prophète, en annonçant la Bonne Nouvelle au lieu de la garder pour elle ; elle est roi, en servant ceux qui sont dans le besoin.

 

  1. Les prochaines apparitions, la Dame de la Grotte parle un peu, et surtout demande à Bernadette d’accomplir d’étranges actes. Entre la huitième et la onzième Apparition, la jeune Bigourdine doit poser trois actes : avancer à genoux et embrasser le sol de la Grotte ; manger des herbes ; se laver la figure avec une eau boueuse et se montrer à la foule. La réaction de la foule ne tarde pas à se faire entendre : « Elle est folle » est l’interprétation la plus polie… Et quand on lui demande pourquoi elle agit ainsi, Bernadette répond : « Parce que la Dame me l’a demandé ». Pourtant, quand on connaît les mœurs divines, ces gestes sont transparents. Comme toujours, Dieu pose des signes qui nous invitent à passer du visible à l’Invisible. En l’occurrence, ces trois gestes sont un résumé du mystère du Christ : en s’abaissant, Bernadette imite l’Incarnation du Fils de Dieu qui s’est anéanti en venant dans ce monde (cf. Ph 2,6) ; en mangeant des herbes amères, elle participe à la si amère Passion de l’Agneau ; en se donnant à voir défigurée, elle rappelle le Serviteur souffrant (cf. Is 52,13-53,12) dont la mort sacrificielle sauve le monde.

Mais il y a plus. On le sait, la Grotte – qui est connue comme étant une tutte à cochons – cache en réalité un trésor immense. À trois reprises, la Dame montre à Bernadette qu’elle doit aller chercher de l’eau. Mais la jeune fille se trompe et se dirige vers le Gave. Jusqu’au moment où, allant vers le fond de la Grotte et grattant la terre, elle fait jaillir une eau dont on sait qu’elle va devenir la médiatrice des innombrables miracles qui se produiront à Lourdes. Or, cette eau évoque une autre eau qui, elle, a jailli du Cœur transpercé de Jésus et symbolise tous les sacrements (cf. Jn 19,34 s).

Ainsi donc, Lourdes nous place au centre même du mystère du salut – celui-là même auquel nous allons nous préparer pendant les quarante jours de notre entraînement au Carême. D’ailleurs, le mercredi 24 février 1858, lors de la huitième Apparition, la Dame demande à Bernadette : « Pénitence ! Pénitence ! Pénitence ! Priez Dieu pour les pécheurs. Allez baiser la terre en pénitence pour les pécheurs ». Dieu nous donne l’insigne dignité de participer nous-mêmes au salut du monde en offrant nos pénitences par amour.

 

  1. Considérons enfin les dernières Apparitions. Pendant la treizième, le mardi 2 mars, la Dame dit à Bernadette qui transmet le message à l’abbé Peyramale, curé de Lourdes : « Allez dire aux prêtres qu’on vienne ici en procession et qu’on y bâtisse une chapelle ». Surtout, nous attend une révélation exceptionnelle. Le 25 mars suivant, fête de l’Annonciation et seizième Apparition, à 5 heures du matin, Bernadette ressent à nouveau l’appel irrésistible de la Grotte. La Dame révèle enfin son nom. Mais, auparavant, elle accomplit un geste extraordinaire que l’on peut décomposer en trois : elle tend et ouvre ses mains vers la Terre ; elle les croise sur sa poitrine ; elle lève les yeux vers le ciel. Et alors, elle prononce ces mots qui dévoilent son identité : « Que soy era Immaculada Councepciou », c’est-à-dire « Je suis l’Immaculée Conception ». Bernadette part en courant chez l’abbé Peyramale, répétant sans cesse en chemin ces paroles qui sont totalement incompréhensibles pour elle. Bouleversé, le curé de Lourdes tombe à genoux et se met à pleurer. Quatre ans plus tôt, en 1854, le pape Pie IX avait proclamé le dogme de la conception immaculée de Marie – conception qui noue de la manière la plus étroite possible Notre Dame aux trois Personnes divines.

Or, ce triple geste est trinitaire : les bras tendus vers la Terre symbolisent le Fils qui s’incarne (cf. Jn 1,14) ; les mains croisées sur sa poitrine évoquent la forme même de la Colombe, signe de l’Esprit qui est répandu en nos cœurs (cf. Rm 5,5) ; enfin, le regard vers le ciel se tourne vers « notre Père qui es aux Cieux » (Mt 6,9).

 

  1. Ainsi, nous sommes passés du mystère de l’Église à celui du Christ en son mystère pascal pour remonter jusqu’au mystère trinitaire.

Le 2 juillet 1957, le pape Pie XII a adressé une encyclique écrite en français aux évêques et archevêques de France, la seule qui ait jamais été consacrée à une apparition mariale : Le pèlerinage de Lourdes – tel est son titre – avait pour dessein de préparer l’Église à la commémoration du centenaire des apparitions de Notre-Dame à Lourdes. On y lit notamment un discours que, alors cardinal de passage à Lourdes, Eugenio Pacelli avait prononcé : « Elle vient à Bernadette, disions-Nous jadis, elle en fait sa confidente, la collaboratrice, l’instrument de sa maternelle tendresse et, de la miséricordieuse toute-puissance de son Fils, pour restaurer le monde dans le Christ par une nouvelle et incomparable effusion de la Rédemption [1] ». Notre monde a encore davantage besoin aujourd’hui d’une « effusion de la Rédemption ».

Le père Horacio Brito, ancien recteur des Sanctuaires de Lourdes entre 1992 à 1999, dont les lignes ci-dessus s’inspirent grandement, aime raconter cette anecdote qui lui est arrivée alors qu’il avait 6 ans et vivait en Argentine. Il cherche un jour sa Maman et la trouve à l’église devant une représentation de la grotte de Lourdes. Intrigué, il interroge sa Maman :

 

« Qu’est-ce que c’est ?

– Ça, c’est Lourdes !

– C’est quoi, Lourdes ?

– C’est là où tu trouveras le bonheur du Ciel ».

Pascal Ide

[1] Pie XII, « Discours à Lourdes », 28 avril 1935, Eugenio Cardinal Pacelli, Discorsi e Panegirici, Città del Vaticano, 21956, p. 435. Cité dans l’encyclique Le pèlerinage de Lourdes.

11.2.2024
 

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