Le nœud de Salomon, symbole de toute la foi chrétienne

Consacrée au tout début du XIIIe siècle, en 1208, l’abbaye de Fossanova, dans le Latium, est la première fondation de l’ordre réformé de Cîteaux. Au sein de la salle capitulaire est peinte une figure géométrique justement célèbre et célébrée, un nœud de Salomon. Inventé dans l’Antiquité, il entrelace deux boucles fermées à angle droit au centre de la figure, de manière étroite, plus, indissoluble. Ce qui, au point de départ, n’était qu’un motif décoratif, est devenu, pour un Moyen Âge contemplatif et désireux de toujours plus s’approprier la Révélation biblique, riche d’un symbolisme inépuisable.

Le sigillum Salomonis (littéralement « sceau de Salomon ») exprime d’abord le lien indestructible entre Dieu et l’homme. Et, déjà à ce titre, elle suscite notre étonnement et notre émerveillement. En effet, comme l’affirmait celui qui fut, au terme de sa vie, l’hôte sans doute le plus illustre de l’abbaye, la relation entre le Créateur et la créature est asymétrique : relation réelle pour celle-ci, mais relation de raison pour Celui-là – c’est-à-dire sans nulle modification ontologique dans le Dieu immuable. Mais si le nœud hiérarchise bien la verticalité transcendante de Dieu avec l’horizontalité immanente de l’homme, il unit les deux anneaux mutuellement ou réciproquement, c’est-à-dire symétriquement. De manière bouleversante, l’Infini lui-même a voulu irréversiblement faire alliance avec le fini.

Mais cette figure dit aussi autre chose. En nouant verticalité et horizontalité, elle épouse la forme de la Croix. Or, si celle-ci fut, pour les Romains, signe efficace de cruauté et de terreur par lequel l’Empire imposa sa domination, grâce à l’Innocent Crucifié qui, s’anéantissant par obéissance « jusqu’à la mort et la mort par une Croix » (Ph 2,8) a transformé la violence en amour pardonnant et la mort en vie éternelle, elle devient le sacrement même de la réconciliation, de la douceur et de la communion.

Mais il y a plus encore, et plus secrètement caché dans ce nœud : la Source de la création et de la recréation qu’est la Très Sainte Trinité. Au sommet de son ascension céleste, dans le dernier chant du Paradis, Dante célèbre le mystère de la Trinité qui enveloppe tout l’univers en faisant allusion au nœud [1] : « La forme universelle de ce nœud [la forma universal di questo nodo], / je crois que je la vis [2] ». De fait, a fortiori si le « nœud indissoluble de l’éternité [indissolubili æternitatis nodo] [3] » se torsadait dans une lemniscate et si les multiples lignes le tressant se mettaient à vibrer, ils exprimeraient quelque chose du Mystère trois fois saint du Père, Dieu se donnant (« Deus ut dans »), au Fils, Dieu se recevant (« Deus ut dans »), par l’Esprit, Dieu se communiquant (Deus ut communicans) [4].

 

Ainsi, le nœud de Salomon mérite d’autant plus ce beau nom de nexus qu’il connecte (du latin cum, « avec », et nexus, « nœud ») les trois mystères centraux de notre foi chrétienne que nous célébrons de manière bouleversante en cette sainte Semaine Sainte : la création, la rédemption et la Sainte Trinité qui en est l’alpha et l’oméga.

Pascal Ide

[1] L’expression est si fameuse qu’un livre sur la culture de Dante la place dans son sous-titre (cf. Massimo Arcangeli & Edoardo Boncinelli, La cultura di Dante. La forma universal di questo nodo, Milano, Mondadori Education, 2015).

[2] Dante Alighieri, Divine Comédie, Paradis, chant xxxiii, v. 91-92. Si, en ces vers, Dante tente de balbutier le mystère de l’essence divine, l’image du « nœud » se retrouve dans le dernier néologisme de la Commedia, « s’indova : se noue » (v. 138), qui inclut le cercle, lui, fait suite à la description de la Trinité comme communion du Père et du Fis qui le réfléchit dans un unique souffle ou respiration (v. 118-120).

[3] Gerhoh de Reichersberg, Commentarius aureus in Psalmos et cantica ferialia, Ps 5, PL 193, 705c.

[4] Les deux premières expressions sont tirées de Thomas d’Aquin, Somme de théologie, Ia, q. 42, a. 6.

 

28.3.2024
 

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