Le jardin des vertus (recension)

Jacqueline Kelen
Morale et droit – Recenseur : Pascal Ide

NRT 141-4 (2019)

Écrivaine polygraphe (plus de 70 livres publiés en 35 ans), passionnée de spiritualité, du Christ, de la mythologie, l’A. transforme en or presque tous les sujets qu’elle touche. Ici, elle aborde le thème des vertus. En effet, explique-t-elle, elles sont largement oubliées par les techniques de développement personnel et les psychothérapies (qui n’engagent pas assez la liberté), les « valeurs » éthiques et politiques (qui demeurent trop extérieures) et même par une vie spirituelle (qui est trop coupée de son fondement moral). Précisément, elle revisite les vertus qu’elle qualifie de « verdoyantes » (chap. 2) à travers la métaphore du jardin à cultiver et passe en revue le « quatuor » des vertus cardinales, la force (chap. 3), la prudence (chap. 4), la tempérance (chap. 5) et la justice (chap. 6).

Si ce thème des vertus n’est pas inédit et a trouvé des zélateurs contemporains en philosophie (comme Alasdair McIntyre, étrangement absent de la bibliographie), et même, contrairement à ce que dit l’A., en sciences humaines (comme Martin Seligman), en revanche, le traitement l’est. L’A. innove au moins sur trois points. Contre une approche trop statique et trop irénique des vertus, elle propose une approche dramatique, rappelant l’ouvrage du bien nommé Prudence dans sa Psychomachia (littéralement Combat de l’âme) (p. 8). Contre une approche trop abstraite, elle adopte, comme à son habitude, une approche symbolique, qui va jusqu’à personnifier les vertus. Contre une approche laïque, elle ne craint pas de convoquer la Bible autant que les mystiques chrétiens, à côté des philosophes et des grandes œuvres de la littérature.

Certes, l’on sursautera aux multiples (et petites) imprécisions comme l’attribution des quatre cardinales à Aristote, dans l’exposé de la Princesse de Clèves (p. 131), une chronologie qui place David avant Samson, etc. ; l’on regrettera, comme dans les autres ouvrages de l’A., que les nombreuses et heureuses citations soient orphelines de références (alors qu’il aurait suffi de rajouter un numéro de page !) ; l’on discutera certaines options non argumentées : la situation de la justice (et non la prudence) comme sommet des vertus cardinales, une présentation de la tempérance qui manque la centralité de la sobriété et de la chasteté, etc. Demeure, et c’est l’essentiel, dans une ambiance sociétale qui multiplie les injonctions au bonheur et au narcissisme (« Enjoy yourself »), un stimulant, courageux et utile appel à vivre de ces vertus dont l’étymologie latine, empruntée à la force (vis), est la même que virilité. — P. Ide

31.8.2022
 

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