Tout a été étudié ou presque en psychologie sociale ! Je passerai la direction des regards qui a été abondamment explorée [1] et est mis en œuvre par la PNL. Prenons un exemple plus inattendu, le clignement des paupières ! C’est ce que l’on appelle aussi le réflexe palpébral. Dès 1928, deux chercheurs ont noté que les battements des paupières permet d’identifier des conduites émotionnelles naissantes ou déguisées, comme « un état de tension mentale […] telle une rage impuissante, une anxéité […] ou une excitation [2] ».
1) Quelques faits
Les clignements de paupière diminuent en fréquence lorsque le sujet doit se concentrer et, plus généralement, lorsqu’il pose une opération mentale intense [3]. Ils peuvent se produire autant dans la réception [4] que dans l’émission. A ce sujet, une étude très détaillée a montré le lien existant entre les battements de paupières et l’activité locutoire [5]. Elle a mis en valeur quatre types de clignements : 1. Les plus nombreux (60 %) ont lieu exactement au début des émissions verbales (et aussi de certaines vocalisations comme les rires) ; 2. 5 % se produisent juste avant l’émission verbale ; 3. 10 % apparaissent aussitôt après cette émission ; 4. enfin, 25 % se produisent au milieu, aux points de changement articulatoire. Ainsi donc, loin d’être purement physiologiques, ces clignements sont étroitement associés à l’acte de parole, en tant qu’il est signifiant, donc à l’intelligence.
D’autres études montrent que la tension, le stress psychologique engendre un changement dans la fréquence des battements de paupières. Par exemple, un individu qui entend prononcer son nom dans un groupe bat plus vite des paupières – outre d’autres signes neurovégétatifs ou comportementaux, souvent infraliminaux [6]. C’est ainsi que l’on a pu calculer (et, de là, on aurait pu prévoir), lors des trois débats télévisés à l’occasion des élections présidentielles américaines de 1976, entre Carter et Ford, une corrélation entre la réussite aux sondages et la fréquence moyenne des réflexes palpébraux. En l’occurrence, lorsqu’elle était supérieure, le candidat prenait l’avantage : la première fois pour Ford, la la deuxième pour Carter et la troisième comme la première [7].
Le signe fait sens autant par excès que par défaut : celui qui ne cligne pas les paupières – ce que l’on appelle le regard ascardamycte (sic !!) – crée vite une impression d’étrangeté dans l’interaction sociale, même si l’interlocuteur ne sait pas nommer la cause de son malaise.
2) Quelques interprétations philosophique
Le clignement des paupières, certes, s’explique pour des raisons physiologiques. Mais la signification ici étudiée est psychosociale. Le sens générique semble être le mécanisme de défense [8]. En effet, le psychisme se défend en se fermant (c’est même là le premier mécanisme dans la blessure). Or, de manière limpide, le réflexe palpébral est une fermeture. Confirmation en est donnée par d’autres réflexes : la constriction de la pupille, la fermeture des yeux ou le changement de direction du regard. Tous signalent un malaise et tous sont des obstacles au, des évitements du, croisement du regard.
Une confirmation a été fournie : des sujets à qui on présente des images érotiques clignent plus fréquemment des paupières que ceux à qui on montre des images de paysage ; or, les premières suscitent ou du moins suscitaient (l’étude a été faite en 1969 !) des censures [9].
Inversement, la raréfaction du clignement des paupières exprime l’ouverture. De fait, l’attention requiert comme une sorte de concentration du sujet, un soulignement du don à soi-même, une intensification de la présence.
Pascal Ide
[1] Cf., par exemple, Ralph V. Exline & B. J. Fehr, « The assessment of gaze and mutual gaze », Klaus R. Scherer & Paul Ekman (éds.), Handbook of methods in nonverbal behavior research, Cambridge, Cambridge University Press & Paris, éd. de la Maison des Sciences de l’Homme, 1982, p. 91-135. Pour un état de la question, daté, mais informé, cf. Alain Brossard, La psychologie du regard, p. 191-201.
[2] Eric Ponder & W. P. Kennedy, « On the act of blinking », Quarterly Journal of Experimental Physiology, 18 (1928) n° 1-2, p. 89-110, ici p. 108.
[3] Cf. Morris K. Holland & Gerald Tarlow, « Blinking and thinking », Perceptual and Motor Skills, 41 (1975) n° 2, p. 403-406.
[4] Cf. George Breed & Victoria Colaiuta, « Looking, blinking and sitting. Nonverbal dynamics in the classroom », Journal of Communication, 24 (1974) n° 2, p. 75-81.
[5] Cf. William S. Condon & William D. Ogston, « Speech and body motion synchrony of the speaker-hearer », David L. Hoton & & James J. Jenkin (éds.), The perception of language, Colombus, Charles E. Merrill, 1971, p. 150-173.
[6] Cf. C. S. Harris, R. I. Thackray & R. W. Schoenberger, « Blink rate as a function of induced muscular tension and manifest anxiety », Perceptual and Motor Skills, 22 (1966), p. 155-160.
[7] Cf. Ralph V. Exline, « Gaze behavior in infants and children. A tool for the study of emotions ? », Carroll Ellis Izard & Peter B. Read (éds.), Measuring emotions in infants and children, coll. « Cambridge Studies in Social and Emotional Development », Cambridge, Cambridge University Press, 1982, p. 164-177.
[8] Cf. Gary James Collier, Emotional expression, Hillsdale (New Jersey), Lawrence Erlbaum, 1985, « Eye behavior », chap. 5, p. 91-107.
[9] Cf. Abraham I. Felipe & George F. Mahl, « Exploration of some mechanisms involved in blinking to visual sexual stimuli », Philippine Journal of Psychology, 2 (1969), p. 25-30.