La timidité. Des signes aux remèdes

« Il y a en moi une raideur secrète à laisser paraître mon émotion vraie, à dire ce qui peut plaire, à m’abandonner au moment présent, sotte retenue que j’ai toujours observée avec chagrin [1] ».

 

Moins de 10 % de la population ne ressent jamais d’anxiété sociale [2]. En revanche, un sondage sur « les peurs des Français » montrait que 51% des personnes craignent d’être dévisagées et de parler en public. [3] Un sondage montre que la timidité est fréquente : 60 % des Français se disent timides, 51% un peu et 7% beaucoup [4]. Comment la reconnaître ? D’où vient-elle ? Que faire ? Aidons-nous d’une étude ancienne, mais toujours utile, faite par deux psychiatres travaillant à Sainte-Anne [5].

1) Quelques signes

Les auteurs estiment qu’il n’en existe pas de définition satisfaisante. « Il n’existe pas à ce jour de définition scientifique univoque de la timidité (ou plutôt, il en existe trop puisque près d’une vingtaine ont déjà été proposées). Pourtant, il faut réserver cette appellation à un type particulier d’anxiété sociale, exprimant une manière d’être durable et habituelle ».

Toutes ces peurs, ces craintes des autres répondent à un mécanisme commun : « elles exposent au regard et au jugement de l’autre [6] ». Au fond, la timidité ou peur des autres est la crainte d’être jugé et rejeté par eux.

La timidité est reconnaissable à deux types de signes : signes intérieurs, à savoir un malaise ; signes extérieurs, en plein, à type de maladresses, gaucheries et en creux, à type d’évitement des initiatives dans tout type de situation sociale.

2) Quelques mécanismes

Christophe André et Patrick Légeron accordent une place importante aux facteurs innés dans la crainte [7].

 

« Beaucoup d’auteurs pensent actuellement que, à partir d’une prédisposition constitutionnelle qui s’exprimerait dès les premiers mois de la vie par une forte réactivité aux situations inhabituelles, des manifestations d’inhibition comportementale pourraient apparaître vers l’âge de deux ans qui évolueraient ensuite vers l’anxiété sociale, puis la phobie sociale [8] ».

 

Si l’on peut s’interroger sur le peu de place accordé aux causes acquises, par exemple, éducationnelles, extrêmement précoces, en revanche, l’explication proposée conduit à des remèdes efficaces qui court-circuitent la recherche causale et l’interprétation des mécanismes qui demeurent toujours incertaines et problématiques : déconditionner.

Une donnée offre une espérance et permet de relativiser le découragement du timide : « les timides se comportent tout à fait normalement dans un milieu qui leur est familier ; ainsi, les enfants timides ne le sont pas avec leurs parents et leurs proches [9] ». Inversement, même le moins intimidé se trouve parfois impressionné dans un groupe donné. Ainsi, le monde ne se répartit pas entre les timides et les non-timides, mais entre les moins et les plus timides.

3) Quelques remèdes

Nos auteurs font éventuellement appel aux médicaments, mais s’adressent surtout aux thérapies cognitivo-comportementalistes (TCC). En effet, l’efficacité des thérapies cognitives et comportementales a été démontrée dans l’anxiété et la phobie sociales [10]. Et l’OMS a reconnu et consacré cette efficacité dans l’un de ses rapports officiels [11].

Le point d’impact de l’acte thérapeutique est triple que l’on peut répartir selon les catégories de la morale classique : l’action, la parole et la pensée.

a) L’action

Quelle est l’attitude constante des anxieux sociaux ? Puisque l’autre fait peur, la seule manière de ne pas ressentir la peur est de s’isoler et de fuir l’autre. Évitement et isolement sont toujours présents et deviennent des automatismes chez les phobiques de la relation à l’autre.

Pour cela, il faut passer de la constatation générale paralysante : « Je suis timide » aux différentes situations concrètes où la crainte de l’autre s’exerce. Passer en revue les principales situations problématiques : sexe et statut des interlocuteurs, présence ou non d’observateurs extérieurs, etc.

b) La parole

La juste relation à l’autre est l’affirmation de soi qui n’est ni l’inhibition ni l’agression. « Être capable de s’affirmer, c’est pouvoir exprimer ce que l’on pense, souhaite ou ressent de la manière la plus claire et directe possible, tout en tenant compte de ce que l’autre pense, souhaite, ressent, et avec le plus bas niveau d’anxiété possible [12] ».

c) La pensée

Ici, travaillent les thérapies cognitives proprement dit. [13] Les difficultés relationnelles tiennent à un double jeu intérieur négatif : la tendance à considérer que tout autre nous juge négativement, la tendance à se considérer soi-même incapable et insignifiant. La phobie est un manque de confiance en soi, qui lui-même résulte d’un cocktail de mauvaise estime de soi et d’évaluation erronée du regard d’autrui. Le travail de déconditionnement est ici double : observer, prendre conscience de son fonctionnement mental, puis planter à la place un fonctionnement positif.

Pascal Ide

[1] Amiel, Journal intime, Genève, Georg et Cie, 1897, tome 1, p. 152.

[2] Philip Zimbardo, Shyness, Addison-Wesley, Reading, 1977.

[3] Sondage ifop, pour le magazine Globe, décembre 1993.

[4] Sondage ifop, avril 1992 pour le magazine Top Santé.

[5] « La timidité », Christophe André et Patrick Légeron, La peur des autres. Trac, timidité et phobie sociale, Paris, Odile Jacob, 1995, p. 103-114.

[6] Christophe André et Patrick Légeron, La peur des autres. p. 41 et 42. Souligné dans le texte.

[7] Cf. Ibid., p. 155-172.

[8] Ibid., p. 164.

[9] Ibid., p. 109.

[10] John R. Marshall, « Social Phobia an Overview of Treatment Strateies », Journal of Clinical Psychiatry, 54 (1993) n° 4, p. 165-171.

[11] World Health Organisation, Treatment of Mental Disorders a Review of Effectiveness, Washington, American Psychiatric Press, 1993.

[12] Christophe André et Patrick Légeron, La peur des autres, p. 203.

[13] Pour le détail, cf. Christophe André, Les thérapies cognitives, Paris, Morisset, 1995 ; Jean Cottraux, Les thérapies cognitives, Paris, Retz, 1992 ; Christine Mirabel-Sarron et Bernard Rivière, Précis de thérapie cognitive, Paris, Dunod, 1993.

31.7.2020
 

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