La tentation actuelle de la désespérance

Qui n’a lu et frémi un jour à ces vers de Musset : « Les chants désespérés sont les chants les plus beaux. / Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots [1] » ? Pourtant, avant d’être le fruit de son agnosticisme ou de son romantisme, ces superbes alexandrins sont d’abord une manière pour le poète de métaboliser la souffrance née de la rupture avec George Sand.

Je leur préfère toutefois « Demain dès l’aube » [2], les vers qu’un autre grand poète romantique, Victor Hugo, dédie à sa fille Léopoldine, tragiquement décédée quatre ans plus tôt. S’ils semblent tout concéder à la sombre tristesse du désespoir : « Je marcherai […] / Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit », insensible à la beauté de la nature : « Je ne regarderai [pas] l’or du soir qui tombe ». Mais ce serait oublier l’acte de foi qui ne se réduit pas à une pratique spirite [3] : « Vois-tu, je sais que tu m’attends », et qui justifie qu’il vienne « mettr[e] sur ta tombe / Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur ». Et si Hugo ne lève pas les yeux sur le crépuscule, il se lève à l’aube, heure de toutes les espérances : « Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, Je partirai ».

Pascal Ide

[1] Alfred de Musset, « Le Pélican », La Nuit de Mai, 1835.

[2] Victor Hugo, « Demain, dès l’aube », 3 septembre 1847, Contemplations, 1856, L. IV, Poème xiv.

[3] C’est ce qu’attestent les derniers poèmes de cette partie : « Tout était à ses pieds deuil, épouvante et nuit. / Derrière elle, le front baigné de douces flammes, / Un ange souriant portait la gerbe d’âmes » (Mors) ; « Dans l’éternel baiser de deux âmes que Dieu / Tout à coup change en deux étoiles ! » (Charles Vacquerie).

2.3.2024
 

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