Et si nous parlions d’autre chose ? (Billet du 2 mai 2020)

Encore ce matin, j’étais frappé par l’obnubilation jusqu’à l’obsession des médias. Pas un, je dis pas un seul mot d’information hors des question d’épidémie et de déconfinement ! Cette saturation du discours présente des conséquences anxiogènes. Mais il y a aussi là quelque chose de sympômatique : notre monde est d’autant plus obsédé qu’il est angoissé ; et il est d’autant plus angoissé  qu’il est désespéré. Comment s’en étonner ? Dans son épître aux Éphésiens Paul rappelle à ses correspondants que, avant leur rencontre avec le Christ, lorsqu’ils adoraient des dieux impuissants et lointains, ils étaient « sans espérance et sans Dieu dans le monde » (cf. Ep 2,12). La désespérance est la marque de fabrique du païen.

Ainsi, nous sommes d’autant plus obsédés, voire possédés par le monde que nous en faisons notre unique horizon. Autrement dit, rien de plus mondain que de ne parler que de virus et de confinement ! L’on pense souvent que le monde dont parle l’Écriture s’identifie à la recherche effrénée des jouissances et du pouvoir. Mais être mondain, c’est-à-dire de ce monde (cf. Jn 17,14-16), c’est aussi se préoccuper de ce qui devrait seulement nous occuper : l’argent, sa famille, son travail, son avenir. Dans son commentaire de la parabole du semeur, Jésus place le « souci du monde » au même rang que ces convoitises :

 

« Et il y en a d’autres qui ont reçu la semence dans les ronces : ceux-ci entendent la Parole, mais les soucis du monde, la séduction de la richesse et toutes les autres convoitises les envahissent et étouffent la Parole, qui ne donne pas de fruit » (Mc 4,18-19).

 

C’est aussi ce qu’affirme, plus près de nous, un grand connaisseur de l’esprit du monde, le courageux Bossuet osant interpeler la reine de France et la cour dans son panégyrique de saint Sulpice, ce courtisan devenu évêque, puis ermite :

 

« Mais l’on craint de passer pour un homme inutile, et de rendre sa vie méprisable […]. Il faut faire quelque figure dans le monde ; y devenir important, nécessaire, servir l’état et la patrie : Patriæ et imperio, reique vivendum est. Ainsi le temps s’écoule sans s’en apercevoir. Sous ces spécieux prétextes, on contracte chaque jour de nouveaux engagements avec le monde, loin de rompre les anciens. L’unique nécessaire est le seul négligé : tous les bons mouvements, qui nous portaient à nous en occuper, se dissipent ; et enfin, après avoir été le jouet du temps, du monde et de soi-même, on est surpris de se voir arrivé, sans préparation, aux portes de l’éternité [1] ».

 

Répétons-le à temps et à contre-temps : nous ne sommes pas et ne serons jamais confinés vers le haut ! Il n’y a pas plus grand confinement que celui qui borne l’existence à ce monde ! Et si nous (à commencer par moi !) parlions d’autre chose ?

Pascal Ide

[1] Jacques Bénigne Bossuet, « Panégyrique de saint Sulpice », Œuvres complètes de Bossuet, Besançon et Paris, Outhenin-Chalandre fils, 1840, tome 7, p. 144.

2.5.2020
 

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