La cloche de Noël (Noël, messe du jour, 25 décembre 2025)
  1. Dans un conte trop peu connu, La cloche, le grand chrétien Hans Christian Andersen raconte que, dans une grande ville, le soir, « lorsque le soleil se couchait et que les nuages apparaissaient comme un fond d’or sur les cheminées noires, tantôt l’un, tantôt l’autre entendait un son étrange, comme l’écho lointain d’une cloche d’église ; mais le son ne durait qu’un instant : le bruit des passants, des voitures, des charrettes l’étouffait aussitôt ».

Mais, « un peu hors de la ville, là où il y a moins de mouvement, on percevait bien le son de la cloche, qui semblait provenir de la vaste forêt qui s’étendait au loin ». Alors, « les gens tendaient l’oreille et se sentaient pris d’un doux sentiment de religieuse piété » et ils finirent par se mettre « en route : les gens riches en voiture, les pauvres à pied ; mais, aux uns comme aux autres, le chemin parut étonnamment long ». Et « lorsque, arrivés à la lisière du bois », ils aperçurent « un pâtissier de la ville » qui « avait élevé là une tente », ils s’arrêtèrent, mangèrent et se reposèrent, d’autant que le pâtissier « avait placé au-dessus de sa boutique, une belle cloche ». Ils décidèrent que c’était elle qu’ils cherchaient.

Mais pas de tous. « Trois personnages graves, des savants de mérite, prétendirent avoir exploré la forêt dans tous les sens, et racontaient qu’ils avaient fort bien entendu le son de la cloche, mais qu’il leur avait semblé provenir de la ville ». Le roi lui-même s’en mêla et promit à celui qui découvrirait d’où venait ce son de recevoir le titre de sonneur du roi et de la cour. « Alléchés par cette perspective, bien des gens se risquèrent dans la forêt sauvage ; il n’y en eut qu’un seul qui en rapporta une manière d’explication du phénomène » : le son venait d’un hibou qui percutait le tronc creux d’un grand arbre à la recherche d’insectes, son qui se répercutait au loin. Louant la sagacité du courageux explorateur, le roi « lui donna le titre de sonneur, avec la pension ».

Mais cette interprétation ne satisfaisait pas tout le monde. Le sacrement de la confirmation fut célébré par le pasteur. Et les jeunes adolescents confirmés comprirent « qu’ils devaient commencer à penser aux devoirs sérieux de la vie ». C’est alors qu’ils entendirent à nouveau « le son de la cloche retentir plus fort, plus mélodieux que jamais ; entraînés par un puissant charme, ils décident de s’en rapprocher le plus possible ». De nouveau, après quelques tentatives, la majorité d’entre eux « rebroussèrent chemin ». Cependant cinq d’entre eux persévérèrent. Ils s’engagèrent dans le sous-bois, en avançant péniblement. C’est alors qu’« une nichée de rossignols fit entendre un ravissant concert ». Deux s’arrêtèrent pour savoir si ce n’était « pas là la fameuse cloche ». Les trois autres reprirent leur marche et « atteignirent un amour de petite hutte ». « Au-dessus de la porte était suspendue une clochette ». Deux autres estimèrent que là était enfin l’origine du son si mystérieux. Mais le cinquième « déclara que cette cloche n’était pas assez grande pour être entendue de si loin ».

Ce dernier qui était « le fils d’un roi » repartit. Il était d’autant plus plein de courage et d’espoir », qu’« il entendait la vraie cloche, celle qu’il cherchait », qui « résonnait tout autrement » que la clochette de la maison et la cloche du pâtissier. C’est alors que surgit des broussailles l’un « des nouveaux confirmés », chaussé de sabots et portant une jaquette trop petite, qui, sur le chemin de retour à la maison, avait, lui aussi, décidé de « repartir, à la hâte, à la recherche de la cloche, qui avait si délicieusement fait vibrer son cœur ». Le fils du roi l’entendant à gauche et le garçon pauvrement vêtu à droite, ils partirent chacun de leur côté, pensant ne plus se revoir.

Après avoir surmonté « bien des obstacles », comme « bande de vilains singes », le fils du roi « arriva sur une hauteur d’où il aperçut un merveilleux spectacle », fait des « plus belles pelouses vertes où s’ébattaient des cerfs et des daims », de « fleurs aux mille couleurs brillant au soleil » et « dans le fond, un grand lac sur lequel nageaient avec majesté les plus beaux cygnes ». C’est alors que, à la nuit tombante, « il entendit de nouveau la cloche » qui « ne paraissait pas bien éloignée ». Se mettant à genoux pour la prière du soir, il demande : « Oh ! Dieu, dit-il, ne me ferez-vous pas trouver ce que je cherche avec tant d’ardeur ? » Voyant un rocher élevé dans le lointain, il décide d’y monter, non sans peine, « au milieu des couleuvres, des crapauds et autres vilaines bêtes ». « Quelle splendeur se découvrit à ses yeux ! » Ce n’est plus la forêt, mais « la mer immense et magnifique s’étendait à perte de vue, roulant ses longues vagues contre la falaise ».

 

« Le fils du roi s’agenouilla et adora le Créateur de ces merveilles. Voilà que sur la droite, apparaît le pauvre garçon aux sabots ; lui aussi, à sa façon, il avait trouvé le chemin du temple. Tous deux, ils se saisirent par la main et restèrent perdus dans l’admiration de toute cette poésie enivrante. Et, de toutes parts, ils se sentaient entourés des sons de la cloche divine ; c’étaient les bruits des vagues, des arbres, du vent ; c’était le mouvement qui animait cette nature simple et grandiose. Au-dessus d’eux, ils croyaient entendre les alléluia des anges du ciel ».

 

  1. Ce conte étonne, voire essouffle, par sa complexité, ses multiples personnages et ses multiples rebondissements. Le lecteur se demande même si l’on trouvera l’origine de ce son merveilleux. Au final, en qualifiant la « cloche » de « divine », Andersen dit explicitement ce que nous pressentions secrètement : elle symbolise l’appel de Dieu. Dès lors, les multiples personnages représentent ceux qui s’arrêtent en chemin, les paresseux, les jouisseurs, les faux savants et même les chrétiens superficiels. Mais s’arrêter là pourrait conduire au découragement, au pessimisme et à l’exclusion. Il est plus intéressant de convertir ces personnages extérieurs en autant de personnages intérieurs et les rebondissements en autant d’obstacles et de tentations intimes à surmonter. Combien de mirages, d’illusions ou d’idoles se font passer pour le vrai Dieu qui seul rassasie le cœur se trouvant à gauche ! L’espérance rime donc avec persévérance. Et le bonheur qu’elle promet avec la splendeur qu’elle offre.

Et ne passons pas à côté d’une autre leçon : d’autres appartenant à d’autres milieux sociaux peuvent atteindre Dieu par d’autres chemins (symbolisés par la droite) ; nous n’atteignons pas Dieu seul, mais en communion avec les autres, pour le contempler ensemble. L’épouse du Christ, affirment les contemplatifs, d’Origène à Claudel, est mon âme, mais mon âme ecclésiale, dilatée à la taille de l’Église qui est potentiellement celle du monde.

 

  1. À Noël, tout devient possible, l’espérance la plus folle nous est permise. Je joindrai trois paroles qui toutes ont trait au désir et à l’espérance. Laissons-les retentir en nous.

La première est de Charles Péguy qui, dans son grand poème sur l’espérance, la joint à la fête de la Nativité :

 

« L’Espérance est une petite fille de rien du tout.

Qui est venue au monde le jour de Noël de l’année dernière.

Car la Foi ne voit que ce qui est.

Et elle elle voit ce qui sera.

La Charité n’aime que ce qui est.

Et elle elle aime ce qui sera [1] ».

 

La deuxième est de saint Augustin : « Ne dites pas que les temps sont mauvais. Vous êtes les temps. Soyons bons et les temps seront bons. Soyez saints et les temps seront saints [2] ».

La dernière est d’Edith Stein devenue sainte Bénédicte de la Croix sur le désir de Noël :

 

« Lors de la veillée, quand scintille l’arbre de lumière et que s’échangent les cadeaux, le désir inassouvi d’une autre lumière monte en nous, jusqu’à ce que sonnent les cloches de la messe de minuit et que se renouvelle, sur des autels parés de cierges et de fleurs, le miracle de Noël. Et le Verbe s’est fait chair. Nous voilà parvenus à l’instant bienheureux où notre attente est comblée [3] ».

Pascal Ide

[1] Charles Péguy, Le porche du mystère de la deuxième vertu, dans Œuvres poétiques complètes, éd. Marcel Péguy, coll. « Bibliothèque de la Pléiade » n° 60, Paris, Gallimard, 1957, p. 527-670.

[2] Saint Augustin, Sermo 80, n. 8, dans Sermons sur l’Écriture, éd. Maxence Caron, coll. « Bouquins », Paris, Robert Laffont, 2014.

[3] Edith Stein, Méditation « L’Avent et Noël », 14 septembre 1940, La Crèche et la Croix, trad. Philibert Secrétan, Genève, Ad Solem, 1995, p. 27-29, ici p. 29.

25.12.2025
 

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