(Editorial pour la Lettre des donateurs pour les séminaristes et les prêtres de la Communauté de l’Emmanuel, janvier 2006)
L’histoire nous place face à un étrange paradoxe. Voici quatre siècles, le monde moderne a exalté la raison et en a progressivement fait l’unique mesure de la vérité. On a congédié Dieu de l’espace infini. Les Lumières puis la Révolution française ont défendu le principe de liberté contre le principe d’autorité. Et la nation moderne, en se coupant de son fondement religieux, a inventé une formule politique inédite : l’Etat sécularisé. Or, nous assistons, depuis quelques décennies à une remise en question très radicale de l’intelligence et l’idée même de vérité se trouve suspectée d’intolérance, voire de violence. De fait, c’est au nom de la science que les médecins nazis ont pratiqué les pires aberrations ; de même, le marxisme s’est présenté comme un système rationnel expliquant toute l’histoire et a légitimé les didactures et les persécutions que l’on sait. Mais il y a une cause plus profonde expliquant cet étrange renversement. Dans le monde occidental, la raison s’est admirée, puis a fini par s’adorer elle-même. Pour ne donner qu’un exemple, Galilée écrit très explicitement que, grâce à la physique mathématique, l’entendement humain accède à la même lucidité que l’entendement divin. L’homme a raison d’être fier de son intelligence, mais il l’a idolâtrée : il a transformé le don de Dieu en Dieu lui-même. Or, nous finissons toujours par brûler ce que nous avons adoré. Toute idole tombe tôt ou tard en poussière : c’est pour cela que, très symboliquement, Moïse pulvérise le veau d’or que les fils d’Israël avaient construit de leur main. Ou, pour prendre la métaphore profonde de La Fontaine : la grenouille qui se gonfle au-delà de sa taille finit par éclater ; de même, la raison qui se divinise finit par s’émietter, ne possède plus que de pauvres lambeaux de vérité et devient sceptique, voire cynique. Seul l’Absolu conjure le relativisme.
Le futur Benoît XVI a écrit que s’il existe des pathologies de la religion (le fanatisme conduisant au terrorisme l’atteste), il ne faut pas oublier qu’il existe aussi des pathologies de la raison. Pour atteindre la vérité, disait Jean-Paul II au début de sa grande encyclique Fides et ratio, nous avons besoin de deux ailes : la foi et la raison. Pas n’importe quelle foi : une foi intelligente qui cherche activement la lumière. Et pas n’importe quelle raison : une raison à la fois compétente dans la discipline autonome qui est la sienne et ouverte à une vérité qui la dépasse. Et qui le conduit à l’amour. Car, et telle est la Bonne nouvelle apportée par le Christ, la Vérité est une Personne (cf. Évangile selon saint Jean, 14,6).
Pascal Ide