« Si le christianisme est vrai, pourquoi les chrétiens ne sont-ils pas meilleurs ? »

Avec sa lucidité et sa franchise habituelle, le converti C. S. Lewis se pose l’objection courante : « Si le christianisme est vrai, pourquoi tous les chrétiens ne sont-ils pas tout naturellement meilleurs que les autres ? » [1]

Il reconnaît tout d’abord le bien-fondé de l’objection, puisque le Christ lui-même a demandé que l’on reconnaisse l’arbre à ses fruits. Cela dit, la difficulté ne tient pas. Pour deux raisons.

 

  1. Tout d’abord, elle fait passer la distinction en chrétiens et non-chrétiens entre les personnes, alors qu’elle passe au milieu de chaque personne. Au fond, elle s’imagine que cette différence est d’ordre zoologique : de même qu’un chien n’est pas un chat et ne saurait se transformer en chat, de même y aurait-il comme une cloison étanche entre ces états. En réalité, il n’existe pas de spécimens d’athées chimiquement purs.

La raison profonde en est l’influence secrète de Dieu dont nous ne savons rien. « Par exemple, un bouddhiste de bonne volonté peut être amené à réfléchir de plus en plus sur la grâce et à laisser au second plan – tout en ne cessant pas d’y croire –, l’enseignement bouddhique concernant certains autres points [2] ».

Or, si nous considérons une seule personne, il devient incontestable « qu’en devenant chrétien, on sera meilleur qu’auparavant ». Et de donner une de ces illustrations prosaïques dont il a le secret : il est évident que si je prends un bon dentifrice, j’aurais de plus belles dents que si je n’en prends pas (c’est étonnant le nombre d’exemples que notre auteur emprunte aux dents). Cependant, « si j’emploie le dentifrice en question, ayant hérité d’une mauvaise dentition, je n’aurai pas d’aussi belles dents qu’un jeune Noir bien portant qui n’a jamais employé de dentifrice [3] ». La question est donc de comparer une même personne, avant et après sa conversion.

 

  1. Surtout, l’objection confond les dispositions naturelles et le don de la grâce. Il est évident qu’il y a des tempéraments qui sont mieux disposés que d’autres à la bonté et sont donc spontanément plus aimables. O, quel que soit son tempérament, toute personne a besoin d’être sauvée :

 

« N’allez pas vous imaginer que Dieu considère le tempérament calme et le bon cœur de l’incrédule de la même manière que vous. L’un et l’autre procèdent de causes naturelles dont Dieu est l’auteur. Ne relevant que du tempérament seul de cet homme, ils disparaîtront s’il digère mal. Ce qu’il y a de bon en lui est un don de Dieu, et non pas un don qu’il fait à Dieu [4] ».

 

On peut appliquer ces constatations aux différentes valeurs aujourd’hui louées. Le plus souvent, elle relève des dons naturels : beauté, intelligence. Or, c’est manquer le plus essentiel : la liberté, le choix nous ouvrant à Dieu. Certes, Dieu aime les qualités de la nature. Mais l’essentiel est ailleurs. Car c’est lui qui a créé ces qualités ainsi que la bonne digestion ! « Mais la Croix a été le prix de la conversion des volontés humaines rebelles [5] ». Or, si l’on ne peut pas refuser la nature, les dons naturels, on peut refuser le don de la grâce.

Pascal Ide

[1] Clive Staples Lewis, Être ou ne pas être, trad. Jacques Blondel, Neuchâtel-Paris, Delachaux et Niestlé, 1948, chap. X : « De braves gens ou des hommes nouveaux ? », p. 92-108.

[2] Ibid., p. 95.

[3] Ibid., p. 96 et 97.

[4] Ibid., p. 99.

[5] Ibid., p. 101.

31.10.2024
 

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