Françoise Caravano et Pascal Ide, « Quarante ans de discours pontificaux sur la santé (1939 à 1978). Regards de Pie XII, Jean XXIII et Paul VI sur le monde de la santé », Archivum Historiæ Pontificiæ, 39 (2001), p. 151-289.
A) Introduction
2) Perspective
Le point de vue adopté n’est ni historique ni sociologique : nous n’avons pas cherché à étudier l’évolution de la pensée des papes, ni à la situer dans son contexte sociohistorique. Il n’est pas non plus de théologie fondamentale : nous ne nous intéressons pas au degré d’autorité de ces discours, à l’articulation de la foi et de la raison ou à la présence dont on dira qu’elle est prégnante, d’une intention apologétique, dans les discours de Pie XII. Non que ces perspectives soient indignes d’intérêt. Au contraire, elles demanderaient à être détaillées pour elles-mêmes.
Notre propos sera de philosophie ou de théologie – selon que les papes font appel à la seule raison ou à la ratio fide illustrata – et de philosophie ou de théologie systématiques. Pour cela, les développements dispersés dans quelque 130 discours ont été regroupés et classés sous une petite soixantaine de chefs. Le lecteur s’étonnera de trouver nombre de titres inattendus. Souvent, on focalise l’attention sur telle ou telle perspective, notamment les questions de bioéthique ou de santé. Procéder ainsi présente un double inconvénient : projeter sur le passé une problématique qui n’est pas la sienne ; manquer l’originalité de l’approche des Souverains Pontifes, notamment de Pie XII. Les perspectives qu’il adopte, ses propos sont autrement diversifiés : scientifique, technique, anthropologique, spirituelle.
L’une des intentions de cet article est aussi de redonner la parole à des aspects moins connus de la pensée du Pie XII, de donner leur juste place à des développements qui n’ont perdu ni en actualité ni en profondeur et de corriger certaines erreurs de visée. Sur les 91 discours de Pie XII, on peut en isoler 15 qui, particulièrement décisifs, traitent des fondements anthropologiques et éthiques du soin et de la recherche biomédicale [1] : de par leur importance et leur contenu, nous les qualifions de fondamentaux. Mais il serait pourtant dommage qu’ils éclipsent d’autres interventions au contenu fort riche.
Notons enfin que cet article a primitivement fait l’objet d’une thèse de médecine présentée en 1988 [2]. Le genre littéraire et la thématique du sujet, on s’en doute, ne sont pas usuels dans ce type de thèse, au sein de l’Université française ; c’est un signe de l’ouverture d’esprit de la Faculté de médecine Saint-Antoine et du Directeur de thèse que de les avoir acceptés. Le passage de la thèse à l’article a nécessité des métamorphoses substantielles.
Il pourrait se poser une question, voire une difficulté : un tel travail relève-t-il du seul intérêt historique ou présente-t-il quelque pertinence actuelle ? Qui lira jugera. Mais disons d’emblée notre conviction : les propos, notamment ceux du pape Pie XII, loin d’être frappés d’obsolescence, sont, dans leur majorité, d’une étonnante actualité, voire soustraits au vieillissement.
3) Plan
La plus grande partie de l’article sera consacré à un parcours d’une soixantaine de thèmes couvrant bon nombre d’aspects du monde de la santé ; suivra une reprise synthétique de quelques constantes et évolutions de la pensée des papes étudiés.
Les paragraphes, de très inégale longueur, consacrés aux différents thèmes peuvent se lire de deux manières : au hasard, en fonction des besoins ou des intérêts, puisqu’ils sont autonomes et relativement indépendants les uns des autres ; dans l’ordre, car celui-ci répond à une logique qu’il revient maintenant d’expliciter succinctement [3]. Il est possible de les regrouper sous cinq chefs.
a) L’acte de soin
Ce premier groupe étudie l’acte de soin : en son fondement (la vision de l’homme et du corps), sa finalité (la santé), son point de départ (la maladie) et sa démarche (le traitement).
1) La vision de l’homme.
2) La vocation du corps.
3) Les âges de la vie.
4) La santé.
5) La santé mentale.
5) La maladie.
6) La souffrance.
7) La mort.
8) Le traitement.
b) Les différentes catégories de soignant
Le second groupe de rubriques étudie les différentes catégories de soignant : 1. les médecins, à savoir les généralistes et un certain nombre de spécialistes (classées par ordre alphabétique), sans oublier les chercheurs ; 2. les sages-femmes ; 3. les professions paramédicales : infirmières et pharmaciens. Encore faut-il que le monde soignant travaille de manière coordonnée, notamment au sein de la structure hospitalière.
9) La vocation médicale.
10) La médecine de famille.
11) La médecine spécialisée.
12) Relation entre médecines générale et spécialisée.
13) L’anesthésie-réanimation.
14) La cancérologie.
15) La chirurgie.
16) L’ophtalmologie.
17) L’otorhinolaryngologie.
18) La psychiatrie et la psychologie clinique.
19) La stomatologie et la chirurgie dentaire.
20) La médecine psychosomatique.
21) Les sciences fondamentales.
22) La recherche médicale.
23) Le médecin chercheur.
24) La génétique.
25) La radiologie et la médecine nucléaire.
26) La sage-femme.
27) L’infirmière.
28) La pharmacie.
29) La structure hospitalière.
c) Les compétences du soignant
Autant le second groupe tire clairement sa raison d’être des divers types de publics à qui Pie XII a adressés ses discours, autant la raison d’être de ce troisième groupe n’apparaît pas évidente de prime abord. Nous entendons par compétences, les qualités ou ce que les philosophes grecs appelaient les vertus (exis), ce sur-être qui perfectionne l’agir et lui permet d’atteindre son but aisément et sans erreur.
On verra que ces compétences se répartissent en trois groupes : intellectuelles, techniques et morales. Il faudra leur joindre les moyens de leur acquisition.
30) Les vertus du soignant en général.
31) La compétence intellectuelle.
32) La compétence technique.
33) La morale médicale générale.
34) La prudence médicale.
35) La justice médicale.
36) La vérité en médecine.
37) Le courage médical.
38) Les vertus de l’infirmière.
39) La formation universitaire et post-universitaire.
d) L’éthique médicale
Nous retrouvons ici un groupe bien connu et dont le contour est clairement défini par la déontologie médicale. C’est probablement la partie de l’exposé la plus vieillie même si nombre de principes et de normes exposés ne sont pas soumis à l’usure des circonstances. Autant les compétences éthiques étudiées dans la troisième partie relèvent des dispositions intérieures, des qualités que tout soignant est appelé à mettre en oeuvre, autant les questions d’éthique ici débattues relèvent d’une approche plus normative, donc plus extérieure. Cette distinction, pour être légitime, ne doit toutefois pas faire oublier que la véritable éthique chrétienne est une éthique non pas de la loi mais de la vertu [4].
Après avoir étudié la déontologie en général, seront parcourus les secteurs habituels concernant la vie en ses débuts et à son terme, l’usage du corps, le secret, etc.
40) La déontologie médicale.
41) L’accouchement sans douleur.
42) La stérilité.
43) La contraception.
44) L’avortement.
45) L’euthanasie.
46) L’amputation.
47) La greffe et le don d’organe.
48) L’expérimentation médicale.
49) Le secret professionnel.
50) L’expertise médicale.
51) La médecine en temps de guerre.
e) Le monde de la santé en perspective chrétienne
Cette dernière partie regroupe les paragraphes faisant appel au regard de la foi. Certes, nombre de notations dans les rubriques des quatre premiers groupes adoptaient une perspective chrétienne : l’éviter aurait conduit à de pesantes redites et à des répartitions de la matière artificielles. Mais les développements relevant de la Révélation évangélique constituent un tout cohérent qu’il vaut la peine de dégager. En retour, c’est dire combien le contenu des rubriques antérieures intéresse tout homme de bonne volonté et pourrait éclairer une philosophie de la médecine.
52) Une médecine chrétienne.
53) Le soignant chrétien en général.
54) La spécificité chrétienne de chaque catégorie de soignant.
55) La charité médicale.
56) L’Église et la structure hospitalière.
57) Le monde de la santé et l’usage des sacrements.
Pascal Ide
[1] Voici la liste de ces discours, tous adressés aux médecins, sauf un aux sages-femmes. Il va de soi que ce choix qui nous est personnel n’est pas sans arbitraire. Nous résumons à chaque fois en une phrase l’objet de l’intervention.
M 1 (discours du 12 novembre 1944 à l’union médico-biologique Saint-Luc d’Italie) exposé des grands principes directeurs de l’activité du médecin chrétien et de leur application à la pratique et à l’enseignement.
M 8 (discours du 29 septembre 1949 au 4e congrès international des médecins catholiques) survol de la valeur morale de la recherche médicale et son application à la fécondation artificielle.
M 13 (discours du 14 septembre 1952 au 1e congrès international d’histopathologie du système nerveux. Le pape s’adresse à des neuropsychiatres) développement complet et détaillé des principes moraux fondant la recherche médicale.
M 15 (discours du 13 avril 1953 aux participants du 5e congrès de psychothérapie) exposé des fondements anthropologiques de la psychologie et des applications en psychothérapeutique.
M 18 (discours du 8 septembre 1953 au 1e congrès de génétique médicale) exposé d’une part des exigences fondamentales que la connaissance scientifique doit respecter pour aboutir dans ses travaux et d’autre part de l’application à la génétique médicale.
M 21 (discours du 8 octobre 1953 au 26e congrès d’urologie) exposé des fondements moraux et déontologiques de l’amputation d’organe.
M 22 (discours du 19 octobre 1953 au 16e congrès de médecine militaire) exposé de la charte que doit respecter tout médecin en temps de guerre et la nécessité d’un ordre international des médecins et d’une déontologie médicale internationale.
M 33 (discours du 14 mai 1956 à des spécialistes de la chirurgie de l’œil) exposé des principes moraux normant les greffes d’organe, les dons d’organes et l’utilisation des cadavres.
M 34 (discours du 19 mai 1956 au 2e congrès mondial de la fécondité et la stérilité) exposé des fondements anthropologiques et des normes éthiques de l’intervention médicale dans la procréation.
M 37 (message radio du 11 septembre 1956 au 7e congrès international des médecins catholiques) exposé des fondements du droit médical et des relations entre droit médical et morale médicale.
M 41 (discours du 24 février 1957 à des anesthésistes) exposé des problèmes moraux liés à l’analgésie.
M 47 (discours du 10 avril 1958 au 13e congrès international de psychologie appliquée) exposé des fondements anthropologiques et des normes éthiques en matière d’intervention psychothérapeutique.
M 52 (discours du 9 septembre 1958 au 1e congrès de psychopharmacologie) reprise synthétique des exigences éthiques en médecine.
M 53 (discours du 12 septembre 1958 du 7e congrès international d’hématologie) survol des solutions proposées par la médecine pour l’hérédité des porteurs sains de tares génétiques (problèmes liés à l’eugénisme).
SF (discours du 29 octobre 1951 à des sages-femmes) exposé des normes éthiques en matière de procréation et des données anthropologiques sur le couple et la famille.
[2] Françoise Raymond, Epouse Caravano, Regards des derniers papes sur le monde de la santé (1939 à 1985), Thèse pour le Doctorat en Médecine, sous la direction du Professeur Maurice Marois, présentée et soutenue publiquement au CHU Saint-Antoine (Paris), le 30 novembre 1988. Cette thèse n’a pas été publiée. La présence du nom d’un cosignataire, lui aussi médecin ayant soutenu sa thèse dans le même Centre Hospitalo-Universitaire, à côté de celui de l’auteur de la thèse s’explique pour deux raisons. La première est que, à titre amical, il a contribué à la rédaction de la thèse ; la seconde est qu’il a considérablement révisé celle-ci pour son édition sous forme d’article. Si le fond comme la forme ont été refondus, les sources n’ont pas été revisitées (les textes de Pie XII n’ont pas été relues), faute de temps. On notera enfin que la thèse présente aussi la pensée de Jean-Paul II sur le monde de la santé, dans les discours s’étendant de 1978 à 1985. Comme le pape actuel a continué à lui adresser nombre d’interventions, on comprend donc pourquoi l’article se soit arrêté à Jean-Paul Ier.
[3] Cet ordre ne prétend ni être le seul ni être le meilleur. Il n’empêche malheureusement pas quelques redites et quelques recouvrements (par exemple, par souci d’économie, on a traité des vertus des spécialistes dans le paragraphe qui leur était consacré).
[4] Cf. les travaux fondamentaux de Servais Thomas Pinckaers en ce domaine, notamment Les sources de la morale chrétienne. Sa méthode, son contenu, son histoire, coll. « Etudes d’éthique chrétienne », Paris, Cerf, Fribourg-Suisse, Editions universitaires, 21990.