« …la rédemption du corps aide, avant tout, à découvrir tout le bien qui permet à l’homme de remporter la victoire sur le péché et la concupiscence. Les paroles du Christ qui viennent de la divine profondeur du mystère de la Rédemption permettent de découvrir et de renforcer le lien qui existe entre la dignité de l’être humain […] et la dimension sponsale de son corps ». (86, 8 ; p. 434)
Après cette analyse détaillée des 135 catéchèses de Jean-Paul II relatives à la théologie du corps, nous offrirons une vision de synthèse, débarassée de la pesanteur du commentaire, qui livre le cœur de l’intuition du pape. Ce dernier chapitre peut se lire de manière autonome, indépendamment des chapitres antérieurs, mais le désolidariser de ceux-ci, c’est se priver de quantité d’autres richesses et ne pas saisir toutes les multiples nuances apportées par le grain du texte, et surtout se priver de tout l’enracinement scripturaire.
Pour cela, nous reprendrons d’abord l’acquis de la dernière et longue catéchèse très éclairante de la TDC 133, Jean-Paul II livre quelques clefs décisives relatives, d’une part au sujet de tous ses entretiens, d’autre part à leur mise en ordre, et enfin à la méthode suivie notamment dans l’étude finale consacrée à l’encyclique Humanæ Vitæ. Cette reprise récapitulative en fin de parcours est d’autant plus précieuse que l’on a vu le pape changer sur quelques points – ce qui ne saurait étonner du fait de la durée (pas moins de 5 ans) qui s’est écoulée depuis la première catéchèse – et, comme nous l’avons aussi noté, de la souplesse inhérente au genre littéraire de l’entretien du mercredi. Nous enrichirons l’exposé de Jean-Paul II, en l’indiquant, de développements ou d’emprunts.
Après cette vision comme rétrospective, nous tenterons de déterminer les principes fondateurs de la réflexion de Jean-Paul II, qui sont aussi les conclusions essentielles auxquelles il aboutit. Nous verrons ainsi s’ébaucher une théologie du corps.
1) Objet des catéchèses
Jean-Paul II estime que « la catéchèse […] entreprise il y a plus de quatre ans […] peut être groupée tout entière sous le titre : ‘L’amour humain dans le plan divin’ ». Mais il lui préfère aussitôt un titre « plus précis : ‘La rédemption du corps et le caractère sacramentel du mariage’ ». (id., 1 ; p. 581)
En fait le premier titre est trop général et le second n’est pas assez unifié, puisqu’il se scinde déjà en présentant l’articulation majeure. Il faut donc trouver autre chose.
Plus loin, une remarque de Jean-Paul II propose une piste éclairante. Il remarque que dans toute sa catéchèse, « l’expression ‘théologie du corps’« a été maintes fois « répétée ». Certes, c’est « une formule de travail ». Surtout, c’est un thème trop large pour résumer ces entretiens, puisque « dans ces réflexions ne sont pas comprises un bon nombre de problèmes qui, en raison de leur objet, appartiennent à la théologie du corps (comme par exemple le problème de la souffrance et de la mort, si important dans le message biblique) ». Mais il demeure que la « théologie du corps » est le fondement, la « base plus large » même de toutes ces catéchèses : en effet, on ne peut parler de la rédemption du corps et du mariage qu’à « la lumière de la Révélation [qui] touche la réalité du corps humain ».
D’où, dépassant la lettre du texte, nous dirions volontiers que les entretiens du mercredi ont pour objet ou thème : la théologie du corps sexué, autrement dit du corps considéré en sa sexualité. En effet, Jean-Paul II traite du corps en tant qu’il est masculin et féminin, d’abord dans ses différents états historiques (et c’est la première grande partie) et ensuite dans ses différents états de vie, célibat consacré et surtout mariage (et c’est la seconde grande partie). C’est en ce sens que Jean-Paul II a pu penser au titre proposé au début : « l’amour humain dans le plan divin » ; mais comprenons alors qu’il s’agit non pas de l’amour en général, mais de l’amour en tant qu’il s’inscrit dans le corps, autrement dit, le corps sexué.
2) Ordre d’exposé
Quel plan a suivi le pape (id., 1 et 2 ; p. 581 à 583) ? Le titre plus précis proposé par Jean-Paul II est, on s’en souvient : ‘La rédemption du corps et le caractère sacramentel du mariage’. On peut dire que la première partie traite de ‘La rédemption du corps’ et la seconde du ‘caractère sacramentel du mariage’ :
a) Première partie la rédemption du corps
« La première partie est consacrée à l’analyse des paroles du Christ qui s’avèrent capables d’introduire le présent thème ». Et Jean-Paul II de « mettre en relief […] trois textes » de base qui chacun se rapporte à un état du corps. Ils se réfèrent :
– tout d’abord « à l’origine » (Mt 19,8) ;
– ensuite à l’état de l’homme historique (pécheur et appelé au salut) qui « commet l’adultère dans le cœur » (Mt 5,28) ;
– enfin à l’« autre monde » (Mt 22,30 et parallèles dans les synoptiques). Jean-Paul II ne fait pas allusion à la continence pour le Royaume, ce qui montre bien que ce développement doit se lire dans le prolongement de l’étude du corps glorifié. Par contre, la seconde vocation qu’est le mariage n’en est pas qu’une application, ce qui justifie une analyse autonome.
Chacun des quatre premiers cycles de catéchèse – les deuxième et troisième étant regroupés en un – se fonde donc sur une parole de l’Écriture et plus précisément une parole que le Christ a prononcée dans l’Évangile, tant ceux-ci sont la véritable clef des Écritures. [1] C’est ainsi que Jean-Paul II parle « du triptyque des énoncés du Christ lui-même : un triptyque de paroles essentielles et constitutives de la théologie du corps ». (64, 1 ; p. 359 et 360) Nous venons de les citer : Mt 19, 3-9 ; Mt 5,27-32 ; Mt 22,24-30. Il arrive d’ailleurs souvent que Jean-Paul II, à la suite des auditeurs de Jésus, l’appelle « Maître ». (38, 3 ; p. 269 ; 69, 1 ; p. 375)
b) Seconde partie le caractère sacramentel du mariage
« La seconde partie de la catéchèse a été consacrée à l’analyse du sacrement sur la base de l’épître aux Éphésiens (Ep 5,22-33) ». Jean-Paul II précisera plus loin le contenu de cette seconde partie (id., 2 ; p. 582 et 583).
1’) Etude du sacrement de mariage
Tout sacrement présente « deux dimensions essentielles » : comme tout sacrement, il est signe de la grâce de Dieu ; il est donc à la fois grâce et signe. L’étude du sacrement de mariage a pris ces deux points en compte : la grâce (qui est le mystère de l’Alliance de Dieu avec son peuple) et le signe sensible (l’échange des consentements et le langage des corps). Bien entendu, la théologie du mariage est revenue « continuellement aux réflexions sur la théologie du corps », puisque tant la grâce que le signe ont trait au corps humain.
2’) Relecture d’Humanæ Vitæ
Enfin, Jean-Paul II a développé toute une analyse de l’encyclique Humanæ Vitæ, « en rapport organique, soit avec le caractère sacramentel du mariage, soit avec toute la problématique biblique de la théologie du corps » : ces deux parties sont d’ailleurs comme un ample commentaire de la doctrine d’Humanæ Vitæ. Peut-être même, dans la pensée du pape, faut-il individualiser cette étude comme un troisième temps, à côté, premièrement de la théologie du corps, deuxièmement de la théologie du mariage ; mais, dans le courant des catéchèses, l’étude d’Humanæ Vitæ était présentée comme une analyse de la spiritualité conjugale, et donc dans le prolongement immédiat de l’étude du sacrement de mariage.
Pourquoi avoir consacré tant de catéchèses à Humanæ Vitæ ? C’est maintenant que Jean-Paul II dévoile son intention. Il sait ombien l’encyclique de Paul VI ne laisse de susciter des interrogations (et même d’objections) aussi importantes que difficiles. Pourtant, l’enseignement est clair [2]. Il fut de plus confirmé, par l’exhortation Familiaris consortio du pape qui fut le fruit du Synode des Evêques sur les tâches de la famille chrétienne et qui est parue le 3 février 1982, donc en plein milieu du quatrième cycle, le jour de la catéchèse 71 qui n’en souffle pas un mot.
Il y a une raison plus décisive encore (id., 4 ; p. 584). Certes, ces catéchèses consacrées à Humanæ Vitæ « constituent une partie, la partie finale » de toute la série. Mais d’une part, « ce dont elles traitent est plus étroitement lié à notre époque », d’autre part, elles ont en quelque sorte suscité tous les développements antérieurs. Or, la fin qui est première dans l’intention (et donc première en importance) est toujours dernière dans l’exécution : en ce sens, les développements consacrés à Humanæ Vitæ ont aussi la priorité non seulement quant à l’urgence historique, mais aussi dans l’ordre d’importance.
Ces remarques mettent en pleine lumière tout le sens pastoral de Jean-Paul II, toujours très attentif à « scruter les signes des temps », comme l’y invite Gaudium et Spes [3]. Ce que confirme une autre notation, aussi d’ordre historique : Jean-Paul II remarque que le début et la fin de toutes ces catéchèses encadrent exactement les préparatifs du Synode des Evêques sur la famille et la publication de Familiaris consortio ; or, le Synode « s’est référé » à Humanæ Vitæ ; voilà pourqoui « ce moment historique semble avoir lui aussi sa signification » : rappeler l’importance d’Humanæ Vitæ pour notre temps, et plus encore « trouver ce cadre biblico-théologique » qui permette d’« affronter les interrogations que suscite l’encylique Humanæ Vitæ », interrogations (et les réponses corrélatives) qui sont à la fois des questions « éternelles » et « celles, difficiles, de notre monde contemporain en ce qui concerne le mariage et la procréation ».
On peut distinguer six parties étroitement articulées dans le premier cycle de 23 catéchèses. Après une introduction générale (1 catéchèse : TDC 1), 1. Jean-Paul II fait une présentation générale, exégétique de Genèse 1 à 4 qui sert de source scripturaire à tout ce cycle et une partie du second cycle (3 catéchèses : 12 à 4 ???). Puis, il analyse les trois grandes expériences originelles : 2. la solitude originelle (3 catéchèses : 10 à 7 ???) ; 3. l’unité originelle (3 catéchèses : 7 à 10) ; 4. la nudité originelle (2 catéchèses : 12 et 12 ???). Enfin, il synthétise en exposant la double signification du corps humain : TDC 5. avant tout, la signification sponsale (7 catéchèses : 13 à 19) ; 6. d’autre part, la signification procréative (4 catéchèses : 5 à 22 ???), avant de conclure tout le premier cycle (1 catéchèse : TDC 23).
3) Méthode
Le Saint-Père souligne ensuite la méthode employée (id., 2 et 3 ; p. 582 et 583). « La doctrine contenue dans Familiaris consortio demande que » question et « réponse adéquate se concentrent sur les aspects bibliques et personnels ». Ce qui vaut pour Humanæ Vitæ, ajoute Jean-Paul II, vaut « également la voie à suivre pour le développement de la théologie du corps ». En véritable pasteur universel et en docteur, exerçant son ministère prophétique et son charisme magistériel, il indique par là, de la manière la plus nette, en quelle direction doivent œuvrer les théologiens : ces catéchèses ont effectué un travail de pionnier qui requiert maintenant « perfectionnement et approfondissements progressifs ».
a) Une théologie biblique et prenant la personne en compte
Précisons l’importance de ces deux axes originaux :
- « L’analyse des aspects bibliques éclaire la manière d’enraciner la doctrine proclamée par l’Église contemporaine au sujet de la Révélation ». Jean-Paul II n’hésite pas à dire – et comment ne pas y entendre un appel – qu’il est important que la théologie du corps se développe, c’est-à-dire progresse. Par quels moyens ? Certes, l’Église doit utiliser « les instruments les plus conformes à la science moderne et à la culture d’aujourd’hui », en particulier, en profitant de « l’intense développement de l’anthropologie philosophique » car elle « rencontre de manière très voisine les interrogations sucitées par l’encyclique Humanæ Vitæ ». Mais cette aide demeure comme instrumentale : la véritable source du progrès ou du « développement de la théologie » (Jean-Paul II est précis : il ne parle pas de progrès de la Révélation) « se réalise […] en reprenant l’étude du dépôt révélé » ; or, celui-ci est contenu dans la Sainte Écriture et la Tradition.
- « L’analyse des aspects personnels de la doctrine contenue » dans Humanæ Vitæ, est capitale pour notre « civilisation contemporaine – et particulièrement […] occidentale ». En effet, dans celle-ci « existe une tendance cachée », mais « explicite à mesurer » le progrès ou le développement « de l’homme selon la mesure des choses, c’est-à-dire des biens matériels ». Or, la personne humaine est infiniment plus que ces simples biens matériels : la réduire à ceux-ci c’est nier sa spécificité, sa dignité ; autrement dit « l’authentique développement de l’homme […] se détermine […] à la mesure de l’éthique » qui prend en compte les « aspects personnels », c’est-à-dire la personne, « et non seulement à celle de la technique » qui ne s’intéresse qu’aux biens matériels. Or, c’est le point de vue personnel que développe Humanæ Vitæ. D’où la difficulté pour nos contemporains de comprendre l’encyclique de Paul VI et l’importance autant que l’urgence d’en développer les « aspects personnels ».
De ce double point de vue, n’hésitons pas à dire que Jean-Paul II fait vraiment progresser la lecture d’Humanæ Vitæ en particulier, et la théologie du corps et du mariage en général.
En effet, si l’on se permet de lire entre les lignes : le développement du fondement biblique et de la perspective personnelle sont non seulement les deux grandes nouveautés de l’approche de Jean-Paul II, mais sont les conditions indispensables de la réception actuelle de l’encyclique Humanæ Vitæ. Le pape porte un diagnostic sur les approches insuffisantes qui ont été trop souvent proposées et qui expliquent pour une part le rejet de l’enseignement de Paul VI ; d’ailleurs, les documents ultérieurs montrent combien le jugement de Jean-Paul II a été entendu.
En quelque sorte, le pape a voulu manifester, comme expérimentalement, à partir de l’exemple privilégié de l’encyclique de Paul VI l’originalité, la fécondité et la profondeur de l’éclairage apporté par la théologie du corps. En retour, élargissant la trop modeste conclusion du pape qui réduit l’intention fondamentale de ces catéchèses à n’être qu’un commentaire – certes génial – d’Humanæ Vitæ, osons dire que l’encyclique Humanæ Vitæ vient conforter et illustrer sur un point – la régulation naturelle des naissances – la théologie du corps et faire de l’élaboration intégrale de celle-ci la véritable intention de Jean-Paul II.
b) Une théologie contemplative et pastorale
Le développement éthique ne doit pas nous étonner. Plusieurs fois Jean-Paul II rappelle que la vision ontologique ouvre à une visée éthique, axiologique, puisque le bien se fonde sur l’être. Appliquons ce principe à notre sujet : « La ‘signification sponsale du corps’ est en même temps ce qui détermine son attitude : c’est la manière de vivre le corps » [‘di vivere il corpo’, en italien ; et non pas de « vivre du corps » [4]] (31, 5 ; p. 247) Parlant des différents passages de l’Écriture où il est traité de la théologie du corps, Jean-Paul II remarque : « Chacun de ces passages renferme une grande richesse, aussi bien sur le plan anthropologique qu’au niveau éthique ». (86, 4 ; p. 432) Le pape revient plusieurs fois sur un thème qui lui est cher, celui de la « pédagogie du corps ». Plus encore, il veut faire germer dans l’homme contemporain, homme de la suspicion, homme de la déception, une espérance. Se souvenant de la belle parole de l’Apôtre S. Pierre : « soyez toujours près à rendre compte de l’espérance qui est en vous » (I P 2,15), Jean-Paul II cherche d’abord à susciter en l’homme une espérance.
Mais quelle espérance ? Celle du salut. Ici, c’est à l’écoute du cri de S. Paul : « nous attendons […] la rédemption de notre corps » (Rm 8, 23) que se met le Saint-Père. « La rédemption du corps selon l’Apôtre, est, en définitive, ce que nous attendons ». (86, 5 ; p. 433). Or, la théologie du corps est toute centrée sur une théologie de la rédemption du corps : dans la première partie, le cycle troisième sur le corps racheté est le point de convergence des trois autres (soit qu’il prépare, soit qu’il répare, comme nous l’avons dit) ; la théologie du corps dans le sacrement de mariage trouve elle aussi son application dans le commentaire d’Ep 5 et de certains passages de l’encyclique Humanæ Vitæ sur la régulation naturelle des naissances, en vue de montrer que l’enseignement de l’Église est non seulement conforme à la dignité de l’homme qui s’identifie au don sponsal de lui-mêem, mais qu’il est applicable, vivable, par l’exercice de la chasteté, de la pureté du cœur qui est la grâce de l’Esprit-Saint répandue dans nos cœurs.
Ces 129 catéchèses sont avant tout un immense message d’espérance pour notre monde actuel travaillé par un profond découragement. En ce sens, et dans cette lumière, Jean-Paul II lance un ardent appel à la vraie liberté. Avec beaucoup de lucidité et de compassion, le pape II lit, derrière les prétendus appels à la libération, une profonde désespérance par rapport aux capacités de l’homme face à sa libido. Le soupçon freudien est en fait défaitisme et pessimisme désabusé face à la capacité de vérité de l’esprit et la vraie liberté de l’homme
Combien de fois Jean-Paul II répète-t-il que le Christ n’est pas venu accuser, mais appeler. C’est donc du cœur même de notre monde que Jean-Paul II parle ; il répond à ses plus intimes convictions et aspirations : le respect de la personne, l’épanouissement de la liberté, le vécu plénier de sa sexualité et de son corps. Rien de moins castrateur, de moins éteignoir et de moins « réac » que le discours du pape de « la civilisation de l’amour ». Sa relecture de l’encyclique de Paul VI donne une extraordinaire impression d’air frais, libérateur.
L’objectif de Jean-Paul II est pratique : il est de présenter une rédemption du corps. Mais celle-ci se fonde sur la révélation du corps. Nous retrouvons là deux concepts capitaux de la pensée de Jean-Paul II. Leurs interconnexions sont complexes et très fines : certes, rédemption est à révélation ce que le spéculatif est au pratique, mais la Révélation est déjà une rédemption ébauchée et l’acte rédempteur révèle à l’homme sa valeur et donc son être, tant on ne peut totalement séparer être et bien.
De même, dans les encycliques et nombre de discours, le thème fondamental de la théologie (théologie qui inclut la pastorale) du Saint-Père semble être : le Christ, Rédempteur et Révélateur de l’homme. Ici, cette thématique générale est appliquée au corps de l’homme.
Un fait peut surprendre. Alors que le pape parle très tôt du concept de « rédemption du corps » (dès le début du second cycle), il n’introduit celui de « révélation » qu’au début du quatrième, quand il va traiter de l’eschatologie. C’est peut-être pour des raisons accidentelles, circonstancielles. On peut aussi le comprendre dans la mesure où, étymologiquement, la révélation suppose la levée du voile, le dévoilement du vrai. Or, l’eschatologie seule exprime la vérité totale du corps, en sa signification profonde qui est sponsale : c’est seulement à la lumière de la résurrection que nous comprendrons, dans un éclairage véritablement nouveau qui nécessitait une révélation spécifique, la parole du Christ que la signification procréative n’est pas essentielle la théologie du corps. En regard, la rédemption est déjà largement ébauchée dès l’état de grâce, puisque l’on définit classiquement la grâce (en sa finalité) comme une semence de gloire, comme la « gloria inchoata ».
Pascal Ide
[1] « …entre toutes les Écritures, même celles du Nouveau Testament, les Évangiles possèdent une supériorité méritée, en tant qu’ils consituent le témoignage par excellence sur la vie et sur l’enseignement du Verbe incarné, notre Sauveur ». (Constitution dogmatique sur la Révélation divine, Dei Verbum, n. 18) « Le Christ […] est à la fois le Médiateur et la plénitude de toute la Révélation ». (Ibid., 2)
[2] Il n’est d’ailleurs lui-même pas isolé dans l’enseignement de l’Église et de Paul VI. « L’encyclique Humanæ Vitæ n’est pas un monolithe dans un désert mais elle a une histoire ». (E. Hamel, « Genesi dell’enciclica Humanæ Vitæ », dans La Civiltà Cattolica, 119 (1968), III, p. 453)
Il fut en particulier préparé par d’autres interventions de Paul VI (par exemple au Centre italien de la femme, le 12 février 1966, in AAS, 58 (1966), p. 220-224)
[3] « …l’Église a le devoir, à tout moment, de scruter les signes des temps et de les interpréter à la lumière de l’Évangile, de telle sorte qu’elle puisse répondre, d’une manière adaptée à chaque génération, aux questions éternelles des hommes sur le sens de la vie présente et future et sur leurs relations réciproques ». (Vatican II, Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps, Gaudium et Spes, Exposé préliminaire, n. 4, § 1)
[4] La correction est due à Guy de Kérimel, La signification sponsale du corps dans les catéchèses de Jean-Paul II sur l’amour humain dans le plan divin, Mémoire pour la Licence de Théologie (modérateur : Pierre Adnes), Rome, Université Pontificale Grégorienne, Faculté de Théologie, 1987, p. 32, n. 2.